
Les chances d’Ousmane Sonko de se présenter à la prochaine présidentielle de 2024 s’amenuisent. La Cour suprême qui a statué hier sur son recours portant sur le refus de la Direction générale des Elections de lui donner une fiche de parrainage a rejeté sa requête. Cependant, le juge de la Chambre administrative a servi un argumentaire peu cohérent, avant de retenir enfin qu’il ne s’agit pas de libertés fondamentales non intangibles et que la Dge peut bien restreindre ces libertés et refuser la délivrance au leader de Pastef. Ousmane Sonko peut se consoler du fait que le Procureur général a été de son côté.
Ousmane Sonko a perdu une manche, hier, devant la Cour suprême. La chambre administrative qu’il avait saisie d’une requête aux fins d’ordonner à la Direction générale des Elections de lui remettre une fiche de parrainage et tout ce qui suit a rejeté son recours, compromettant ainsi ses chances de pouvoir se présenter à la prochaine joute de 2024. Mais, cela n’a pas été un jeu simple et facile pour le juge Abdoulaye Ndiaye.
Sans trop exagérer, on peut retenir qu’il s’est passé hier à la Cour suprême un fait digne d’un scénario politique. Abdoulaye Ndiaye, en effet, a déjoué tout le monde en faisant un argumentaire qui, dans sa chute, a donné le tournis. Sur l’incompétence soulevée à l’audience par l’agent judiciaire de l’Etat, le juge des référés a dégagé en touche, retenant qu’il est bien compétent. S’agissant de l’irrecevabilité également, le magistrat a écarté disant que la requête est bien recevable. Il a invoqué l’article 85 de la loi organique sur la Cour suprême soulevé déjà par les avocats d’Ousmane Sonko qui lui permet de connaître de l’affaire. Abdoulaye Ndiaye a aussi suivi les conseils du maire de Ziguinchor sur l’urgence soulevée. Il a, en outre, souligné, à l’attention de l’agent judiciaire de l’Etat que la décision écrite de la Dge, même si elle n’existe pas, cela importe peu. «La seule lettre de réclamation suffit», souligne-t-il.
L’article 8 de la constitution sénégalaise invoqué par l’agent judiciaire, Yoro Moussa Diallo, le juge de la Chambre administrative ne l’a pas retenu ; il a plutôt suivi le raisonnement des conseils du leader de Pastef Les Patriotes, en ce que cet article est énumératif des droits et libertés fondamentaux, mais il n’est pas exhaustif, selon le juge. Par contre sur la violation des droits et libertés fondamentaux, le juge a certes fait droit aux avocats de l’opposant politique du fait que le Sénégal a signé des conventions et pactes internationaux, mais il dit «cependant», que le refus est, en soi, une violation des droits et libertés fondamentaux, mais ce ne sont pas des droits et libertés fondamentaux non intangibles et encadrés par la loi et que cette loi ayant donné à la Dge des pouvoirs dans la distributions des fiches de parrainage, cette dernière peut valablement restreindre ces libertés. En clair, selon le juge, l’autorité administrative, en l’occurrence le ministère chargé des élections, a bien le droit de ne pas remettre la fiche à Ousmane Sonko. Sur ce, il a rejeté la requête du leader de Pastef, prenant ainsi toute l’assistance au dépourvu.
Le Procureur général requiert dans le sens de la restitution des droits d’Ousmane Sonko
Le Procureur général a surement été perdu par le raisonnement et la chute du président de la Chambre administrative. Cependant, lorsque ce dernier lui a demandé s’il avait des répliques à faire, la dame Mariétou Guèye a répondu par la négative. En fait, défendant les intérêts du ministère public, le Procureur général a fait un réquisitoire digne d’un Cours magistral. Dans son argumentaire, il s’en est pris à l’agent judiciaire de l’Etat et à la Direction générale des Elections qui, selon elle, a outrepassé ses prérogatives et n’avait aucune autorité pour refuser la délivrance d’une fiche à Ousmane Sonko.
La défense plaide l’urgence et évoque les cas de Karim Wade et Khalifa Sall
Ils ont été dix avocats à défiler devant le prétoire de la Chambre administrative pour défendre les intérêts de leur client. Premier à prendre la parole, Me Bamba Cissé a insisté sur le préambule de la Constitution qui souligne l’importance des instruments internationaux qui précisent le respect des libertés fondamentales. Me Cissé a évoqué l’urgence à statuer sur la requête et la violation des droits et libertés fondamentaux d’Ousmane Sonko. L’avocat a aussi souligné le cas de Karim Wade et Khalifa Sall qui ont été écartés finalement de la course en 2019 que par le Conseil constitutionnel. «Il y a une rupture d’égalité», peste-t-il, avant de poursuivre : «la Dge veut ainsi régler une question qui est dévolue au Conseil constitutionnel. Il n’y a pas un dossier d’inéligibilité qui a été versé. (…) La prétention à la candidature est à distinguer du statut de candidat. Le Dge a émis juste de simples propos pour refuser ; on est dans l’arbitraire pur». «Il n’existe aucun texte qui peut servir de fondement au refus de délivrance de la fiche», selon Me Macodou Ndour. «C’est une voie de fait manifeste», ont quasiment repris tous les avocats dans leurs plaidoiries.
L’article 312 du code de procédure pénale évoqué par l’agent judiciaire ne tient pas, selon Me Ndour pour qui la contumace n’est pas à l’ordre du jour et donc l’Aje a tort de l’évoquer. «En vertu de quoi un fonctionnaire peut se substituer au Conseil constitutionnel ?», a pesté Me Demba Ciré Bathily. «J’ai honte pour mon pays ; j’ai honte de venir plaider pour qu’une administration soit contrainte à respecter les droits des citoyens. C’est parce que la démocratie a été grossièrement agressée que nous sommes là. Si vous acceptez, vous aurez décidé du sort politique de Ousmane Sonko», dira Me Amadou Diallo. Mes Ciré Clédor Ly, Ousseynou Ngom, Cheikh Ahmadou Bamba Fall, Etienne Ndione, Khoureychi Bâ, Massokhna Kane et Ousseynou Fall ont rejoint leurs confrères dans leurs plaidoiries.
L’Aje s’arcboute à l’article 8 de la Constitution
De son côté, l’agent judiciaire de l’Etat assisté par ses collègues a été le seul à prendre la parole. Yoro Moussa Diallo a soulevé une incompétence de la Cour suprême soutenant qu’il s’agit d’une réclamation relative à l’élection présidentielle et que c’est le Conseil constitutionnel qui est compétent. Il a soutenu également qu’il n’y a aucune urgence comme veulent le faire croire les avocats du requérant. L’Aje a précisé qu’il n’y a aucune décision écrite de la Dge sur le refus. Il a en outre invoqué l’article 312 du code de procédure pénale qui souligne que la publicité rendue par rapport à la décision de condamnation d’Ousmane Sonko par la Chambre criminelle le met hors course. «Je m’en limite à l’article 8 de la constitution qui a énuméré les droits et tangibles et intangibles», conclut-il avant de demander le rejet. Le juge ne l’a pas totalement suivi, mais il a tout de même rejeté la requête du leader de Pastef.
Alassane DRAME