Le Doyen des juges d’instruction en a terminé définitivement avec le dossier Ndongo Diao depuis le mois de juillet dernier. Après plus de 7 ans d’instruction, le juge Samba Sall a enfin rendu son ordonnance de renvoi. Sur les quatre personnes inculpées, au tout début de l’histoire, trois ont été renvoyées en jugement dont l’ancien Directeur général de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (Artp). Ndongo Diao et Cie doivent répondre des chefs de détournement de deniers publics, concussion, corruption passive etc. Le Journal «Les Échos» revient sur l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction.
Inculpé en 2012 pour détournement de deniers publics portant sur près de 5 milliards de nos francs, Ndongo Diao a eu plusieurs années de répit, puisque le dossier dormait dans les tiroirs du Parquet. Mais il ne s’en est jamais défait pour autant. Et il lui faudra encore des arguments en béton pour s’en séparer définitivement. Car, le Doyen des juges d’instruction a trouvé des charges suffisantes à son encontre pour le renvoyer en jugement devant le Tribunal correctionnel. L’ancien Directeur général de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des postes (Artp) doit répondre des délits de détournement de deniers publics, concussion, corruption passive et faux et usage de faux en écritures publiques authentiques. Il n’est pas le seul à devoir répondre de ces chefs. Léon Pierre Sagna, ancien chef de la division finance de l’Artp, est également renvoyé pour les mêmes délits. L’autre personne qui devra répondre devant le juge correctionnel est Moustapha Yacine Guèye. Le Directeur général de la société MTL West Africa SA est poursuivi pour 299 millions de francs, mais également pour détournement et escroquerie portant sur des deniers publics, de complicité de faux et d’usage de faux en écritures publiques authentiques et corruption passive.
Cependant, Mamadou Yaké Bah, alors agent comptable particulier a été blanchi totalement dans cette affaire.
A l’origine : une plainte de Thierno Alassane Sall
Cette affaire remonte au 29 mai 2012 avec la plainte contre X, auprès du procureur, du remplaçant d’alors de Ndongo Diao, à la tête de l’Artp. Thierno Alassane Sall soulignait qu’en application du décret n°2011-1271 du 24 août 2011 instituant un système de contrôle et de taxation des communications téléphoniques entrant au Sénégal, Ndongo Diao avait signé, le 15 décembre 2011, un contrat d’assistance avec la société MTL West Africa SA représentée par son Directeur général Moustapha Yacine Guèye. MTL devait installer un système de contrôle des appels entrants et de détection des fraudes permettant à l’Artp de collecter dans de bonnes conditions la quote-part revenant à l’Etat sur la taxation des appels. Il précisait ainsi qu’il y a eu deux avenants en 14 jours comportant des avantages exorbitants au profit de MTL. Ainsi, Moustapha Yacine Guèye et sa société bénéficiaient de 39,99% des montants facturés aux opérateurs qui a varié jusqu’à 42,99%. Ainsi, dans un premier temps, MTL a reçu un paiement de 3 milliards 70 millions francs pour la période allant du 1er décembre 2011 au 31 janvier 2012, alors que non seulement le contrat le liant à l’Artp n’a été signé que le 15 décembre 2011 mais elle n’a exécuté aucune de ses obligations résultant du contrat.
Après investigations, les enquêteurs ont conclu que les pourcentages devaient porter non pas sur le montant facturé, mais sur la somme collectée qui se trouvait être 2.822.325.272 francs. Ce qui signifie que MTL ne devait percevoir que 1.213.176.634 francs. Du coup, elle a un trop perçu de 1.860.282.365 francs.
Moustapha Yacine Guèye accuse Ndongo Diao et s’engage à payer le trop perçu
Moustapha Yacine Guèye, interpellé, sur le trop-perçu, soutenait avoir été «induit en erreur» par Ndongo Diao qui lui a fait croire qu’il était payé sur les montants effectivement collectés. Il s’est alors engagé à payer le trop-perçu. Quant à Léon Pierre Sagna, il affirmait avoir signé conjointement avec le Directeur général un virement de plus de 200 millions de francs en faveur de Pierre Goudiaby Atepa, en règlement du solde de facture consécutivement à la réalisation de plans et d’une maquette de la Radiotélévision Africaine.
En outre, les éléments de la Section de recherches avaient découvert que Ndongo Diao avait versé à Cheikh Amar, Directeur de la société Touba Real Estate, 3 milliards 500 millions francs pour l’acquisition d’un immeuble aux Almadies et que c’est en l’absence de l’agent comptable particulier, Mamadou Yaké Bah, en voyage, que Pierre Léon Sagna sur demande de Ndongo Diao a réalisé l’achat et le paiement de l’immeuble. Un deuxième immeuble sera acquis pour 4 milliards et 700 millions de nos francs. Et au moment de son inculpation, les immeubles n’étaient pas livrés.
Ndongo Diao dit avoir payé sur instruction présidentielle
Devant le juge d’instruction, ils ont tous catégoriquement nié les faits. Même Moustapha Yacine Guèye est revenu sur sa déclaration.
Ndongo Diao a persisté dans ses dénégations expliquant avoir agi en application du décret 2011-1271 du 24 août 2011 instituant un système de contrôle et de taxation des communications téléphoniques internationales entrantes. Sur le trop perçu, il argue que le «montant facturé est toujours un montant dû». L’ancien DG de l’Artp jure avoir agi «conformément aux instructions présidentielles découlant des décrets précités et qu’il n’y a aucun détournement ayant causé un quelconque préjudice à l’Artp. Moustapha Yacine Guèye, qui avait consenti une médiation pénale qui a abouti au paiement d’un milliard à l’ordre de la Caisse de dépôt et de consignation, s’est rétracté. Il soutient avoir agi en vertu d’un contrat d’assistance technique le liant à l’Artp.
Pour ce qui est de Cheikh Amar, il a été entendu en qualité de témoin. Il a soutenu que les immeubles étaient «en vente en l’état de futur achèvement».
Les motivations du juge d’instruction
Après examen des dossiers, le juge a ordonné le non-lieu pour Mamadou Yaké Bah. Dans son ordonnance, le juge Samba Sall a indiqué que «le comptable public, exerçant un contrôle purement formel, n’est pas garant de l’exactitude des certifications de l’ordonnateur». Mamadou Yaké Bah ayant payé sur la base de toutes les pièces justificatives, Samba Sall conclut que «le paiement effectué en application du contrat et des avenants précités a ainsi une base légale».
Ndongo Diao poursuivi pour détournement de deniers publics et d’escroquerie portant sur les deniers publics
S’agissant de Ndongo Diao, le magistrat instructeur a constaté qu’il a signé un contrat avec un avenant intervenu à 14 jours d’intervalle et que ledit contrat «comportait des avantages exorbitants au profit de la société MTL». Cette dernière a ainsi reçu 1.860.282,365 francs. «Que Ndongo Diao, en complicité avec Léon Pierre Sagna a commis un faux en permettant au dernier nommé de procéder au paiement, notamment la somme de 3 milliards 500 millions de francs, en lieu et place de l’agent comptable particulier absent» a précisé l’ordonnance du juge. Pour le magistrat instructeur, cela est constitutif de détournement de deniers publics et d’escroquerie portant sur les deniers publics. En outre, précise-t-il encore, «l’information a clairement établi que MTL n’a pas exécuté ses prestations en ce qu’elle n’a pas procédé à ces installations, ce qui a été confirmé par les opérateurs de téléphonie notamment la Sonatel». Le magistrat instructeur reproche ainsi à Ndongo Diao les montants de 3 milliards 500 millions de francs et le trop-perçu de 1 milliard 850 millions. Pierre Léon Sagna a procédé au paiement des 3 milliards 500 millions de francs ; il a également commis des faux, selon le juge Samba Sall. Quant à Moustapha Yacine Guèye, il lui est reproché d’avoir détourné 299 millions de francs au préjudicie de l’Artp. L’autre grief qui lui est porté, c’est d’avoir produit de fausses pièces, mais également d’avoir porté «aide ou assistance à Ndongo Diao et Léon Pierre Sagna à commettre des faux en écritures publiques authentiques et à faire usage desdits faux». Ndongo Diao, Léon Pierre Sagna ainsi que Moustapha Yacine Guèye sont renvoyés devant le Tribunal correctionnel pour y être jugés.
Alassane DRAME