Le scandale Miss Sénégal n’en finit plus de faire parler. Après avoir fait couler beaucoup d’encre et de salive au Sénégal, l’affaire continue de s’exporter à l’international. En France, c’est le très féministe Journal «Madmoizelle» qui est le dernier à évoquer la question. Le journal, pour mieux comprendre cette affaire, s’est attaché l’expertise de l’autrice et chercheuse sénégalaise en sociologie du genre, Ndèye Fatou Kane. Dans un entretien sans langue de bois, la chercheuse sénégalaise assure que l’affaire du viol de la Miss Sénégal est représentative de la culture du viol au Sénégal. Elle cite les accusations de Fatima Sall contre Cheikh Yérim Seck en 2013 et celle d’Adji Sarr contre Ousmane Sonko comme des cas similaires qui confirment sa thèse.
En 2020, alors que Ndèye Fatima Dione a été élue Miss Sénégal, elle a été victime d’un viol à la suite duquel elle est tombée enceinte. Une affaire qui a vite déclenché des vagues d’indignations jusqu’au loin des frontières du Sénégal. Tout a commencé à son couronnement, lorsque Ndèye Fatima Dione aurait été emmenée dans un hôtel par un membre du comité d’organisation de Miss Sénégal, selon les éléments rapportés par sa mère.
En France, le Journal féministe «Madmoizelle» s’est intéressé pour la première fois à cette affaire. Pour ce faire, le journal basé à Paris s’est entretenu avec la chercheuse sénégalaise Ndèye Fatou Kane. Pour celle qui cherche sur «les masculinités et les médias», il n’y a pas de doute, l’affaire de Fatima Dione n’est qu’une preuve ultime de l’ancrage de la culture du viol au Sénégal.
«À mon avis, l’affaire du viol suivi de la grossesse dont a été victime la Miss Sénégal est représentative de la culture du viol dans le pays. Disons les choses telles qu’elles sont. La culture du viol, concept sociologique permettant de normaliser, voire même d’encourager les violences sexuelles au sein d’une société, trouve une illustration dans l’affaire Fatima Dione. Car entre les réactions outrées (majoritairement de femmes) fustigeant le fait que cette jeune femme ait été droguée, violée, puis qu’elle soit tombée enceinte dans une totale impunité, et les personnes suspicieuses ayant du mal à la croire, nous assistons à un climat délétère», a déclaré Ndèye Fatou Kane.
Poursuivant, la chercheuse laisse entendre que plusieurs axes d’analyse surviennent à la lecture de cette situation. Elle cite : les politiques de silenciation des victimes de violences sexuelles, la non-prise en compte de leurs traumatismes, de même que le traitement médiatique de ces affaires.
D’ailleurs, à l’en croire, d’autres plus ou moins similaires viennent confirmer l’idée selon laquelle il existe bel et bien une culture du viol au Sénégal. «En 2013, Fatima Sall accusait Cheikh Yérim Seck, un influent journaliste, de viol. En 2021, Adji Sarr, jeune masseuse, accusait l’homme politique Ousmane Sonko de viol. Sans oublier tous les cas non médiatisés… Ces cas ultra relayés ont pour point de concordance de mettre face à face de très jeunes femmes face à des hommes accumulant un fort capital social. Ce qui a pour résultante d’interroger les bonnes mœurs de ces jeunes femmes et de ‘’blanchir’’ ces hommes accusés, sans même attendre le verdict de la justice», regrette la féministe, assurant que la loi criminalisant le viol est certes à saluer, mais elle demeure insuffisante pour régler le problème.
«La loi criminalisant le viol a été votée en 2019, et il est utile de saluer le travail fait par des collectifs de femmes tels que l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) qui se battent depuis des années pour l’accompagnement juridique des femmes victimes de violences sexuelles. Mais dans la pratique, comment la situation évolue ? C’est là à mon avis que réside le défi. Quand toutes les composantes post-traumatiques subies par les victimes seront réellement prises en compte, là on pourra dire que cette loi nous sert», a-t-elle fait savoir.
Quant au traitement un peu timide dont l’affaire Fatima Dione a suscité en France, la chercheuse en sociologie du genre indique qu’il est important dans chaque situation liée aux droits des femmes (féminisme, lutte contre les violences sexuelles, prise de parole) de contextualiser.
«Même lors de l’émergence des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, la prise de parole s’est faite progressivement jusqu’à avoir une résonance mondiale… Dans l’affaire Fatima Dione, la même dynamique est en marche et sera difficilement arrêtable. Même si des lenteurs peuvent être observées, j’ai espoir que de lendemains meilleurs s’annoncent», espère-t-elle, appelant tout le monde à porter des plaidoyers et en se faisant entendre. «Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes : interviews, écriture de tribunes, conversations avec les femmes sénégalaises lambda… L’essentiel est que la cause puisse avancer. Nous sommes en plein dans la campagne pour les seize jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, donc faisons-en un bon usage !», a-t-elle rappelé.
Sidy Djimby NDAO