À l’occasion du Global Solutions Summit tenu à Berlin, l’ancien président de la République du Sénégal, Macky Sall, a prononcé un discours d’une rare densité intellectuelle sur le rôle de l’Afrique dans un multilatéralisme contemporain en crise. Face à un auditoire international composé de chercheurs, décideurs publics et leaders d’opinion, l’ancien chef d’État a dressé un diagnostic lucide du système mondial actuel, tout en proposant des pistes concrètes pour en corriger les dérives. Un discours qui sonne comme un appel à la lucidité et à la responsabilité des puissances mondiales. Car selon Macky Sall, au-delà du cas africain, c’est le devenir même du multilatéralisme qui est en jeu : un système fondé sur la solidarité internationale, ou une ère de fragmentation et de méfiance généralisée.
Dans un monde secoué par des crises multidimensionnelles – guerres, menaces terroristes, urgence climatique, tensions géoéconomiques – Macky Sall a lancé un vibrant appel à une refondation du multilatéralisme, qu’il juge désormais inadapté. « Le système multilatéral, né dans les décombres de la guerre pour promouvoir la paix, le progrès partagé et la solidarité entre les nations, montre aujourd’hui ses limites », a-t-il déclaré en ouverture, soulignant que les réponses collectives aux défis actuels sont de plus en plus rares, et souvent inefficaces.
Prenant appui sur l’exemple africain, Macky Sall a articulé son propos autour de quatre grands défis auxquels le continent est confronté : la sécurité, le développement, la transition énergétique et la gouvernance mondiale.
Sur le plan sécuritaire, l’ancien chef d’État a particulièrement insisté sur la situation du Sahel, miné par un terrorisme qui s’enracine durablement. Il a dénoncé l’inadéquation des missions de maintien de la paix de l’Onu face à cette menace spécifique, appelant à une réforme des mandats, mais aussi à un soutien logistique et financier accru. « La persistance du terrorisme en Afrique constitue une menace globale (…) qui relève de la responsabilité du Conseil de sécurité, garant du système de sécurité collective », a-t-il averti.
Ce diagnostic s’inscrit dans une tendance lourde de ces dernières années, marquée par la fin abrupte de certaines missions onusiennes dans des zones critiques (notamment au Mali), sans solutions de rechange crédibles. Macky Sall en appelle ainsi à une nouvelle approche fondée sur « l’architecture africaine de paix et de sécurité », mais adossée à un véritable soutien international.
Une injustice économique structurelle
Le deuxième axe de son intervention a porté sur les freins systémiques au développement économique de l’Afrique. Alors que le continent regorge de richesses – 60 % des terres arables non exploitées de la planète, d’importantes ressources minières, hydriques et énergétiques – Macky Sall a dénoncé un ordre économique mondial profondément déséquilibré. Parmi les obstacles qu’il a pointés : les «congés fiscaux abusifs» qui vident les recettes publiques, la «perception exagérée du risque» qui décourage l’investissement et les méthodologies contestées des agences de notation, lesquelles renchérissent le coût de l’emprunt pour les États africains. «Il est temps de refonder la coopération internationale sur des paradigmes réinventés», a-t-il proposé, citant la réforme de la fiscalité internationale, celle des notations financières, et un accès assoupli au crédit export. Dans ce contexte, il a estimé que l’Afrique n’a «pas besoin d’une aide publique au développement aux mécanismes peu efficaces», mais plutôt de «règles justes et de partenariats équitables».
L’environnement : pour une transition juste, pas punitive
Le troisième pilier de son plaidoyer concerne la transition énergétique et la justice climatique. Tout en réaffirmant l’engagement de l’Afrique dans la lutte contre le réchauffement climatique, Macky Sall a dénoncé une certaine hypocrisie des pays industrialisés, notamment la décision unilatérale prise à la COP26 d’interdire le financement international des projets fossiles, y compris du gaz, « même peu polluant ».
« Le continent qui pollue le moins ne peut être contraint de choisir entre développement et protection de l’environnement, ou de s’endetter pour financer seul les coûts de l’adaptation », a-t-il déclaré. Le président Sall a ainsi plaidé pour une transition énergétique juste et équitable, soulignant les efforts déjà engagés par l’Afrique dans des projets sobres en carbone.
Il a également réitéré son appel à soutenir l’initiative AAAP (Africa Adaptation Acceleration Program), lancée en 2021 avec l’Union Africaine, la Banque africaine de développement et le Centre mondial pour l’adaptation. Objectif : mobiliser 25 milliards de dollars d’ici 2030 pour renforcer la résilience climatique du continent, notamment dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures et de la finance.
Réformer les règles du jeu mondial
Enfin, Macky Sall a abordé la question sensible de la gouvernance mondiale. Il a salué des avancées symboliques, comme l’admission de l’Union Africaine au G20 – une victoire obtenue sous sa présidence de l’UA – ou encore l’octroi d’un troisième siège à l’Afrique au Conseil d’administration du Fmi.
Mais ces progrès demeurent insuffisants au regard des déséquilibres persistants. «Le multilatéralisme de l’après-guerre est en passe de devenir obsolète», a-t-il insisté, appelant à une réforme en profondeur du Conseil de sécurité de l’Onu et de la Banque mondiale, afin qu’ils deviennent plus inclusifs, plus représentatifs, et donc plus légitimes.
L’élargissement des Brics aux pays du Sud global apparaît, selon lui, comme le symptôme d’un système contesté, qui risque la fragmentation s’il ne se réforme pas rapidement. «Il n’est pas souhaitable d’en arriver là», a-t-il prévenu, prônant une gouvernance mondiale fondée sur le respect des différences, les valeurs partagées et des intérêts mutuellement bénéfiques.
Dans une conclusion empreinte de gravité, Macky Sall a néanmoins voulu croire en une espérance «agissante», appuyée sur «le courage du dialogue» et «la foi dans notre humanité commune». Une vision d’un multilatéralisme rénové, débarrassé des conditionnalités idéologiques et de la logique des rapports de force, où l’Afrique pourrait enfin participer à égalité à la définition des règles du jeu mondial.
Sidy Djimby NDAO
