«Un besoin irrépressible de couper les ponts pour un moment». C’est ce qu’avait évoqué Diary Sow à son retour au pays. Deux mois plus tard, la jeune fille, toujours au Sénégal, a fait sa réapparition. C’était à l’occasion «Forum Exclusivement Féminin», une plateforme de rencontres et d’échanges entre femmes, initiée par l’Institut français de Saint-Louis. Occasion saisie par la jeune romancière de 20 ans pour parler de ses motivations à se lancer dans l’écriture. Diary Sow, qui se présente comme féministe, pense que chaque femme doit aujourd’hui vivre sa vie comme elle le sent, sans avoir à rendre compte sur ses choix, ses comportements ou attitudes.
Diary Sow est réapparue après un silence de près de deux mois. En effet, la jeune étudiante sénégalaise dont la disparition en France en janvier dernier avait suscité l’émotion et une très forte mobilisation, au Sénégal et dans la diaspora, a refait surface hier. C’était à l’occasion du Forum Exclusivement Féminin».
«Quand il y a certaines qui veulent se lancer, vivre leur vérité et non celles qu’on leur impose, on minimise leur légitimité»
Tout laisse croire que la jeune étudiante apportait des éléments de réponse aux nombreuses interrogations des Sénégalais. Pour la jeune fille qui n’a jusque-là pas évoqué clairement les raisons de sa disparition, la femme a besoin de se libérer des chaines imposées par la société sénégalaise. Elle peut bel et bien, à l’instar de l’homme, vivre sans préjugés, sans reproches. «Quand on se lance, quand il y a certaines qui veulent se lancer, vivre leur vérité et non celles qu’on leur impose, on minimise leur légitimité. C'est à peine si on nous accepte encore dans notre société, devenant ainsi les ‘’occidentales’’, les ‘’genn xeet’’ (marginalisées). Mais c’est un risque à prendre. Il n’y a aucune peur, aucune honte à avoir à revendiquer la femme qu’on veut être. Ce culot, ce sursaut, n’annule pas la féminité. Au contraire, il la sublime. Il ne diminue pas la valeur non plus, ne rend pas moins vertueuse», soutient la jeune étudiante.
Pour cette dernière, l’égalité homme-femme est loin de connaitre un succès au Sénégal. En effet, dit la romancière, que ce soit dans les choix, le port vestimentaire ou encore dans le milieu professionnel, la femme est pointée du doigt, jugée. «La revendication féminine arrivée tard au Sénégal a encore du chemin à parcourir. On est loin du monde où les femmes pourraient jouir librement de leur sort, de leurs biens, prendre une place dans les instances de décision sans pour autant rendre compte de leur habillement, leurs idées, leur vie sexuelle».
«Je n’étais pas certaine de pouvoir me conformer au modèle de femme imposé par notre société»
Et pour elle, la littérature est l’un des premiers champs de ces batailles. L’écriture offre un moyen, un outil à toutes les femmes qui souhaitent le changement. D’après Diary Sow, sa motivation pour l’écriture est le fruit d’une analyse profonde sur son entourage direct. «Je n’ai jamais rêvé d’être écrivaine, je n’ai jamais songé à m’engager pour une quelconque cause ou à sauver l’humanité. J’ai écrit pour la première fois pour une satisfaction personnelle. Parce que je pensais tout d’abord à ma propre consolation, à mon propre plaisir. En grandissant, j’ai observé les femmes dans mon entourage. Elles étaient le reflet du ‘’moi’’ futur. Elles étaient des modèles que je devais suivre, des modèles parfaits avec toutes les qualités du monde, du ‘’suturaa’’, du ‘’maslaa’’, la loi du silence, connus pour être les bases de l’éducation féminine sénégalaise. Mais je me suis rendue compte avec la maturité que ce modèle imposé à toutes les jeunes filles de notre pays n’était pas sans faille. Et je n’étais pas vraiment certaine de pouvoir m’y conformer. J’ai commencé à noter des injustices, des inégalités, à lire des romans sénégalais sur la condition de la femme dans la société, des romans qui pointaient un doigt accusateur sur la polygamie, le mariage précoce, l’apologie du viol, la pédophilie. Des romans qui peignaient la femme comme objet sexuel, caritatif, objet de commerce, pour mieux nous émouvoir. Et cette littérature, qui est dite étrange parce qu’elle remet en question les bases de l’équilibre de la société et l’ordre patriarcal établi et dominant, m’a poussée à revoir les motivations de mon écriture», soutient-elle.
Avant de poursuivre : «il me fallait plus écrire pour moi, mais pour améliorer les conditions de la femme. Il fallait apporter sa pierre à l’édifice de la société qui repose, qu’on le veuille ou non, sur l’oppression et l’exploitation des femmes. Et c’est pour cette raison que j’ai décidé d’écrire et de publier. Je n’ai pas vécu longtemps, mais du haut de mes vingt ans, je sais que la société sénégalaise, telle qu’elle était hier au lendemain de la colonisation vers les années 60-70, a incontestablement progressé en matière de droits des femmes en raison d’un univers politique et social et d’un changement de mentalité. Le Sénégal est passé d’une société matriarcale traditionnelle à une société patriarcale moderne. Dans la société sénégalaise traditionnelle, la femme était vénérée. Il y avait des reines, des linguères, des guerrières. On peut se féliciter des progrès qui ont été faits, mais ils restent peu suffisants si on considère le nombre de combats qu’il reste à mener comme la polygamie abusive, les violences, le viol…»
Khadidjatou DIAKHATE