
Quatre mois après la publication d’une liste provisoire des médias autorisés à opérer sur le territoire national, le ministre de la Communication, Alioune Sall, a signé, le 22 avril 2025, un arrêté ordonnant aux organes de presse jugés non conformes aux critères fixés par la réglementation de cesser immédiatement toute diffusion et tout partage de contenus ou de supports. Cette décision, prise en application du Code de la presse, vise plus de 380 entreprises médiatiques et soulève de sérieuses interrogations quant à sa légalité et à son impact sur la liberté d’expression.
Ce qui se passe actuellement au Sénégal est d’une extrême gravité. Pour donner suite à un arrêté du ministère de la Communication, des notifications de reconnaissance ont été envoyées à certains médias dits «conformes», tandis que d’autres, qualifiés de «non reconnus», ont reçu des ordres de cessation d’activité sous menace de poursuites judiciaires. Cela veut dire, tout simplement, que des journaux, des sites d’information en ligne, des radios locales, sont aujourd’hui fermés administrativement, dans un mépris absolu des principes fondamentaux de la démocratie sénégalaise.
C’est un coup brutal porté à la liberté de la presse, pilier incontestable de notre démocratie, admirée et citée en exemple à travers l’Afrique et le monde. Même aux heures les plus sombres — les années de plomb postindépendance, la crise électorale de 2012, ou les tensions des années Macky Sall — la presse sénégalaise avait résisté, parfois au prix du sang. Aujourd’hui, voir le régime issu de Pastef s’attaquer ainsi à la presse est une aberration historique, une honte nationale.
Cette décision brutale entraîne des conséquences dramatiques sur le plan social. La fermeture administrative de centaines de médias entraîne la suppression de milliers d’emplois, affectant journalistes, techniciens, community managers, infographistes, animateurs et personnels de soutien. Même si nombre de ces emplois relevaient d’un statut précaire — contrats à durée déterminée, piges, stages mal rémunérés — ils représentaient pour beaucoup une source essentielle de revenus dans un contexte économique déjà difficile. La violence de cette mesure plonge ainsi des familles entières dans l’incertitude, tout en fragilisant davantage un secteur des médias déjà en crise.
Une immense déception pour toute une génération de journalistes
Au-delà de l’indignation, il y a une immense douleur, surtout parmi les jeunes journalistes. Car il ne faut pas oublier : beaucoup d’entre eux ont payé le prix fort pour défendre, hier, ceux qui gouvernent aujourd’hui. Sous le régime de Macky Sall, nombre de jeunes journalistes avaient bravé les pressions politiques et économiques de leurs rédactions pour donner la parole à l’opposition incarnée par Pastef et son leader Ousmane Sonko, aujourd’hui à la tête du gouvernement du Sénégal. Tous ces jeunes confrères ont mis leur emploi, leur réputation, leur avenir en jeu, par conviction : celle que la démocratie sénégalaise méritait d’être défendue, coûte que coûte.
Ils pensaient alors que leur combat pour donner la parole aux sans-voix, aux opposants réprimés, contribuerait à renforcer une démocratie plus forte, plus juste. Ils ont défié leurs patrons, bravé les menaces, accepté de perdre leurs revenus, pour défendre l’idée qu’un autre Sénégal était possible. Aujourd’hui, ils assistent, sidérés, au spectacle d’un pouvoir devenu oppresseur à son tour. La déception est immense. La blessure est profonde.
Une dérive autoritaire assumée
Décider de fermer administrativement des médias parce qu’ils ne sont pas «reconnus» est une pratique qui rappelle les régimes dictatoriaux du siècle passé. Dans toutes les grandes démocraties, la reconnaissance administrative d’un média n’est qu’une formalité, jamais un instrument de censure. Le Sénégal risque aujourd’hui de basculer dans un dangereux précédent : un régime qui décide, seul, qui a le droit de parler et qui doit se taire. Si l’État veut conditionner l’accès aux financements publics à certains critères, cela peut être débattu. Mais interdire d’exister à ceux qui ne rentrent pas dans les cases du pouvoir est une dérive pure et simple, un abus inadmissible.
Rappelons-nous cette phrase historique du juge américain Hugo Black : «La liberté de la presse est l’ultime refuge contre la tyrannie» ou encore celle d’Albert Londres, le père du journalisme d’investigation qui disait : «notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie». Aujourd’hui, la presse sénégalaise est de nouveau appelée à “porter la plume dans la plaie”, malgré les risques.
Tous les journalistes aujourd’hui investis de responsabilités publiques sous ce régime sont interpellés. Leur silence face à cette atteinte à la liberté de la presse serait une trahison — une trahison envers leur propre parcours, envers leur engagement passé, envers la mémoire de tous ceux qui ont souffert pour que la presse sénégalaise soit ce qu’elle est. L’histoire est inexorable. Elle retiendra ceux qui, par lâcheté ou par confort, auront choisi de détourner les yeux.
L’urgence d’une mobilisation générale
Ce combat dépasse les clivages politiques. Il concerne l’ensemble des citoyens attachés aux libertés publiques. Les syndicats de journalistes, les associations de la société civile, les Ong internationales doivent se lever. Car aujourd’hui, ce sont les médias dits «non reconnus» qui sont visés. Demain, ce seront les associations critiques, les artistes contestataires, puis chaque citoyen libre. Comme l’écrivait Martin Niemöller, dans une célèbre prière reprise après la Seconde Guerre mondiale : «quand ils sont venus chercher les journalistes, je n’ai rien dit — je n’étais pas journaliste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit — je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.»
Le Président Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement doivent désormais faire un choix clair : veulent-ils bâtir un État véritablement démocratique, respectueux des libertés fondamentales, ou dériver vers un système où l’on musèle les voix indépendantes en fermant les médias ? Ces deux trajectoires sont irréconciliables. Il n’existe pas de démocratie authentique sans une presse libre et pluraliste. Gouverner en supprimant les canaux d’information qui dérangent revient à trahir les idéaux même qui ont porté Pastef au pouvoir. L’histoire nous enseigne qu’un pouvoir qui commence par fermer des médias finit toujours par étouffer la société tout entière. Ce dilemme est historique, et il engage l’honneur du président de la République et la survie même de notre démocratie.
En attendant, une chose est sûre : la mémoire collective est plus forte que les mandats. Il est temps de se souvenir que les mandats sont éphémères, mais la mémoire collective est éternelle. Personne ne sera épargné par le jugement de l’histoire. Ceux qui auront choisi la dignité, la défense des libertés, seront salués. Ceux qui auront préféré les privilèges du moment au prix du renoncement seront voués à l’oubli ou au mépris. Aujourd’hui, la presse sénégalaise est blessée, mais pas vaincue. Demain, elle se relèvera. Et elle continuera d’exiger, au prix qu’il faudra, ce qui fait la fierté de notre nation : le respect des libertés, la primauté de la démocratie, la dignité de l’information libre.
Sidy Djimby NDAO