Le voisin du Sénégal qui en est presque l’arrière-pays, le Mali, vit une élection présidentielle qui ressemble à un remake de celle de 2013, opposant au second tour les mêmes protagonistes, Ibrahima Boubacar Keita et Soumaïla Cissé. Sauf que, cette fois, la donne a bien changé. «IBK» veut un second mandat, après 5 ans au pouvoir et durant lesquels la rébellion djihadiste s’est propagée au centre du pays. Il avait en face de lui 23 candidats, dont la majorité s’est officiellement alignée derrière son challenger au second tour Soumaïla Cissé.
En tout cas, le Président Ibrahima Boubacar Keita n’est pas parvenu durant son mandat de 5 ans à éradiquer le mouvement islamiste qui tient en coupe réglée le Nord du pays. Bien au contraire, les attaques et attentats se sont intensifiés et propagés vers le centre et le sud du Mali. L’accord qui avait été signé avec la rébellion touarègue n’a pas connu un début de mise en œuvre, malgré la présence dans le pays de forces importantes de stabilisation de l’Onu, mais aussi d’appui dans la lutte contre le djihadisme avec les Français et d’autres contingents de pays européens.
L’élection présidentielle, aujourd’hui, sans être décisive dans l’évolution de la situation sécuritaire du Mali, pourrait constituer un tournant. Le challenger du Président sortant a fait du retour de la paix un thème de campagne, mais aussi de la réorganisation de l’armée et du renforcement de l’Etat. Des promesses de campagne qui ne seront pas faciles à tenir.
Soumaïla appelle à un «large front contre la fraude»
En tout cas, les Maliens connaissaient depuis hier vendredi les protagonistes du second tour de la présidentielle, entre le sortant Ibrahim Boubacar Keïta et son principal opposant, Soumaïla Cissé, qui a battu le rappel des éliminés du premier tour pour tenter de refaire son retard. Pourtant, Soumaïla Cissé, qui a recueilli le 29 juillet 17,8% des voix, contre 41,42% pour Ibrahim Boubacar Keïta, selon des résultats officiels proclamés jeudi soir lors d’une annonce impromptue, a dénoncé vendredi devant ses militants des résultats «ni sincères, ni crédibles». «Nous ne les accepterons pas!», a lancé l’ancien ministre des Finances, se gardant toutefois d’annoncer des recours devant la Cour constitutionnelle. M. Cissé a appelé les 22 candidats éliminés à constituer autour de lui un «large front démocratique contre la fraude» et pour l’alternance. Estimant que «le camp du changement est désormais majoritaire», celui qui affrontera de nouveau le 12 août M. Keïta au second tour, comme en 2013, a jugé la victoire «à portée de main» si l’opposition «se rassemble».
Aliou Diallo et Cheick Modibo Diarra, en faiseurs de roi
Mais, ce qui est sûr, pour le moment, c’est que la seule femme candidate, Djénéba Ndiaye, qui a obtenu 0,36% des voix, s’est ralliée au Président sortant dans la matinée d’hier.
N’empêche, le jeu des négociations a déjà commencé du côté des candidats malheureux. Les regards sont tournés vers les faiseurs de roi qui occupent la troisième et quatrième place. Il s’agit de Aliou Diallo et Cheick Modibo Diarra, respectivement troisième et quatrième du premier tour.
Arrivé troisième avec près de 8% des suffrages exprimés, l’homme d’affaires Aliou Diallo a bousculé les codes en s’imposant à la classe politique traditionnelle malienne pour sa première candidature à la présidentielle. Mais si on ne peut présager de qui il va soutenir entre Soumaïla Cissé et Ibrahim Boubacar Keïta, son entourage explique qu’effectivement il a battu campagne autour du terme de l’alternance, mais qu’il veillera sur les intérêts de son parti avant de rallier l’un des deux candidats du second tour. Avant, il va falloir digérer une certaine amertume. Le camp d’Aliou Diallo était convaincu d’être présent au second tour. Et d’ores et déjà, il laisse un petit peu planer la menace d’une contestation possible des résultats.
«Après six mois seulement du parcours politique d’Alou Diallo, réussir à se hisser dans une position de favori et de force politique incontestable de ce pays, c’est déjà un grand pas que nous avons franchi, estime Cheick Oumar Diallo, directeur de communication d’Aliou Diallo. Mais nous estimons également qu’il y a un certain nombre d’irrégularités qui ont floué et qui ont entamé de manière très claire la sincérité et la transparence de ce scrutin. L’enlèvement de certaines urnes de manière irrégulière, le dépouillement qui s’est produit dans certaines localités en l’absence de certains agents électoraux, mais également la question des plus de 200.000 bulletins déclarés nuls par l’administration nous interrogent. Les conseils juridiques du candidat Aliou Diallo sont actuellement en train de plancher sur l’ensemble des voies que nous pourrons emprunter afin de rétablir le candidat Aliou Diallo dans ces droits et d’assurer la transparence et la sincérité de ce scrutin».
Des rencontres en vue
Arrivé lui en quatrième position, l’ancien Premier ministre Cheick Modibo Diarra est crédité de 7% des suffrages exprimés de cette élection. Autre faiseur de roi potentiel, des proches de l’un des deux candidats du second tour devraient chercher à le rencontrer dès hier vendredi, selon des informations recueillies par Rfi. Mais Cheick Modibo Diarra prendra une décision vraisemblablement après avoir consulté son allié, Moussa Mara, ancien Premier ministre comme lui, qui a jeté l’éponge pour le soutenir dès le premier tour. «Le candidat a décidé de consulter sa base. La base de la coalition, c’est sept partis politiques, c’est une centaine d’organisations de la société civile. Il va les consulter et prendre leur opinion en compte avant d’aller dans un sens ou dans un autre. A ce moment précis, aucune indication. Et s’il y en a, elle viendra du candidat lui-même. C’est lui, Cheikh Modibo Diarra, qui prendra cette décision», assure Moussa Mara.
«IBK» favori, mais…
«IBK est malgré tout est favori», a confirmé Mamadou Samaké, sociologue et enseignant à l’université de Bamako, soulignant ses réalisations dans le domaine social et de la construction de routes. Les alliances du second tour ont commencé. Mais il faut huit points à IBK» pour atteindre la majorité absolue, a-t-il souligné, alors que pour l’emporter, Soumaïla Cissé devra faire le plein des voix des autres candidats et mobiliser très largement ses partisans.
Malgré la situation sécuritaire précaire, la participation a été de 43,06%, un taux plutôt supérieur à la moyenne habituellement observée dans ce vaste pays d’Afrique de l’Ouest connu pour son rayonnement culturel mais où moins d’un tiers des plus de 15 ans sont alphabétisés. Elle a été affectée par une série d’attaques djihadistes présumées qui ont perturbé le vote dans plus de 700 bureaux sur quelque 23.000, essentiellement dans des zones rurales du centre, malgré la mobilisation de plus de 30.000 membres des forces de sécurité, nationales et étrangères.
Le Sénégal et le Mali
Le Sénégal est intéressé au premier chef par ce qui se passe au Mali, notamment cette élection présidentielle dont le second tour, fixé au 12 août prochain, opposera le Président sortant, Ibrahima Boubacar Keïta au chef de l’opposition démocratique, Soumaïla Cissé. En effet, entre le Mali et le Sénégal, c’est une longue histoire dont le pic aura été l’éphémère Fédération du Mali, qui avait réuni les deux Etats nouvellement indépendants de la colonisation française, au début des années 60. La rupture avait été douloureuse, singulièrement pour la République du Mali, qui a dû chercher auprès de la Côte d’Ivoire une voie de sortie et d’entrée de ses marchandises, par le port d’Abidjan. Heureusement, la raison a fini par prévaloir entre le Mali et le Sénégal et les relations ont bien prospéré à travers l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs), partagée avec la Mauritanie. Le chemin de fer Dakar-Niger fut longtemps le cordon ombilical entre les deux pays, jusqu’à ce que cette infrastructure périclite pour n’être que l’ombre d’elle-même. Le trafic routier est resté important, puisque le gros du commerce malien avec l’extérieur transite par le port de Dakar. Mais, les acquis ont besoin d’être consolidés entre les deux pays, par une réhabilitation du chemin de fer désormais géré par la société Dakar Bamako Ferroviaire, mais qui tarde à se faire. D’où des risques réels de voir le trafic malien détourné, une fois encore, vers Abidjan et même vers Conakry ou Nouadhibou. Au plan sécuritaire, les djihadistes qui ont noyauté le Nord Mali, essaimant jusqu’au Niger et au Burkina Faso, pourraient bien chercher à avoir pied sur le bord de mer sénégalais. Aussi, la stabilité du Mali doit être une préoccupation des autorités et du peuple sénégalais.
Mansour KANE