Il y a de forts soupçons de conflits d’intérêt et de corruption dans l’attribution du contrat d’affermage à Suez. C’est l’avis de plusieurs organisations de la société civile, qui se sont fendues d’un communiqué hier pour sonner l’alerte et se mettre en ordre de bataille. Pour Mignane Diouf et Cie, qui doutent des capacités réelles de Suez à assurer sa mission au Sénégal, vu les difficultés financières qui l’ont poussée à vendre des actions, il ne serait pas exagéré de soutenir que la compagnie vient au Sénégal pour se refaire une santé financière. Soupçonnant des complicités et de la corruption, ces organisations citent, entre autres, des dons offerts par la société à une personnalité au cœur du dossier, des séjours dans une ville où le maire est impliqué dans le dossier.
Le Forum social sénégalais, Frapp, Conseil citoyen droit à l’eau et à l’assainissement et Gilets rouges sont plus que jamais déterminés à mener la bataille de clarification du contrat d’affermage de l’eau filé à Suez. Selon ces organisations en effet, ce contrat «a l’allure du plus gros scandale dans le secteur de l’eau au Sénégal, depuis les indépendances». Soulignant que «le dépouillement des offres reçues pour l’appel a connu beaucoup de rebondissements, avec une attribution encore contestée à la société française Suez», Mignane Diouf et Cie font état de plusieurs rejets aussi bien au niveau de la Direction du contrôle des marchés publics (Dcmp) que de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). Suffisant pour indexer le ministre Mansour Faye et son successeur à la tête du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam, qui ont «déclaré une attribution définitive du contrat à Suez, malgré les flagrants conflits d’intérêt et les soupçons de corruption».
«Les responsables de Suez logent dans un hôtel pas loin du ministère et séjournent souvent dans un autre hôtel à St-Louis…»
Réitérant l’existence de «soupçons de corruption avérés avec les dons reconnus et avoués entre Suez et des responsables du ministère en charge du dossier», lesdites organisations donnent des indices. Elles affirment, par exemple, que la Directrice désignée par Suez (pour sa filiale locale) et la dizaine d’expatriés qui l’accompagnent pour conduire les négociations avec l’Etat du Sénégal, curieusement, «logent dans un hôtel de la place, pas loin du ministère de l’Eau et de l’Assainissement, dans ses nouveaux locaux de Diamniadio». Mieux, notent-elles, ces derniers «séjournent souvent dans un autre hôtel à St-Louis, fief d’une autre personnalité (Mansour Faye) qui a été à un moment donné maître d’œuvre dans la conduite du dossier, sans doute, pour mieux parler loin de tout regard».
«Nous nous demandons si Suez ne vient pas au Sénégal pour se refaire une santé financière sur le dos du contribuable sénégalais»
Sans langue de bois, les Ong signataires du communiqué ne cachent pas leurs inquiétudes quant aux capacités de la société française à faire correctement le travail attendu d’elle. «Nous nous interrogeons sur les capacités de Suez à mener à bien sa prochaine mission au Sénégal. (…). Aura-t-elle les moyens de réaliser les investissements colossaux dont a besoin la distribution de l’eau à Dakar et dans les grands centres urbains de notre pays ?», demandent-elles. En effet, la société française rencontrerait des «difficultés qui l’auraient amené à vendre une partie des actions de son capital pour éponger une dette de 5895 milliards de francs Cfa».
Dès lors, elles se demandent si Suez ne vient pas au Sénégal «pour se refaire une santé financière sur le dos du contribuable sénégalais». Les détracteurs de la société française sont d’autant plus inquiets que leurs sources européennes et africaines au sein des réseaux auxquels ils appartiennent, (Forum alternatif mondial de l’eau, Conseil citoyen droit à l’eau en Afrique), n’ont cessé de les alerter, sur le fait que «Suez cherche à faire signer au Sénégal, un contrat en béton qui lui permettra d’être à l’abri de toute surprise en cours d’exécution pendant les quinze années de la durée de ce contrat».
«Les branchements au réseau de notre eau se feront désormais à 239.000 F TTC»
Se demandant si les lenteurs de la signature du contrat cacheraient «la bataille des actionnaires, où, de nouveaux riches et proches du pouvoir chercheraient à s’accaparer des parts importantes, et veulent refuser au personnel travailleur les 15% qu’il réclame», les Organisations signataires du communiqué mettent en garde les Sénégalais, contre «ce qui risque d’arriver sous peu dans les services d’accès à l’eau en milieu urbain et périurbain». Et de citer l’augmentation démesurée des tarifs de connexion au réseau. «Les branchements au réseau e feront désormais à 239.000 F TTC», soutiennent Mignane Diouf et ses alliés. Non sans souligner que cela va annuler ainsi la baisse du prix de l’eau, tant vantée par les autorités de notre pays avec la venue de Suez. De même, ils craignent un enrichissement de pontes du pouvoir, à travers la sous-traitance. «Les travaux de branchements et autres services connexes se feront avec des entreprises qui pourraient être montées par des prête-noms et autres proches du régime, car c’est dans ce volet qu’il est facile de gagner beaucoup d’argent dans le secteur de l’eau», affirment-ils.
Mbaye THIANDOUM