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ALIOUNE NDAO ANCIEN PROCUREUR SPECIAL DE LA CREI: «De mémoire, cette justice n’avait jamais été aussi attaquée, vilipendée et discréditée»



ALIOUNE NDAO ANCIEN PROCUREUR SPECIAL DE LA CREI: «De mémoire, cette justice n’avait jamais été aussi attaquée, vilipendée et discréditée»
 
L’ancien Procureur spécial de la Crei n’a pas mis de gants pour cracher ses vérités sur les goulots d’étranglement qui entravent l’indépendance de la justice. A l’en croire, avec ces récents évènements, jamais de mémoire, la justice n’avait été aussi attaquée, vilipendée et discréditée. Ce qui lui fait dire que la responsabilité est partagée entre l’exécutif et les magistrats.
 
Invité à faire une présentation sur «Indépendance de la justice et statut du parquet» à l’occasion de l’atelier organisé par l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) sur le thème «Etat de droit et indépendance de la justice : enjeux et perspectives de réformes», l’ancien Procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao, n’a pas dérogé à sa liberté de ton. La justice, dit-il d’emblée, traverse l’une des pires crises de son histoire et il en veut pour preuve les violentes manifestations notées au lendemain de l’arrestation du président de Pastef, Ousmane Sonko. «De mémoire, cette justice n’avait jamais été aussi attaquée, vilipendée et discréditée lors de ces événements malheureux. C’est aussi la première fois que des attaques physiques portant sur des juridictions ont eu lieu au Sénégal. Quand j’ai vu l’image de la salle d’audience du Tribunal de grande instance (Tgi) de Diourbel brûlée, ça m’a fait beaucoup de mal. Mais, il n’y a jamais de fumée sans feu. Il y a un réel problème de confiance entre la justice et les justiciables. C’est faire preuve de cécité que d’essayer de nier ça», fait remarquer le magistrat à la retraite.
 
A force de se bander les yeux, la situation a empiré
 
Poursuivant, il rappelle que lors du dernier symposium, en décembre 2017, il était question de malaise au sein de la justice. A cet effet, il rappelle que certains hauts magistrats présents avaient essayé de nier l’existence de ce malaise. «Maintenant, on n’est plus au stade du malaise, on est au stade de la crise. A force de se bander les yeux, de refuser de regarder la réalité, la situation a davantage empiré. La crise de confiance s’est davantage aggravée et le reproche récurrent qui est fait à la justice, c’est que dans le traitement de certains dossiers importants intéressant le pouvoir exécutif, elle n’a pas su assumer pleinement son devoir d’indépendance à l’endroit de ce dernier. A dire vrai, ce reproche est le plus souvent fondé», indique l’ancien procureur, convaincu qu’il arrive que la justice manque à son devoir d’indépendance. En effet, même si des centaines de dossiers sont traités tous les jours «en toute indépendance, en toute transparence et en toute sérénité», il regrette de constater que ce sont les 5% des dossiers qui font sortir les policiers, les chars de combat et les grenades lacrymogènes. Or, à l’en croire, c’est à travers ces 5% de dossiers qu’on attend de la justice une attitude digne par rapport à l’attente des justiciables.
 
 
Certains magistrats pour obtenir une promotion ou conserver un «bon poste» continuent à ternir l’image de la justice
 
 
Cependant, de l’avis de l’ancien Procureur spécial près la Crei, la responsabilité dans l’absence d’indépendance de la justice est partagée. En effet, même si le pouvoir exécutif s’obstine dans son refus d’apporter les réformes nécessaires pour consolider de manière définitive l’indépendance réelle de la justice et que ce même pouvoir, en la personne du président de la République et de son ministre de la Justice, use et abuse de son pouvoir de nomination sur les magistrats, il jure que la faute incombe aussi à certains magistrats qui, pour obtenir une promotion ou conserver un «bon poste», jouent le jeu de l’exécutif et continuent ainsi à ternir l’image de cette justice. Très en colère contre cette catégorie de magistrats, il invite l’Ums à les identifier et à les dénoncer ouvertement. Néanmoins, le magistrat n’a pas manqué de livrer sa recette pour une indépendance réelle de la justice.
 
Accorder aux magistrats le droit de se syndiquer et d’aller en grève
 
Pour ce faire, il faut atteindre l’autonomie budgétaire à l’image du pouvoir législatif. «On ne peut pas comprendre que le judiciaire soit un pouvoir indépendant et que ces moyens soient déterminés par le pouvoir exécutif. Autrement dit, c’est le pouvoir exécutif qui donne au judiciaire ses moyens. Or, comme dit l’adage, qui paye commande. Il y a une dépendance budgétaire de la justice à l’égard du pouvoir exécutif, c’est vraiment inadmissible», dénonce Alioune Ndao qui invite à retirer au ministre de la Justice tout pouvoir dans la gestion de la carrière des magistrats. Tous les problèmes, dit-il, viennent du pouvoir de proposition notamment de nomination des magistrats accordé au ministre de la Justice. Poursuivant, il révèle qu’il faut accorder aux magistrats le droit de se syndiquer et par conséquent le droit de grève. «On ne peut pas comprendre que toutes les corporations de ce pays puissent se syndiquer et que les magistrats sont face à une interdiction d’aller vers une syndicalisation comme en France, au Mali et au Burkina Faso», plaide le magistrat qui propose aussi de réformer en profondeur le Conseil supérieur de la magistrature (Csm).
 
La subordination hiérarchique des magistrats du parquet à l’égard du ministre de la Justice n’est pas totale
 
S’agissant des magistrats du parquet qui sont une partie intégrante du pouvoir judiciaire, Alioune Ndao informe qu’aux yeux du législateur «la subordination hiérarchique des magistrats du parquet à l’égard du ministre de la Justice n’est pas totale, elle est limitée». A l’en croire, le texte pose le principe de la subordination des magistrats du parquet à l’égard du ministre de la Justice, mais ne définit ni le contenu, ni les limites de ce pouvoir hiérarchique. Cela constitue, dit-il, un risque grave d’insécurité juridique et judiciaire. «Si on a affaire avec un ministre de la Justice qui n’est pas au fait des textes – ce qui paradoxalement arrive de temps en temps – ce dernier peut croire que son autorité sur les magistrats du ministère public est totale et qu’il peut tout leur faire faire. C’est la situation que nous vivons. Les ministres de la Justice pensent qu’ils sont les patrons non seulement des magistrats du parquet, mais aussi des magistrats du siège. Alors que c’est faux», tranche Alioune Ndao.
 
Moussa CISS
 
LES ECHOS


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