Alors qu’elle rêvait de concurrencer les grandes compagnies régionales, Air Sénégal peine aujourd’hui à équilibrer ses comptes, accumulant des pertes abyssales et un endettement croissant. Là où elle visait l’expansion, elle doit désormais réduire ses coûts et revoir sa flotte pour survivre. Devant cette grave situation, le Premier ministre Ousmane Sonko a présidé jeudi 3 avril une réunion interministérielle consacrée à la situation de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd SA) et surtout à celle de la compagnie nationale Air Sénégal SA. Cette rencontre a permis d’examiner les difficultés structurelles et financières qui entravent le développement du secteur aérien sénégalais et de prendre des décisions stratégiques visant à garantir sa viabilité.
L’aérien sénégalais est en pleine turbulence, alors que Air Sénégal peine à décoller en raison de graves difficultés financières, d’une gestion défaillante et d’un positionnement commercial inefficace. Afin de trouver solution à cette situation, le Premier ministre Ousmane Sonko a présidé avant-hier une réunion interministérielle consacrée à la situation de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd SA) et surtout à celle de la compagnie nationale Air Sénégal SA.
Depuis sa création en 2018, Air Sénégal SA a bénéficié d’un soutien financier de l’État à hauteur de 181 milliards F Cfa. Malgré ces injections de fonds, la compagnie accumule les pertes, avec un déficit de 89 milliards F Cfa en 2022 et de 57 milliards F Cfa en 2023. Sa dette dépasse désormais les 118 milliards F Cfa, mettant en péril sa pérennité. L’une des principales causes de cette situation est la mauvaise gestion des ressources, notamment les 100 milliards F Cfa dépensés en location d’avions. Le plan de relance initié en 2022 n’a été exécuté qu’à hauteur de 5%, illustrant l’ampleur des défis à relever.
Aibd SA, pour sa part, traverse une situation critique. Initialement société de projet, elle est devenue une société de patrimoine en 2017 et a été désignée comme maître d’œuvre du développement du hub aérien. Pourtant, ses finances sont déséquilibrées : son budget pour l’année 2024 est de 23 milliards F Cfa, alors que ses ressources propres ne s’élèvent qu’à 6 milliards F Cfa.
Une des causes principales de cette dérive budgétaire est l’explosion des effectifs, qui sont passés de 275 agents en 2021 à 983 en 2024. Par ailleurs, la redevance pour le développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia), qui devait financer le hub aérien, a été consommée à hauteur de 200 milliards F Cfa à travers des contrats classés «secret-défense», sans justification claire. À ce jour, malgré les 470 milliards F Cfa engagés, seuls quelques projets ont été réalisés, dont la certification de l’aéroport de Cap Skirring.
Une nouvelle stratégie pour un secteur aérien performant
Face à cette situation préoccupante, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé une série de mesures destinées à assainir et relancer les deux entités. L’objectif stratégique est de consolider Air Sénégal SA en créant un groupe de sociétés d’aviation diversifiées qui soutiendra le développement du hub aérien national. Cette réforme passe par un partenariat renforcé avec Aibd SA, qui devra moderniser ses infrastructures pour répondre aux exigences du trafic aérien et soutenir la connectivité des pôles économiques du pays.
L’Autorité nationale de l’aviation civile (Anacim) sera renforcée pour garantir une régulation efficace du secteur. De plus, la stratégie adoptée vise à dynamiser le tourisme, à stimuler les échanges commerciaux et à attirer davantage d’investissements. La création d’emplois qualifiés est également un enjeu majeur de cette réforme.
Le secteur privé national sera impliqué dans le développement du hub aéroportuaire à travers des partenariats public-privé et des investissements dans l’exploitation des aéroports régionaux. Par ailleurs, le gouvernement prévoit la mise en place d’aéropôles autour des aéroports de Saint-Louis, Ziguinchor et Diass, incluant des installations industrielles et des centres de formation en aéronautique.
Un plan d’urgence pour Air Sénégal SA
Plombée par les dettes, Air Sénégal peine à vraiment décoller. Ainsi d’un symbole de fierté nationale, la compagnie est devenue un fardeau financier pour l’État, nécessitant des réformes urgentes pour espérer retrouver sa trajectoire initiale. Afin de remettre Air Sénégal SA sur de bons rails, un plan d’apurement des dettes d’exploitation a été adopté. Le gouvernement devra mettre en œuvre un mécanisme permettant de rembourser les créanciers d’ici juin 2025, afin de rétablir la confiance des fournisseurs et des acteurs du secteur. Des ressources financières suffisantes seront mobilisées pour couvrir les besoins en fonds de roulement de la compagnie.
Un audit approfondi d’Air Sénégal sera réalisé pour évaluer sa situation opérationnelle, financière et organisationnelle. Sur cette base, les fonds propres de la compagnie seront reconstitués grâce à une injection minimale de 16 milliards F Cfa. En parallèle, le réseau et la flotte seront redimensionnés en fonction des capacités financières et de la demande du marché, avec la mise en place de nouveaux partenariats stratégiques.
Une filiale dédiée aux vols intérieurs et aux pays limitrophes, Air Sénégal Express, sera créée avec une ouverture du capital au secteur privé national. De plus, l’acquisition et le déploiement d’aéronefs de type L410NG seront finalisés afin d’améliorer la connectivité domestique.
AIBD : audit des marchés existants, rationnalisation des effectifs
Aibd SA fera également l’objet d’une refonte en profondeur. Un audit des marchés existants sera réalisé pour identifier les contrats non essentiels et maximiser l’efficience. L’organisation de la société sera revue afin de rationaliser les effectifs et d’assurer une meilleure maîtrise des charges. Un plan social négocié sera mis en place pour réduire progressivement les effectifs dans le respect de la réglementation.
Les statuts du personnel seront harmonisés et un mécanisme d’allocation de ressources sera instauré pour apurer les passifs de l’ex-Ads et de l’indemnité de sécurité aérienne. En outre, la convention relative à la gestion de l’aéroport international Blaise Diagne sera révisée afin d’optimiser la gouvernance de l’infrastructure.
Le développement du fret aérien sera également une priorité pour faciliter l’exportation des produits halieutiques, agricoles et artisanaux. Les travaux des aéroports régionaux de Ziguinchor, Matam-Ourossogui et Saint-Louis seront finalisés et certifiés d’ici fin 2025, afin d’améliorer la desserte nationale et internationale.
Sidy Djimby NDAO