
L’Assemblée nationale vient de déclencher une série de procédures de mise en accusation touchant cinq anciens ministres du régime de Macky Sall. Mais Alioune Souaré trouve que les textes qui régissent cette juridiction d’exception traînent beaucoup de lacunes qui ne jouent pas en faveur de ceux qui y seront traduits. L’expert en droit parlementaire note une rupture d’égalité et une restriction des droits des accusés de la Haute Cour de justice. Par exemple, pour une même infraction commise et des poursuites engagées, la juridiction de droit commun respecte toutes les procédures, notamment l’assistante illimitée d’avocats, l’enquête préliminaire, l’appel, le recours en cassation. Ce qui n’est pas le cas pour les procédures enclenchées devant la Haute Cour de justice.
Après Mamadou Dia et Idrissa Seck, la liste des anciens ministres qui ont maille à partir avec la Haute Cour de justice va s’allonger. L’Assemblée nationale a demandé la mise en accusation de Ismaïla Madior Fall, Ndèye Saly Diop Dieng, Moustapha Diop, Aïssatou Sophie Gladima et Mansour Faye, tous d’anciens ministre du President Macky Sall. Ladite juridiction est composée du Premier président de la Cour suprême qui la préside, avec pour suppléant le président de la Chambre pénale de la Cour suprême et de huit juges titulaires, tous des députés élus par l’Assemblée nationale avec leurs suppléants.
«Chaque inculpé n’a droit qu’à un seul avocat devant la commission d’instruction»
Concernant la procédure, précise Alioune Souaré, l’Assemblée nationale détient la compétence exclusive en matière de saisine de la Haute Cour de justice, l’article 17 de la loi organique susvisée pévoit : «la résolution de l’Assemblée nationale votée dans les conditions prévues à l’article 101 de la Constitution et portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice, contient les prénoms, les noms, les fonctions des accusés, l’énoncé sommaire des faits qui leur sont reprochés et, dans le cas prévu à l’alinéa 2 de l’article 101 de la Constitution, le visa des dispositions législatives en vertu desquelles est exercée la poursuite». C’est donc à la Commission des lois de l’Assemblée nationale qu’il revient de préparer et de soumettre un projet de résolution de mise en accusation pour chaque ministre concerné. Ce projet de résolution fait l’objet d’un débat à l’hémicycle, adopté au trois cinquièmes (3/5) des députés, à l’exception des huit députés et leurs suppléants déjà désignés comme juges à la Haute Cour de justice et qui ne participent ni au débat ni au vote,
Dés son adoption, elle n’est plus un projet, mais une résolution défintive de mise en accusation et c’est à partir de ce moment qu’elle est transmise sans délai par le président de l’Assemblée nationale au procureur près la Cour suprême, étant aussi le procureur de la Haute Cour de justice. Celui-ci la notifie, dés la reception et dans les 24 heures, au président de la Commission d’instruction et au président de la Haute Cour de justice.
Puis la Commission d’instruction dirigée par le président de Cour d’appel de Dakar et composée de quatre autres magistrats de la Cour d’appel, se réunit sans délai et démarre les enquêtes selon son agenda de travail et suivant la convocation de chacun des ministres accusés.
«Dès réception de la résolution de mise en accusation (…) le président de la commission peut décerner un mandat d’arrêt contre les ministres accusés»
Pour ce qui est de la comparution des accusés, l’expert en droit parlementaire souligne qu’il y a deux niveaux de comparution : celle devant la Commission d’instruction et celle de jugement.
A en croire M. Souaré, c’est l’article 21 de la loi organique portant Haute Cour de justice qui traite la question de la comparution devant les magistrats instructeurs : «la Commission d’instruction est convoquée sans délai sur ordre de son président qui invite chaque inculpé à faire assurer sa défense par un avocat régulièrement inscrit ou une personne de son choix. Faute par l’inculpé de déférer à cette invitation, il lui désigne un défenseur d’office parmi les avocats inscrits. Jusqu’à la réunion de la Commission d’instruction, son président peut accomplir tous les actes d’informations utiles à la manifestatation de la vérité et peut décerner tout mandat contre les accusés. Dès sa première réunion, la Commission confirme, le cas échéant, les mandats décernés par son président».
Selon l’ancien député, la première lecture que l’on peut tirer de cette disposition (les inculpés ont chacun le droit d’être assisté par un seul avocat devant la commission d’instruction), c’est que cela dénote une restriction des droits et libertés des accusés qui n’ont fait l’objet d’aucune enquête préliminaire.
Alors que l’article 22 donne des prérogatives aux quatre magistrats instructeurs de disposer en guise d’assistance d’un ou plusieurs magistrat(s) qui reçoivent commission rogatoire pour instruire une ou plusieurs affaire(s).
La seconde déduction, d’après Souaré, c’est que «dès réception de la résolution de mise en accusation et avant la première de commission d’instruction, son président peut décerner un mandat d’arrêt contre les ministres accusés».
Il s’y ajoute que «les actes de la Commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours». Cela montre clairement qu’il y a un non-respect du principe de double degrés de juridiction. «La Commission d’instruction est saisie des faits qualifiés de crimes et délits visés par les dispositions de la loi pénale et énoncés dans la résolution de la mise en accusation. La Commission d’instruction ordonne, s’il y a lieu, le renvoi des accusés devant la Haute Cour de justice, lorsque la procédure lui paraît complète», prévient-il.
Pour ce qui est de la comparution de jugement, il est à la requête du Procureur général et le président de la Haute Cour de justice fixe la date d’ouverture des débats pour la tenue du procés ou du jugement. L’expert parlementaire explique que les accusés reçoivent, huit (8) jours au plus tard avant leur comparution devant la Haute Cour, signification de l’ordonnance de renvoi. A cet effet, les débats tenus devant la Haute Cour sont publics, mais ils peuvent exceptionnellement se tenir à huis clos. «Aprés la clôture des débats, la Haute Cour statue sur la culpabilité des accusés et sur l’application d’une peine. II est procédé au vote par bulletin secret à la majorité absolue pour chaque chef d’accusation et pour chaque accusé. Toutefois, s’il y a deux peines distinctes proposées et dans lesquelles aucune d’entre elles n’a obtenu la majorité des voix, il est écarté au fur et à mesure la peine la plus forte, le vote se poursuit jusqu’à ce qu’une peine obtienne la majorité des votants.
«Les arrêts de la Haute Cour ne sont susceptibles ni d’appel, ni de pourvoi en cassation»
A noter aussi que les arrêts de la Haute Cour ne sont susceptibles ni d’appel, ni de pourvoi en cassation. IIs peuvent cependant faire l’objet de révision dans les formes et conditions légales.
Alioune Souaré révèle en définitive que le vote des juges de la Haute cour pour l’application des peines prévues à l’article 34 de la loi organique 2002-10, contraste non seulement avec les dispositions de l’article 101 alinéa 3 de la constitution qui stipule : «la Haute cour est liée par la définition des crimes et délits, ainsi que par la détermination des peines, telle qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis»; mais aussi avec les dispositions de la constitution qui consacre dans le préambule son adhésion à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en son article VIII : «a loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement et légalement appliquée».
En somme, la loi organique n°2002-10 du 22 février 2002 sur la Haute cour de justice ne garantit pas la tenue de procès respectueux des droits des accusés, elle viole la constitution en son article 7 qui stipule que «tous les êtres humains sont égaux devant la loi», piétine le principe de double degré de juridiction qui est un gage dans le respect de tout procès équitable et quelles que soient les infractions commises. En effet, un ministre qui doit être jugé par la Haute Cour de justice ne bénéficie pas du droit de recours comme un Directeur général qui est jugé dans les juridictions civiles, même s’ils commettent les mêmes délits de détournement de derniers publics.
Ndèye Khady D. FALL