Le Sénégal subit de lourdes pertes économiques à cause de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), une pratique qui menace la biodiversité et fragilise la gouvernance maritime. Une réforme structurelle s’impose pour combattre efficacement ces infractions et limiter les flux financiers illicites qu’elles engendrent. Dans un texte publié hier, Birahime Seck, Coordonnateur général du Forum civil, note que face aux pertes économiques et à la criminalité transfrontalière liées à la pêche INN, le Sénégal doit repenser ses mécanismes de surveillance et de protection des pêches. Selon lui, une modernisation des outils de contrôle et une plus grande transparence des données sont nécessaires pour renforcer la lutte contre les flux financiers illicites.
Le 18 octobre 2024, un communiqué des Armées a souligné l’importance de la Marine nationale dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) au Sénégal. Ce combat, au-delà de la protection des ressources halieutiques, constitue un enjeu majeur dans la réduction des flux financiers illicites qui gangrènent l’économie bleue et affaiblissent la gouvernance maritime.
Une lutte d’importance stratégique
Le communiqué publié par le Capitaine de Vaisseau Ibrahima Sow, Directeur des relations publiques des Armées, annonçait la visite imminente du président de la République à bord du patrouilleur de haute mer « Cayor ». Ce patrouilleur, à l’instar d’autres ressources déployées par la Marine sénégalaise, participe activement à la surveillance des eaux nationales, assurant non seulement la sécurité maritime mais également la protection des ressources halieutiques. La pêche INN, qui génère des pertes économiques estimées à 150 milliards de F Cfa pour le Sénégal en 2018, affecte directement le Trésor public et menace la sécurité alimentaire. «La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INN) est une pratique de pêche non durable qui défie les autorités nationales, sous-régionales, régionales et internationales, remet en cause les procédures nationale, régionale et internationale établies en matière de pêche durable, détruit la biodiversité marine, occasionne des pertes financières importantes pour le Trésor public, crée une instabilité sociale et bafoue la gouvernance éthique des océans», a noté Birahime Seck. Et d’ajouter que, de façon spécifique, la pêche illicite est pratiquée sans autorisation ou en violation des lois et règlements établis dans un État ou par une organisation de gestion des pêches. «La pêche non déclarée est une pêche dont le produit n’a pas été déclaré aux autorités compétentes ou a été déclaré partiellement ou faussement. La pêche non réglementée est une pêche pratiquée avec un navire sans nationalité, se réclamant de plusieurs nationalités ou avec une fausse nationalité ou un navire détenant une licence pêchant dans une zone interdite ou en s’adonnant à la capture de produits juvéniles», ajoute-t-il.
Un cadre juridique solide mais à renforcer
Le Code de la pêche maritime du Sénégal, notamment ses articles 83 à 85, confère à l’Armée des pouvoirs de surveillance étendus. Les agents peuvent inspecter les navires, vérifier les licences et examiner les captures. Cependant, malgré ce cadre législatif, dénonce Seck, les infractions persistent. Le manque de transparence dans le système de gestion des données sur les activités de pêche, les licences et les captures fragilise l’efficacité des contrôles.
Une menace globale et régionale
À l’échelle mondiale, les pertes liées à la pêche INN sont estimées entre 23,5 et 36,5 milliards de dollars, dont 11,5 milliards pour le continent africain. En Afrique de l’Ouest, les navires impliqués dans ces pratiques illicites aggravent la criminalité financière et transfrontalière. Les autorités sénégalaises sont appelées à moderniser les systèmes de surveillance et à renforcer la coopération interinstitutionnelle pour faire face à cette menace complexe.
Vers une réforme structurelle
Pour combattre efficacement la pêche INN, le Sénégal, dit-il, doit revoir sa stratégie. La direction de la Protection et de Surveillance des Pêches (Dpsp) est en première ligne de cette lutte. Toutefois, elle nécessite une réforme profonde pour devenir une autorité administrative indépendante dotée de moyens humains et financiers suffisants. Seule une refonte systémique pourra garantir une surveillance renforcée des pêches, à l’aune des défis posés par la criminalité maritime et l’exploitation des hydrocarbures. «Les missions de la direction de la Protection et la Surveillance des Pêches (Dpsp), en termes d’inspections (portuaire, maritime, fluviale, des unités de traitement de produits halieutiques), de surveillance participative, de contrôle par senseurs, des patrouilles aériennes doivent être davantage modernisées et valorisées. Il en est ainsi du système global de certification des captures », a-t-il encore écrit, disant que le système actuel est assez désuet. Il doit être dématérialisé et consolidé.
Pour ce faire, il y a un besoin de réformer l’arrêté n°1975 du 5 mars 2010 instituant le certificat de capture des produits de la pêche INN. Une bonne réforme du système de certification des captures peut faire avancer la lutte contre la pêche INN et réduire les pertes en flux financiers illicites. La réforme va crédibiliser le suivi et la surveillance des pêches en ce qui concerne les informations sur les opérations de pêche et les marquages des navires.
L’urgence de la transparence
L’Initiative pour la transparence dans le secteur de la pêche (FITI) offre un cadre idéal pour accroître l’accès à l’information et renforcer la gouvernance des pêches. Le partage systématique des données sur les ressources halieutiques, les navires autorisés, et les infractions commises est crucial pour garantir une gestion durable du secteur. La lutte contre la pêche INN et les flux financiers illicites ne saurait être effective sans un changement de paradigme. Le Sénégal doit s’engager dans une réforme globale de sa gouvernance maritime, améliorer la transparence et moderniser ses systèmes de surveillance pour protéger ses ressources halieutiques et garantir une croissance économique durable.
Sidy Djimby NDAO