Mon été 2016 fût riche en rencontres, échanges et découvertes. Parmi ces découvertes, des Sénégalais formés à Polytechnique Paris en font partie. Naturellement, quand on voit les siens accéder aux meilleures filières du monde, on se pose au moins ces deux questions : qui sont-ils ? Et que font-ils à la sortie de ces filières ?
A la vue de cette photo présentée ici , je me suis posée ces questions par simple curiosité. Pour savoir. Pour découvrir. Puis j’ai eu cette envie de partager. Partager avec ceux qui voudront comme moi, savoir tout simplement. Partager avec ceux qui se cherchent et qui pourraient suivre les voies des meilleurs. Partager avec ces jeunes, à qui on fait la promotion de la médiocrité tous les jours. Partager avec ceux qui ne savent pas que les leurs sont tout aussi capables que les géants du monde. Partager pour montrer qu’ils sont peut-être loin mais ô combien acteurs du développement du Sénégal. Partager tout simplement.
Je commence le récit de ces parcours par deux anciens X qui m’ont marquée par leurs parcours assez similaires, leur envie débordante de partager leur expérience mais aussi et surtout leur humilité. Oui oui : humilité, eux qui sont si souvent traités d’arrogants par certains collègues des autres grandes écoles d’ingénieurs. Je vous préviens, cela va être long. Si vous avez le temps, tentez le coup et lisez jusqu’au bout. Et si vous êtes pressés, je vous préconise de lâcher l’affaire. Mais attention, repassez ; ces expériences partagées pourraient vous inspirer.
Lorsque ma demande d’interview fut envoyée à la mailing list des X sénégalais, il fut le premier à me répondre. Il avait rédigé un long email avec un détail de son parcours et à la fin du dit email, il me fit une proposition de rencontre à Paris, puisqu’il y était pour ses vacances. Bien sûr que la prolixe que je suis préfère 10 millions de fois une rencontre physique qu’un parcours détaillé dans un email. Les milles et une choses qu’on pourrait découvrir dans un entretien oral ne pourront jamais remplacer des informations brutes fournies sur une feuille blanche. Lui, c’est Thierno Ly.
Elève au lycée Limamoulaye en série S1, lauréat au concours général (2ème prix de mathématiques), Thierno est arrivé à Paris en 2003 après l’obtention de son baccalauréat avec une mention AB. A l’époque c’était le lycée qui s’occupait de toutes les démarches administratives pour l’obtention d’une pré-inscription en France. La consigne était d’éviter Paris (parce que c’est cher) et de choisir les villes où les élèves avaient des connaissances. Thierno lui, choisit Paris parce qu’il y avait des amis ainsi que l’Université Val de Marne, appelée aussi Paris 12, parce que la filière STPI (Science et Technologie pour l’Ingénieur) n’existait qu’à Paris et dans une autre ville où il ne connaissait personne.
“La première semaine à Paris 12 fut un choc pour moi. Le niveau en maths-physique était faible et il m’arrivait souvent de corriger certains professeurs”, raconte-il, un sourire hésitant aux lèvres. Par la suite, Thierno a cherché à changer de filière. L’administration de Paris 12 lui informa que c’était chose impossible, il fallait attendre la fin du premier semestre pour tout changement. Au semestre suivant, il quitta STPI pour faire science de la matière avec des dominantes en Physique et Chimie. Il y fera peu de mathématiques. Cela ne lui convenait toujours pas. Il fit alors des recherches pour une nouvelle université qui le menèrent à Paris 6, communément appelé Pierre et Marie Curie, la meilleure université de France à l’époque. Il fut pris directement en 2ème année à Paris 6 sur dossier. Là-bas, il découvrit le système des prépas intégrées (les universités avec une filière prépa) qu’il rejoignit naturellement.
“Ma 2ème année à Paris 6 se passa très bien. Les matières scientifiques étaient de haut niveau et les cours, intensifs” confie-t-il. Il a ensuite passé les concours d’entrée aux grandes écoles (INSA, Supelec et autres) qu’il réussit tous et choisit Supelec. En parallèle, ses professeurs lui avaient conseillé de passer le concours de Polytechnique Paris. Thierno était un étudiant inscrit à Supelec lorsqu’il a déposé un dossier pour intégrer l’X. Il fut pré-sélectionné, puis sélectionné, avant de passer le concours qu’il réussira avec brio. C’est en plein mois d’avril que Thierno Ly quitte Supelec pour rejoindre Polytechnique Paris. Nous étions en 2006.
Ma chance, je pense, c’est d’avoir été le premier de la famille à avoir fait l’école française et d’avoir eu des parents qui m’ont poussé vers le haut. Par la suite, c’est par vocation et passion que je me suis entièrement consacré aux études.
Au même moment, un autre jeune homme, ancien élève du lycée Limamoulaye également, lauréat au concours général et bachelier S1 avec mention Bien, avait lui, directement intégré Paris 6 dès son arrivée en France en 2004. Lui c’est Talla Gueye. Dans une famille, il y a souvent parmi les enfants, le réglo, le bosseur, le gentil le meilleur dans la conduite. Celui que les parents désignent toujours comme l’exemple. Au lycée Limamoulaye, avec la promotion 2005, c’était Talla Gueye, le modèle à suivre. Les élèves de Terminale de la seule S1 du lycée Limamoulaye et de la classe pilote S2F (à l’époque il existait le système de classe pilote où le lycée Limamoulaye mettait les meilleurs élèves de chaque série dans une classe) se souviendront de lui. Tous les professeurs de maths, physique et chimie rappelaient sans cesse son génie aux élèves. Quand on lui rappelle cette anecdote, il ne tarde pas à préciser qu’ils y en avaient des plus intelligents que lui mais qui ont été distraits en cours de route par le football ou contraints de travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. “Ma chance, je pense, c’est d’avoir été le premier de la famille à avoir fait l’école française et d’avoir eu des parents qui m’ont poussé vers le haut. Par la suite c’est par vocation et passion que je me suis entièrement consacré aux études.” conclut-il, d’une voix posée et assez gênée.
Si Talla avait directement rejoint Paris 6 après son Bac, c’est parce-qu’il a eu ce qu’il appelle un “éclaireur” et cet éclaireur n’est personne d’autre que Thierno Ly. “Thierno est l’une de ces personnes qui non seulement réussissent mais aident également les autres à réussir. Il m’a énormément apporté dans ma vie scolaire tout commeCheikh Tidiane Diagne, cet autre aîné qui m’a fourni de prestigieux conseils sur mon parcours professionnel. Nous étions nombreux à bénéficier de leur aide lorsque nous étions au lycée.” confie Talla, enthousiaste. En effet, Thierno et Talla se connaissaient depuis Dakar. Ils ont fait le même lycée. Quand Talla était en 1ère, Cheikh et Thierno étaient en Tle. Ce dernier partageait avec Talla et d’autres, ses cours et exercices de Terminale. Arrivé en France, Thierno continuait à informer son cadet depuis Paris des formations d’excellence existantes sur place. “ Sur les conseils de Thierno, j’ai directement intégré Paris 6 et évité les mauvaises surprises qu’il a eues à son arrivée en France.” Se rappelle-t-il.
Les deux jeunes de Limamoulaye se sont donc retrouvés à l’X. Si le choix de Thierno pour Polytechnique Paris a été motivé par les professeurs dans un premier temps, puis attiré par le prestige de l’école, celui de Talla est tout autre. En effet, ce dernier, à 18 ans, avait une vision claire de ce qu’il voulait faire : un doctorat en mathématiques et devenir enseignant. Au fil des ans et face à une certaine situation familiale, il opta pour un compromis entre sa passion, les mathématiques, et l’opportunité de finir rapidement les études et d’avoir une très bonne situation pour aider les siens. Donc avant d’intégrer l’X, Talla avait passé et réussi le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Paris pour devenir enseignant. Il s’est retiré de l’ENS pour intégrer l’X en plein mois d’avril 2007.
Les choix professionnels après Polytechnique Paris
Aujourd’hui Talla et Thierno se sont retrouvés salariés chez Total par le plus grand des hasards. Ce n’est ni le cadet qui a suivi l’aîné, ni l’éclaireur qui a conseillé son poulain mais un bienheureux concours de circonstances.
Pour Talla, la filière d’ingénieur à l’X lui permettait de travailler toutes les matières qu’il aimait : mathématiques, mécanique, physique, chimie, informatique,… « Je ne me suis pas du tout ennuyé à Polytechnique car je touchais à tout et je voulais retrouver cet aspect multi-discipline dans mon futur job. Le domaine du pétrole répondait à ces exigences et Total est l’un des meilleurs dans le secteur”. Argumente-t-il. En effet pour Talla, rejoindre Total lui permettait d’appliquer toutes ces disciplines scientifiques dans son travail de tous les jours. « De plus, je voulais évoluer dans un environnement international et Total m’offrait l’opportunité de changer de pays tous les 3 ans en moyenne« . Poursuit-il Talla a ainsi rejoint Total depuis 6 ans maintenant. Il a fait 2 ans à Paris et depuis 4 ans, il évalue et optimise la production de champs offshore (des réserves de pétrole) au Nigéria . Il réalise également des travaux de développement et de prévision de la production de pétrole d’ici 20 ans. Dans quelques mois, il s’envolera au Moyen Orient, à Abu Dhabi, pour dit-il, être au coeur de la zone qui a la plus grande réserve de pétrole mais aussi être davantage sur le terrain pour approfondir ses connaissances et compétences. “Plus tard, je souhaiterai utiliser ces expériences acquises sur le terrain pour servir le Sénégal. Et ce dès que l’opportunité se présentera”. Ajoute-il.
Quant à Thierno, c’est à cause de 2 malheureuses expériences qui l’ont conduit dans le domaine du pétrole puis courtisé par Total avant même l’obtention de son diplôme. En effet, en 2ème année à l’X, le jeune polytechnicien avait effectué son stage de découverte à l’office National de l’Aéronautique et Aérospatial, l’ONERA (l’équivalent de la NASA à la française). Expérience qu’il avait aimé et qui l’avait poussé en 3ème année, à faire ses choix de matière qui répondaient aux besoins de sa passion nouvelle : l’aéronautique et l’aérospatial.
Au bout de 3 mois, j’arrive et je n’avais même pas accès à l’intranet. J’étais tout seul dans un bureau et mon encadrant à l’époque avait mis tout ce dont j’avais besoin pour travailler dans un disque dur et m’a dit « Tiens, tu travailles avec ça ».
Lors de son stage de 3ème année, l’ONERA l’avait recontacté pour une opportunité de 6 mois. Proposition que l’élève ingénieur accepta avec enthousiasme. Durant ce stage, il a eu la mauvaise surprise de constater que c’était un domaine fermé aux étrangers. La première mauvaise expérience était qu’il avait dû attendre 3 mois après le Go de l’ONERA avant de débuter sa mission. Une enquête pour vérifier qu’il n’avait aucun antécédent était passée par là. « Au bout de 3 mois, j’arrive et je n’avais même pas accès à l’intranet. J’étais tout seul dans un bureau et mon encadrant à l’époque avait mis tout ce dont j’avais besoin pour travailler dans un disque dur et m’a dit « Tiens, tu travailles avec ça » ». Confie-t-il, un large sourire aux lèvres, la tête acquiesçant la surprise qui se lisait sur mon visage.
Je fus interdit de participer à ces rencontres du fait de ma nationalité sénégalaise.
Sa 2ème mauvaise surprise apparut dans un long projet avec une équipe de 5 personnes où ils devaient créer un satellite gravitant autour du soleil. “Nous avions récolté des informations sur le projet et lorsque nous devions rencontré des experts du domaine pour échanger sur le projet, je fus interdit de participer à ces rencontres du fait de ma nationalité sénégalaise. Il fallait être Français ou ressortissant de l’UE pour assister à ces réunions car classées top secrètes par soucis d’espionnage technologique.”Raconte-t-il.
Avec ces deux mauvais souvenirs, Thierno comprit que son statut de non Européen ne lui permettrait pas de travailler dans ce domaine. “J’ai dû changer tous mes plans pour la 4ème année »précise-t-il. En effet, pour sa 4ème année, Thierno avait postulé à Supaero, Mines, Pont et chaussées pour y étudier de l’aerospatial. Après ces terribles expériences à l’ONERA, il a cherché un secteur dans lequel il pouvait s’épanouir en Afrique. Et le pétrole s’est imposé à lui naturellement. « J’ai ainsi effectué ma spécialisation en 4e année à l’ENSPM (Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs), aujourd’hui appelée IFP (Institut Français du Pétrole). Avant même l’obtention de mes 2 diplômes (X et IFP), j’ai été embauché chez Total S.A. en septembre 2009 où je travaille depuis 7 ans maintenant » Conclut-il. Tout comme Talla, Thierno a également intégré une filière chez Total qui lui permet de bouger régulièrement. « J’ai commencé en tant qu’ingénieur réservoir (une branche des géosciences) de 2009 à 2011. Ensuite je suis parti au Nigéria en tant qu’ingénieur « Well performance » (gestion de la productivité et de la performance des puits) pendant 2 ans. De 2013 à juin 2016, j’ai été affecté au Gabon en tant qu’architecte pétrolier (connu sous le nom d’Ingénieur Planning et Développement dans le monde anglo-saxon) ». Précise-t-il. Lorsque nous nous sommes rencontrés en début août, Thierno s’apprêtait à s’envoler pour l’Angola pour s’occuper de la coordination des campagnes de revamping des plateformes pétrolières offshore de Total.
J’ai envie de partager cette réalité pour dire à ceux qui le vivent qu’ils ne sont ou n’ont pas été les seuls mais aussi et surtout pour éviter que d’autres le vivent.
Tout comme moi, vous pourriez vous demander pourquoi il a accepté de parler de ces mauvaises expériences à l’ONERA. Sa réponse m’a encore confirmée la générosité de cet homme dans le partage d’expérience. «J’ai envie de partager cette réalité pour dire à ceux qui le vivent qu’ils ne sont ou n’ont pas été les seuls mais aussi et surtout pour éviter que d’autres le vivent ». Réplique-t-il, sur un ton ferme.
Les liens avec le Sénégal
Reconnaissance. Tout au long de mes échanges avec Thierno et Talla, j’ai senti leur fort sentiment de reconnaissance envers le Sénégal. Ils font parti de ces milliers de jeunes sénégalais qui affirment qu’au delà du mérite, de ne jamais pouvoir sortir du pays s’ils n’avaient pas obtenu la bourse du gouvernement et s’il n’y avait pas eu une administration de leur lycée qui s’est occupée de leur demande de pré-inscription dans les universités françaises. En plus de leur bourse qu’ils partageaient avec leurs familles restées au pays dès leur première année en Occident, ils se sont lancés dans divers projets en destination de leurs proches et des élèves du lycée Limamoulaye.
Nous sommes nombreux à être boursiers et à être volontaires pour assister les plus jeunes mais nous n’avons pas de structures officielles et sûres pour le faire
C’est ainsi que Talla initia, avec d’autres camarades de promo, un projet qui vise à distribuer des manuels scientifiques au programme aux élèves, les orienter, soutenir les plus démunis en mettant des professeurs à leur disposition pour des cours particuliers et aider ceux qui veulent continuer leurs études supérieures dans leurs démarches administratives au Sénégal et une fois dans leur pays d’accueil. “Le plus important pour moi est d’aider ceux qui vont arriver en France et que ces derniers puissent rendre l’appareil à d’autres.” affirme-t-il. Toujours dans cette logique d’aide aux cadets, Talla a émis l’idée d’un système de remboursement de la bourse à la fin des études et ce avec un certain pourcentage. L’objectif étant de soulager les plus démunis et que ces derniers continuent la chaîne d’aide. “Nous sommes nombreux à être boursiers et à être volontaires pour assister les plus jeunes mais nous n’avons pas de structures officielles et sûres pour le faire”. Renchérit-il. Tout comme Talla qui s’est totalement engagés dans des projets éducatifs, Thierno a également beaucoup investi dans l’éducation. Ainsi avec son frère, il a créé l’école privée Mamadou Dia aux parcelles assainies, dans la région de Dakar. De plus, il a investi dans les transports afin de rendre financièrement autonomes certains de ses proches et participer ainsi à l’économie du pays.
Le retour au pays
J’aurai tellement voulu que les dirigeants sénégalais aient cette politique de venir chercher dans la diaspora, les profils qui ont des compétences pointues dans certains domaines. Cela ne pourrait être que bénéfique pour le pays.
“Je suis très attentif aux offres du marché dans le domaine du pétrole au Sénégal. Il y a des projets et des entreprises qui émergent. Si j’ai une offre qui prend en compte mes expériences dans le domaine et qui me permet de vivre décemment au pays, je rentrerais sans hésitation”. Confie Thierno. Par ailleurs, il déplore que l’Etat du Sénégal finance les études de certains fils du pays et que ce soit la France qui profite de ces talents. Et c’est cette même France qui se plaint de ses étudiants qui partent aux US pour terminer leurs études. “J’aurai tellement voulu que les dirigeants sénégalais aient cette politique de venir chercher dans la diaspora, les profils qui ont des compétences pointues dans certains domaines. Cela ne pourrait être que bénéfique pour le pays.” Conclut-il, sur un ton triste.
Quand à Talla, la question du retour dépendra des opportunités qui se présenteront à lui. En attendant, il estime être utile au pays même en étant loin. “Je retourne au Sénégal 4 fois dans l’année pour me consacrer aux projets éducatifs évoqués et d’autres que je ne pourrais étaler tant qu’ils ne seront pas réalisés. Ces retours fréquents me permettent aussi de prendre état de la situation du pays et des possibles projets comparés à ce qui se fait de mieux à l’étranger. Conclut-il, optimiste.
Entre émotion, questionnement et espoir
Mon père était fier quand il a vu cette photo de moi avec l’uniforme de l’X. Tu vas devenir policier me demandait-il souvent sur un ton moqueur.
On en arrive à la fin du récit de ces deux parcours et j’avoue que pendant la rédaction de ce billet, je suis passée par toutes les émotions. La fierté. Talla et Thierno sont issus de familles très modestes, où ils étaient les seuls à avoir fait de grandes études. En quittant le Sénégal, ils portaient déjà un certain poids social et familial sur leurs épaules. Ils ont eu un parcours atypique excellent à l’étranger avec des parents qui ne mesuraient pas forcément l’ampleur du travail de leurs fils. “Mes parents n’étaient même pas au courant que j’avais intégré Paris 6, polytechnique Paris et aujourd’hui Total. Je ne leur ai rien dit, car ils ne comprendraient pas”, me disait Thierno. Quant à Talla, les siens ne connaissaient pas non plus le prestige de cette école, mais ils savaient que leur fils s’en sortait très bien. “Mon père était fier quand il a vu cette photo de moi avec l’uniforme de l’X. Tu vas devenir policier me demandait-il souvent sur un ton moqueur”. Raconte Talla. Si vivre dans un tel cadre familial les a réussi, d’autres en auraient pu être bloqués. D’où encore leur mérite.
Ensuite, j’ai découvert en eux de vrais ambassadeurs du Sénégal et de véritables investisseurs. Ils ont beaucoup investi dans les transports, l’immobilier et l’éducation au pays. Certains projets ont abouti et d’autres sont en cours de réalisation. Et là un tourbillon de questions se déclenche dans ma tête. Seraient-ils capables de faire tous ces projets s’ils étaient restés au Sénégal? Un Thierno et un Talla sont-ils moins patriotes que celui qui a laissé toutes les opportunités en Occident pour retourner chômer au pays (au nom du patriotisme et du “être chez soi”)? Ne peut-on pas être à l’étranger et avoir plus d’impact sur son pays? Qu’est-ce qui compte finalement : être au pays ou agir, faire pour le pays? J’extrapole et je me suis demandée si les Français qui partent en Chine et au Japon pour ouvrir des restaurants et vendre ainsi la gastronomie française, sont-ils moins patriotes que ceux qui sont restés? Ces mêmes Français qui partent en Grande Bretagne pour créer des entreprises et revenir investir en France, sont-ils moins patriotes que les autres qui travaillent en France ? Je n’ai pas toutes les réponses mais chaque concerné pourrait y réfléchir et y répondre.
Je sors de ce tourbillon de questions et je me replonge dans un autre. Comment expliquer que le Sénégal ait récemment découvert du pétrole et qu’il n’ait pas contacté ses meilleures ressources dans ce domaine. Polytechnique Paris forme des futurs dirigeants. En France, ils sont à la tête de grandes entreprises. Certains pays étrangers “récupèrent” leurs meilleurs profils sortant de l’X et des grandes écoles d’ingénieurs pour les placer sur des secteurs clés du pays. La Côte d’Ivoire l’a fait, il fut un temps. Pourquoi ne pas créer cette atmosphère, cette ambiance, cette ouverture au Sénégal? On parle d’une jeunesse en défaut de repères alors que nous ne mettons pas les meilleurs au devant de la scène. Pourquoi ne pouvons-nous pas voir un Talla ou un Thierno dans les affaires de la cité de Mamadou Ibra Kane (c’est un exemple parmi d’autres) pour débattre sur le pétrole? Sur notre pétrole? Pourquoi nous ne les impliquons pas tout simplement? Ici je parle de Talla et Thierno, mais je peux facilement le généraliser en parlant de tous ces jeunes brillants vivant au Sénégal ou dans la diaspora qu’il faudrait rappeler, récupérer, valoriser …
Et je terminerai avec une note d’espoir. Autant j’ai été marquée par le désir ardent de ces jeunes hommes d’aider et de partager leurs expériences, autant j’ai été surprise de constater que leur volonté d’aider se heurtait à une absence de structure officielle et fiable. En effet, ils font partie de ces nombreux boursiers de l’Etat du Sénégal, aujourd’hui salariés, prêts à participer à un système de remboursement total de cette bourse. Ce remboursement se fera dans le temps, en fonction des moyens de chaque ancien boursier. Ceci dans le but d’aider d’autres qui puissent avoir eux aussi leur chance. Thierno et Talla réalisent déjà des projets et ils semblent désireux d’en faire plus. Mais à qui s’adresser? Peut-être à toi qui me lira. A toi qui trouveras que c’est un défi que tu pourrais relever. Un projet qui pourrait t’intéresser. Peut-être au gouvernement qui met autant d’effort pour que ses meilleurs éléments quittent le pays et peu de moyens pour garder la trace de ces derniers et les récupérer systématiquement. J’ai espoir.
Je garde espoir aussi pour un meilleur système organisé par la génération décomplexée que nous sommes. J’ai espoir que nous créerons les futurs médias qui feront appel aux meilleurs de leurs domaines afin de nous informer au mieux. Des organes de presse qui mettront en avant sur les plateaux de télé et stations de radio, ceux qui savent, inspirent et donnent l’exemple. Et surtout j’espère qu’ils feront la démarche d’aller les chercher. Oui parce qu’il faudra aller les chercher, les dénicher, comme le font les plus grandes nations du monde. Ils ne viendront pas d’eux mêmes. Les tonneaux pleins ne font pas de bruit.
Je garde espoir et espère que ceux d’entre nous qui aspirent à diriger le pays demain, prennent en compte dès maintenant cette nécessité de prôner, récupérer, utiliser et d’appliquer l’excellence. Et enfin, j’ai espoir que les futurs chefs d’entreprises parmi nous iront chercher ces meilleurs profils partout où ils se trouveront.
J’ai adoré échanger avec ces fils du Sénégal et citoyens du monde. Ils incarnent réellement le travail, la générosité et l’humilité. Croyez-moi, si je le répète, c’est parce-que ce ne sont pas que de simples mots. Merci à toi le courageux qui a lu jusqu’ici. Sache que Thierno se dit prêt à échanger avec toi si jamais tu veux en savoir un peu plus sur son parcours, ou si tu veux intégrer Total (en stage ou CDI) ou encore, si tu veux échanger sur le sujet du pétrole en Afrique. En outre, si tu es collégien ou lycéen, Talla te donne rendez-vous à l’association sakku Xam Xam pour te prêter des livres, t’orienter et t’encadrer. Pour les amoureux de la lecture, il vous recommande, le “Discours de la méthode” de Descarte (livre qu’il lit 3 fois dans l’année et qui lui donne à chaque fois, de nouvelles perspectives) et “Cosmos” de Carl Sagan. Pour les philosophes, il pense que vous devriez lire , si ce n’est pas encore le cas, “L’Alchimiste” de Paolo coelho et “La ferme des animaux” de Georges Orwell.
Aminata THIOR (http://leregardeminatag.mondoblog.org)