Une nouvelle révision constitutionnelle a été opéréepar l’Assemblée nationale le 10 décembre dernier. Ce, pour restaurer le poste de Premier ministre. Une révision très controversée avec pas moins de 4 amendements introduits,dont deux par les frères Dolly de l’opposition et deux autres par Théodore Monteil de la majorité. Ancien parlementaire, ancien président de groupe parlementaire, Doudou Wade n’en revient pas de ce qui s’est passé.Pour lui, la sacralité de la Constitution a été profondémentatteinte. Et malheureusement,c’est arrivé sous la direction de grands universitaires comme Ismaïla Madior Fall.
Une révision constitutionnelle est souvent sujette à des contestationset celle du 10 décembre dernier n’a pas été épargnée. En effet, l’Assemblée nationale saisie par le président de la République a procédé ce jour à l’examen du projet pour le retour du poste de Premier ministre en procédure d’urgence.Validé sans surprise par une écrasante majorité, Doudou Wade estime par contre qu’il n’y a pas de quoi être fier. Pire,dit-il, ceux qui ont permis l’adoption de ce projet de loi ont atteint la sacralité de la Constitution sénégalaise.
«Ceux qui disent que cette omission date de 2016 se trompent, ça vient de 2012. Ismaïla Madior Fall a été gagné par une paresse universitaire, il n’a fait que du copier-coller»
Faisant l’historique des changements opérés jusque-là dans lesprocédures de révision de la Constitution, Doudou Wade soutient que le peuple se détermine par référendum,mais comme on ne peut pas toujours l’interroger, le constituant a trouvé un raccourci en cherchant au peuple des représentants que sont les députés. «Alors, de 1959 à maintenant, il ya eu deux positions. Soit la Constitution est révisée par référendum ou par l’Assemblée nationale.Et depuis cette année,il fallait 3/5 des membres de l’Assemblée nationale pour procéder à la révision de la Constitution», précise-t-il. Poursuivant, le candidat de la coalition Wallu Sénégal pourla ville de Dakar d’affirmer que c’est à partir de 1998que le Sénégal a eu un parlement bicaméral avec l’arrivée du Sénat qui vient s’ajouter à l’Assemblée nationale. De ce fait, la loi ne passait plus seulementà l’Assemblée nationale, le Sénat aussi était consulté et la loi n’est donc adoptée que si les deux chambres ont le même vote.
Et si l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas la même position, pour les autres lois, elles retournent à l’Assemblée qui a la priorité, mais s’il s’agit de la Constitution,elle passe par leCongrès, un mixte de l’Assemblée et du Sénat.C’est en ce moment,dit-il, que l’on a établi que la notion «des 3/5 des membres de l’Assemblée» va être remplacéepar celle «des 3/5 des suffrages exprimés».
Mais, en 2012,le Président Macky Sall a supprimé le Sénat et Aminata Touré, son ministre de la Justice d’alors,est allée vers l’Assemblée nationale procéder aux modifications en faisant sortir tous les points qui concernaient le Sénat,mais il y a eu un oubli : les 3/5 des suffrages exprimés.«Ceux qui disent que cette omission date de 2016 se trompent. Elle date de 2012. Ismaïla Madior Fall a été gagné par une paresse universitaire, il n’a fait que du copier-coller.Nous l’avons rappelé plusieurs fois à l’Assemblée, j’ai fait une lettre spécifique au ministre de la Justice,mais rien n’a été fait et voilà que cela nous rattrape», rappelle-t-il.
«Avec6 personnes, on peut réviser la Constitution, alors que pour la loi organique qui est moins importante, on nous dit qu’il faut une majorité absolue de l’Assemblée nationale»
Selon l’ancien président du groupe parlementaire libéral, on nous parle maintenant de 3/5 des suffrages valablement exprimés. Il yen a même qui disent 6 députés, sans dire exactement comment, d’après Doudou Wade. Mais pour lui, tout est question de calcul et des dispositions du règlement intérieur. «On peut avoir 20 députés présents à l’hémicycle sans pouvoir faire passer une loi», souligne-t-il. L’ancien député de préciser que pour voter une loi, il faut nécessairement un président de séance, deux secrétaires élus, un rapporteur et les deux vice-présidents consignés à la salle. Avec ces 6 personnes, on peut réviser la Constitution,alors que pour la loi organique qui est moins importante que la fondamentale, on nous dit qu’il faut une majorité absolue de l’Assemblée nationale. «On parlait de révision consolidanteet déconsolidante, mais cette fois-ci, nous avons une révision désacralisante. La sacralité de la Constitution a été atteinte profondément. Et malheureusement, elle a été atteinte sous la direction de grands universitaires comme Ismaïla Madior Fall», fulmine Doudou Wade. «Il s’est expliquéen disant que sa position diffère selon ses fonctions. C’est comme pour dire que quand il est politique, il s’assoit sur le droit constitutionnel. Ce qui est d’ailleurs très dangereux,parce qu’un universitaire, quelle que soit sa fonction, doit rester universitaire. Voilà les raisons qui ont amené Serigne Cheikh Mbacké Bara Dollyà introduire cet amendement», renseigne l’ancien parlementaire.
«L’irresponsabilité devant laquelle l’Assemblée nationale se trouve actuellement est portée par le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar»
Selon lui, la majorité a automatiquement rejetél’amendement parce qu'il est porté par le président du groupe parlementaire de l’opposition, mais aussi parce que, selon Aymérou Gningue, tout amendement qui n’a pas fait l’objet de discussion dans leur groupe WhatsApp sera automatiquement rejeté. «Voilà l’irresponsabilité devant laquelle l’Assemblée nationale se trouve actuellement. Et elle est portée par le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar», tonne Doudou Wade.
Comparant la 11e législature à la 13e, l’ancien président du groupe parlementaire libéral d’assurer qu’en leur temps, bien que majoritaires, ils avaient renvoyédes projets de loi au gouvernement à cause des remarques ou amendements de l’opposition d’alors. «Nous nous avons eu des loisqu’on nous a envoyés et c’est l’opposition qui nous avait poussés non seulement à ne pas les adopter, mais à les retourner au gouvernement.Quand on a voulu sauter le procureur dans le cadre de la Centif, on n’avait pas compris ; j’aidonc appelé Ngouda Kane à l’Assemblée nationale en tant que président du groupe parlementaire de la majorité de la 11èmelégislature et il a su nous convaincre.Nous avons renvoyé le texte du ministre de la Justice auprès du président de la République et on a rectifié. Nous n’avons pas la même orientation, la même expérience,ni la même vision», conclut-il.
NdèyeKhady DIOUF