Le chef du principal parti d'opposition en Côte d'Ivoire, Tidjane Thiam, a été radié de la liste électorale par la justice qui a estimé mardi, à six mois de la prochaine présidentielle, qu'il avait perdu sa nationalité ivoirienne, selon l'un de ses avocats. La justice ivoirienne a estimé, mardi, que le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire « avait perdu la nationalité ivoirienne quand il a acquis la nationalité française ». Thiam avait renoncé à la nationalité française en mars dernier pour pouvoir se présenter au scrutin prévu en octobre prochain. Malgré sa radiation jugée définitive par la justice, le président du Pdci refuse de renoncer à sa candidature à la présidentielle d’octobre 2025. Une posture qui ouvre une phase politique incertaine, dans un pays hanté par les fantômes de l’ivoirité.
Le couperet est tombé mardi 22 avril : la justice ivoirienne a ordonné la radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale, au motif qu’il aurait perdu sa nationalité ivoirienne en obtenant la nationalité française dans les années 1980. Une décision qualifiée d’inattaquable juridiquement, à six mois d’une élection présidentielle déjà sous haute tension. Thiam dénonce une décision qu’il qualifie de manœuvre juridique injustifiée destinée à écarter un adversaire politique sérieux. « Le pouvoir vient d’éliminer à travers un raisonnement juridique inique et incompréhensible son rival le plus sérieux […] Ce n’est pas normal et ce n’est pas l’image que je souhaite que notre pays donne de lui-même… », déplore-t-il.
Mais loin de baisser les bras, l’ancien patron du Crédit Suisse, devenu figure de proue de l’opposition, a opposé une fin de non-recevoir : « Je suis absolument déterminé à ne pas accepter cette radiation », a-t-il déclaré ce mardi soir lors d’une prise de parole très attendue.
Une radiation aux accents politiques et un refus catégorique de renoncer
Face à ses militants, Tidjane Thiam s’est montré ferme, offensif, et presque combatif. « Il n’y aura pas de plan B, il n’y aura pas de plan C », a-t-il martelé. « J’appelle les militants du Pdci à rester mobilisés. » Un message clair adressé aussi bien à ses soutiens qu’au pouvoir en place, qu’il accuse à mots couverts de manipuler la justice pour écarter des adversaires gênants.
Le ton employé par le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), ancien parti unique et toujours force politique majeure dans le pays, contraste avec l’approche légaliste qu’il avait jusque-là privilégiée. La décision du tribunal semble avoir marqué un tournant. Pour le camp Thiam, c’est désormais le rapport de force politique qui prime.
Né en Côte d’Ivoire en 1962 Tidjane Thiam a obtenu la nationalité française en 1987, dans le cadre de sa carrière internationale. Pour se conformer aux règles électorales ivoiriennes qui interdisent la double nationalité aux candidats à la présidentielle, il a officiellement renoncé à sa nationalité française en mars 2025. Mais pour ses détracteurs, c’était trop tard. Ils invoquent l’article 48 du code ivoirien de la nationalité, adopté dans les années 1960, selon lequel l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère entraîne la perte de la nationalité ivoirienne.
La justice a donné raison à cette interprétation, malgré la présentation par ses avocats de documents prouvant que Thiam avait également la nationalité française par filiation, via son père. Mais rien n’y a fait : le tribunal a tranché, actant la radiation de l’opposant, sans possibilité de recours.
Le retour de l’« ivoirité » pour une nouvelle crise politique ?
Au-delà des aspects juridiques, c’est la dimension identitaire de l’affaire qui heurte une large partie de l’opinion. Les attaques contre Thiam n’ont cessé de mettre en doute ses « origines » en raison de son nom, considéré comme typiquement sénégalais. Cette rhétorique fait dangereusement écho au concept d’« ivoirité », qui avait déjà empoisonné la vie politique ivoirienne dans les années 1990, écartant à l’époque un certain Alassane Ouattara de la course à la présidence sous prétexte de « nationalité douteuse ».
Aujourd’hui président sortant, Alassane Ouattara se retrouve accusé d’orchestrer à son tour l’exclusion de concurrents politiques : Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, et maintenant Tidjane Thiam. Officiellement, chacun de ces hommes est radié pour des raisons judiciaires ou administratives. Mais pour leurs partisans, c’est une stratégie délibérée d’assèchement du jeu démocratique à l’approche du scrutin.
La sortie de Tidjane Thiam a immédiatement relancé la tension sur le terrain. Si le Pdci se mobilise, si ses militants considèrent la radiation comme un coup d’État institutionnel, la situation pourrait rapidement dégénérer. Déjà, plusieurs voix au sein de la société civile appellent à une désescalade, redoutant une nouvelle crise post-électorale comme celle de 2010-2011, qui avait causé plus de 3000 morts.
En réponse, le gouvernement reste silencieux, misant sans doute sur l’effet d’usure. Mais dans un pays où la mémoire des conflits est encore vive, la volonté d’Alassane Ouattara de verrouiller la présidentielle pourrait bien se retourner contre lui. Car si Thiam refuse de se retirer, et si d’autres figures de l’opposition suivent, c’est toute la légitimité du scrutin qui pourrait être remise en cause.
Sidy Djimby NDAO