La proposition de loi sur l’amnistie continue de défrayer la chronique. Son auteur nous parle, dans ses sorties médiatiques, tantôt de loi interprétative, tantôt de loi d’interprétation, tantôt d’amendement dont le contenu fait penser à un contre-projet !
L’utilisation de ces concepts mérite que l’on s’intéresse à leurs sens et portées juridiques, surtout l’expérience de certains pays. Et, pour la loi interprétative, il convient de revisiter le droit français avec la définition donnée par la Cour de cassation. Ainsi, soutient-elle que « la loi peut être considérée comme interprétative lorsqu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ». La Cour de cassation admet également, dans sa jurisprudence, pour la loi interprétative, que si le juge la considère comme telle, elle fait corps avec la loi antérieure et bénéficie d’un effet rétroactif, en prenant pour date d’entrée en vigueur la loi qu’elle interprète. II y a cependant la délibération de l’Assemblée nationale, en sa séance plénière du 23 janvier 2004, intégrant les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle apporte des changements qui font évoluer la position de la Cour par rapport à la rétroactivité de la loi interprétative. Celle-ci, note-t-on, ne s’applique que si le législateur l’a voulu ou s’il y a un motif impérieux d’intérêt général.
Ce n’est pas fortuit que l’ancien Président de la Cour de cassation, Guy Canivet, prenne sa plume et publie une belle contribution dans la revue intitulée «Justice et Cassation» édition Dalloz, parlant ainsi de la problématique de la rétroactivité, sous la réflexion de « l’apport de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à la théorie des conflits d’application de la loi dans le temps». Pour rappel, l’art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dit ceci : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle».
En droit français, la loi interprétative trouve sa place dans la hiérarchie des normes. Elle intervient généralement pour clarifier des textes législatifs ayant suscité des interprétations divergentes ou des contestations. La jurisprudence peut également jouer un rôle dans la reconnaissance de la nécessité d’une loi interprétative, lorsque les tribunaux éprouvent des difficultés à appliquer une loi en raison de son ambiguïté.
Des pays dits de tradition parlementaire britannique, à l’instar du Canada, connaissent la loi interprétative. Même s’il reste attaché à sa tradition bi-juridique, c’est-à-dire, la coexistence de la common law (règle d’application de la décision juridique précédente) et le droit civil français.
Pour tous ces pays, la définition juridique de la loi interprétative n’a pas varié, elle est alors ! conçue pour clarifier le sens et la portée d’une loi antérieure sans la modifier, ni l’innover. Elle se limite simplement à expliquer ou à préciser la disposition législative existante afin de dissiper toute ambiguïté ou controverse. La loi interprétative n’est pas promulguée comme les autres lois, elle rétroagit dès son adoption à la date de l’entrée en vigueur de la loi qu’elle interprète.
L’intérêt de la loi interprétative, c’est qu’elle apporte une précision juridique sur le sens et le contenu d’une loi antérieure. Cela facilite la compréhension et assure une bonne application. La loi interprétative contribue également à la réduction des litiges et permet au moins d’éviter des contestations. Mais, elle a aussi des inconvénients, notamment avec la rétroactivité, elle peut être source de confusion et d’insécurité pour les justiciables s’ils ont des acquis par rapport à la loi initiale. Le fait de recourir à l’initiative parlementaire pour les lois interprétatives, peut également être perçu comme un signe de faiblesse et d’imprécision du législateur mais aussi comme sa volonté de se substituer au juge.
Habituellement, la loi interprétative est courante dans des domaines complexes comme le droit fiscal, le droit du travail et d’autres secteurs où les dispositions législatives peuvent prêter à des interprétations variées.
Et maintenant, s’agissant de loi d’interprétation, elle a la même finalité que la loi interprétative, c’est-à-dire, celle d’interpréter la loi, mais avec la seule différence qu’elle réserve au législateur, la faculté de pouvoir modifier ou abroger la loi antérieure.
Dans un document que le professeur Louis Philippe Pigeon, chaire de rédaction juridique - Université Laval, a écrit sur l’interprétation des textes législatifs et règlementaires, nous trouvons d’ailleurs très intéressant et pourquoi nous le partageons (voir l’extrait ci-dessous) :
«L’interprétation des textes juridiques est une activité quotidienne pour le juriste. Pourtant, le phénomène demeure difficile à cerner et à définir. Plusieurs conceptions de l’interprétation juridique coexistent. Certains y voient la recherche d’une signification totalement préexistante alors que d’autres considèrent que le sens des textes juridiques est entièrement créé à travers le processus d’interprétation. Plusieurs théories de l’interprétation juridique se situent entre ces deux extrêmes. L’interprétation des textes législatifs et réglementaires, de même que celle des contrats, mobilisent une panoplie de procédés différents mais complémentaires : les méthodes, les principes, les règles et les présomptions d’interprétation ainsi que les arguments logiques. Il est fréquent que l’interprète ait recours à plus d’un procédé pour interpréter une même disposition législative, réglementaire ou contractuelle.
Une « méthode » d’interprétation est une conception générale du travail d’interprétation des lois. Les principes, les règles et les présomptions d’interprétation peuvent tous être associés à une méthode ou une autre.
Les différentes méthodes d’interprétation témoignent des multiples conceptions intellectuelles de l’interprétation juridique. Certaines méthodes mettent l’accent sur le texte de la loi interprétée alors que d’autres insistent davantage sur son objet ou le contexte.
Les principales méthodes d’interprétation des lois sont : la méthode littérale ou grammaticale, la méthode systématique, la méthode psychologique ou historique, la méthode téléologique, la méthode contextuelle et la méthode pragmatique.
La catégorie des « principes » d’interprétationregroupe des procédés d’interprétation qui se situent sur un plan plus pratique que les méthodes et qui revêtent une force contraignante plus grande. Issus de la jurisprudence, parfois consacrés par la loi, les principes d’interprétation sont pluriels et parfois contradictoires.
Les principes classiques de l’interprétation des lois sont : le principe du sens clair (Literal Rule), la « règle d’or » (Golden Rule) , le principe de l’interprétation selon le but de la loi (Mischief Rule).
La troisième catégorie de procédés d’interprétation regroupe les « règles » d’interprétation. Les règles sont plus précises que les méthodes et les principes et ont, du moins en théorie, une force contraignante plus grande que les présomptions d’interprétation.
Les règles d’interprétation sont nombreuses: la règle de l’interprétation libérale des textes attributifs de droit, la règle de l’interprétation restrictive des textes privatifs de droit, la règle de l’unité du texte, la règle de l’harmonisation avec les lois connexes, la règle de la primauté du texte spécial, la règle de la primauté du texte postérieur, les règles relatives à l’historique de la législation, les règles relatives aux travaux préparatoires.
La catégorie des « présomptions » d’interprétation regroupe des règles précises quant à leur objet, mais auxquelles n’est attribuée qu’une valeur relative.
Les présomptions d’interprétation les plus couramment invoquées sont : la présomption de rationalité du législateur , la présomption du sens courant des mots , la présomption de conformité au droit international et aux traités, la présomption de conformité à la Constitution et aux lois fondamentales , la présomption de conformité au droit commun, la présomption de modification du droit antérieur, la présomption de l’effet utile ».
Pour toutes ces illustrations qui renseignent suffisamment sur les règles et définitions juridiques de la loi interprétative et de la loi d’interprétation, on retient que la proposition de loi initiée par le député de la majorité ne correspond pas à la loi interprétative. La loi initiale a été modifiée, l’auteur reconnait avoir dans son texte réduit le champ d’application de l’amnestie et il a ajouté à l’art.3 de nouvelle dispositon « ni aux droits des victimes à une indémnisation».
II y a aussi le principe de la rétroactivité que l’on ne peut pas être appliqué dans de pareille situation. Et si, les FDS étaient les cibles, le combat est perdu d’avance, sauf sur les cas avérés de torture réprimés par le droit international. Pour rappel, la loi ne dispose que de l’avenir, à l’exception des lois rétroactives qui sont au nombre de trois (3), à savoir : la loi interprétative, la loi de validation et la loi expressement rétroactive.
En tout état de cause, la proposition de loi du député de la majorité ne peut qu’être considérée comme une loi d’interprétation et non interprétative! D’ailleurs, dans son amendement à l’article premier, l’auteur lui-même écrit : « le titre est intitulé Proposition de loi portant l’interprétation de la loi 2024 - 09 du 13 mars 2924 portant amnestie».
Alioune Souaré
Spécialiste du droit parlementaire