Lutter contre les conséquences du réchauffement climatique, trouver des solutions innovantes pour un développement durable : la conférence "Mathématiques au service du développement" a voulu démontrer l'utilité de la discipline dans le monde moderne.
"Si tout le monde pensait comme un mathématicien, le monde serait nettement meilleur." Pour la mathématicienne tanzanienne Angelina Bijura, les maths n'ont rien d'une pure discipline de l'esprit tout juste bonne à calculer le nombre pi à l'infini.
Elle s'exprimait à l'occasion de la journée des "Mathématiques au service du développement", organisée par l'Unesco à Paris, vendredi 15 mars. Une conférence dédiée à présenter cette discipline sous un nouveau jour, alors qu'en France, les maths sont souvent associés aux petits génies tricolores de l'équation qui ont remporté une fortune dans le monde de la finance avant d'être accusés d'avoir contribué à la crise des subprimes de 2008.
Mais les liaisons dangereuses avec la finance "ont été un effet de mode qui a fait son temps avec la crise financière", veut croire Nadia Raïssi, mathématicienne à l’université Mohammed V de Rabat (Maroc). Ils étaient des dizaines comme elles à soutenir, à l'occasion de la journée à l'Unesco, que les défis du monde moderne rendaient urgent l’utilisation des maths à des fins de développement.
Pour ces chercheurs et enseignants, le réchauffement climatique illustre parfaitement l’utilité que peuvent avoir les mathématiques, surtout pour les pays en voie de développement. Les conséquences de la hausse des températures ne peuvent être correctement comprises sans modèle mathématique adéquat, souligne Angelina Bijura. "Les changements climatiques ont déréglé les saisons traditionnelles en Afrique, et un agriculteur ne peut plus se fier au cycle des pluies d’antan. Nous avons besoin des mathématiques pour comprendre comment s’adapter à cette nouvelle situation afin de semer au bon moment", explique-t-elle.
Trouver la bonne équation peut aussi être vital pour les zones côtières, menacées par la montée du niveau des mers. "Le problème avec l’érosion côtière, c’est que l’on ne peut pas dire simplement qu’il faut construire une digue à cet endroit ou à un autre. C’est une pure vue de l’esprit. Il faut d’abord formaliser le problème, grâce aux mathématiques, pour en mesurer la complexité et, ensuite, on peut réfléchir à des solutions viables", explique Diaraf Seck, mathématicien à l’université Cheik Anta Diop de Dakar (Sénégal).
Mais les mathématiques ne sont pas réservées à la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique. Au Maroc, elles ont directement servi au développement d’une pêche durable, assure Nadia Raïssi. Pour préserver les stocks de poissons, le royaume chérifien a eu recours à des modèles mathématiques pour "confirmer certaines hypothèses de croissance de ces stocks afin de fixer des objectifs de pêche", explique-t-elle. Les mathématiques ont aussi permis "l’émergence de nouvelles mesures pour mieux partager la pêche entre les différentes flottilles", souligne cette chercheuse.
Savoir susurrer à l’oreille des responsables politiques
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Mais pour lui, les responsables n'auront bientôt plus le choix. "Les problèmes deviennent de plus en plus complexes [incertitudes liées au réchauffement climatique, à un monde économiquement de plus en plus interdépendant, NDLR] et les politiques vont devoir écouter les mathématiciens s’ils veulent proposer des bonnes solutions", affirme-t-il.
C’est d’autant plus nécessaire qu’avec l’irruption de l’informatique et des algorithmes dans la vie quotidienne de tout un chacun, "l’enseignement des mathématiques, surtout dans les pays en voie de développement, est important pour éviter un fossé des connaissances [avec les pays industrialisés, NDLR]", ajoute Angelina Bijura, qui a fondé Inspire Secondary School, une école pour promouvoir l’enseignement de cette matière en Tanzanie.
Elle assure que les mathématiques sont aussi un rempart contre la tentation de prendre des décisions sous la pression du rythme frénétique des événements. "Apprendre les mathématiques, c’est aussi apprendre à s’arrêter pour réfléchir à un problème avant d’agir", souligne-t-elle. Un état d’esprit dont pourraient s’inspirer bon nombre de responsables politiques.