
Depuis sa mise en place et l’installation de ses membres, le Pool judiciaire financier ne trouve pas de répit. Les dossiers tombent tous les jours en grand nombre. Les magistrats de cette juridiction particulière sont submergés, surtout les parquetiers et les juges d’instruction. Cela est dû aux compétences fixés au Pjf, par la loi n°2023-13 du 2 août 2023 portant révision de la Constitution et surtout, précisément, l’article 677-93 qui dispose que le Pjf est compétent lorsque le contentieux dépasse 50 millions. Un haut magistrat sous l’anonymat, estime qu’il doit y avoir des réformes portant sur les infractions exclusives et celles concurrentes, sur la compétence nationale du Pjf etc.
La pléthore d’infractions affectées au Pjf
Lors de sa dernière rencontre avec la presse, le président de la République, interpellé sur les dossiers judiciaires, avait évoqué un des aspects particuliers qui fait que le Pool judiciaire financier est aujourd’hui submergé. Bassirou Diomaye Faye avait en effet parlé de cette particularité du Pjf, qui est compétente lorsque la procédure franchit le seuil de 50 millions. En effet, l’article 677-93 de la loi qui régit le Pjf dispose : «Le Pool judiciaire financier exerce une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun, pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions à caractère économique ou financier ci-après, présentant une grande complexité, en raison notamment du nombre important d’auteurs, de complices ou de victimes, de l’importance du préjudice, ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent (…)». L’article cite ainsi les infractions qui sont : la corruption et les pratiques assimilées ; les détournements, escroqueries et soustractions liés aux deniers publics ; les infractions liées à la fausse monnaie ; le blanchiment des capitaux ; les infractions fiscales ; les infractions douanières ; le trafic de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs ; les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication ; les infractions en matière de chèque, de carte bancaire et des autres instruments et procédés électroniques de paiement ; les infractions à caractère économique ou financier pour lesquelles une loi spéciale lui donne compétence ; les infractions connexes aux infractions visées aux 1 et 10». L’article 677-94 d’ajouter plusieurs autres infractions dont celles-ci : «les infractions visées à l’article 677-93, lorsque le montant du préjudice est supérieur ou égal à cinquante millions (50.000.000) de francs ; l’escroquerie et l’abus de confiance, dont le préjudice est supérieur ou égal à cinquante millions (50.000.000) francs, lorsque les faits impliquent plusieurs auteurs, complices, ou victimes ou s’étendent sur plus d’un ressort d’un tribunal de grande instance».
Surabondance des dossiers, surpeuplement carcéral…
Un haut magistrat, interrogé sur cet ‘’embouteillage’’, estime que cette loi doit être réformée. «Le Pjf exerce sa compétence pour une multitude d’infractions. Pour certaines infractions, il a une compétence concurrente avec les juridictions ordinaires. Mais, pour ces infractions qui relèvent de la compétence concurrente, l’élément qui permet de retenir la compétence du Pjf est le seuil du montant (au-delà du montant de 50 millions) et qu’il existe dans la procédure plusieurs victimes, coauteurs, complices ou que les faits dépassent les limites de la juridiction. Le nombre d’infractions relevant de la compétence du Pjf a entrainé un dégarnissement des autres juridictions. En créant le Pjf, la volonté des autorités était de mieux protéger les deniers publics et sanctionner les pratiques qui peuvent affecter l’économie de la société. Pour cette raison, il est tout à fait justifié que des infractions comme le détournement et autres infractions portant sur les deniers publics relèvent de la compétence du Pjf», soutient le magistrat. Il poursuit : «mais, certaines infractions comme l’escroquerie, l’abus de confiance (quel que soit le montant), le trafic de migrants, le trafic de drogue, peuvent être laissées aux juridictions ordinaires».
Selon toujours notre interlocuteur, l’autre particularité du Pjf à revoir, c’est sa compétence nationale. «Même pour une infraction de trafic de migrants, il faut transférer le mis en cause à Dakar. Cette compétence nationale entraîne de facto le transfèrement à Dakar de tous les mis en cause qui sont ainsi envoyés dans les prisons de Dakar. Il s’y ajoute le fait que le Pjf inculpe les personnes interpellées à Dakar. Et cela risque d’entraîner un engorgement des prisons à Dakar». Mais, ce n’est pas tout, selon ce magistrat, depuis le 20 août 2023, en conformité avec les textes, toutes les procédures postérieures qui étaient dans les juridictions ordinaires ont été transmises au Pool judiciaire financier. Du coup, les magistrats du Parquet financier et les juges d’instruction risquent d’être débordés au point qu’ils n’auront le temps que de prendre leur café et ils risquent également de faire des nuits blanches pour arriver à être à jour dans leurs dossiers.
Les réformes
Quelles réformes préconiser ? Selon cet homme de l’art, il faut modifier le texte régissant le Pjf afin d’affecter certaines infractions aux juridictions ordinaires ; renforcer en personnel le Pjf ; envisager des chambres de Pjf au niveau du ressort de chaque Cour d’appel et aussi rattacher le Pjf au Tgi afin d’éviter le transfèrement et le surpeuplement carcéral.
Ce qui est clair, c’est qu’à ce rythme, d’ici seulement quelque temps, les juridictions ordinaires vont être désengorgées, totalement dégarnies, pendant que, de l’autre côté de Sacré Cœur, le Pool judiciaire financier sera totalement submergé.
Alassane DRAME