Amnesty International publie aujourd’hui, mercredi 8 avril 2020, son rapport annuel sur les droits humains en Afrique. Intitulé «Droits humains en Afrique Rétrospective 2019», le document de 64 pages dont «Les Échos» détient copie fait état de nouvelles formes de violence sur le continent. Celles-ci ont engendré des tueries, des actes de torture, des enlèvements, des violences sexuelles et des déplacements massifs, y compris des crimes de droit international, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Pour ce qui est du Sénégal, le rapport d’Amnesty International déplore que les autorités aient continué à réprimer les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Les arrestations d’activistes, les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires, les droits des enfants et ceux des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes (Lgbti) sont les matières auxquelles le Sénégal doit sa mauvaise note.
Amnesty International n’est pas contente du Sénégal et l’Organisation non-gouvernementale internationale qui promeut la défense des droits de l'homme et le respect de la Déclaration universelle des droits de l'homme a tenu à le faire savoir. En effet, dans son rapport «Droits humains en Afrique Rétrospective 2019», Amnesty International a donné un gros zéro au Sénégal. Ce document annuel sur les droits humains en Afrique sera publié aujourd’hui. Mais déjà, «Les Échos» est en mesure de dire que le Sénégal n’y fait pas office de bon élève.
Pour commencer, Amnesty International remarque qu’au pays de la «Téranga», «les autorités répriment les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique». Pendant ce temps, poursuit le rapport, «l’impunité était toujours de mise dans les cas de recours excessif à la force par la police contre des manifestants», alors que «les conditions de détention demeuraient éprouvantes, et des décès en détention ont de nouveau été signalés».
Pour diagnostiquer l’état des droits humains au Sénégal en 2019, Amnesty International est revenue sur le contexte. «Le Président Macky Sall a été réélu en mars pour un second mandat. Lors de rassemblements organisés pendant la campagne présidentielle, deux personnes ont été́tuées et de nombreuses autres, dont des journalistes, ont été blessées dans de violentes échauffourées opposant les partisans des différents candidats en lice», note le document, précisant que «Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, et Karim Wade, le fils de l’ex-Président Abdoulaye Wade, ont été exclus de l’élection présidentielle de 2019».
Évolutions législatives, constitutionnelles ou institutionnelles
Dans le domaine de la loi, Amnesty International est revenue sur le vote de la loi sur le viol et la pédophilie adoptée en décembre dernier. À ce propos, le rapport indique : «[…] les définitions contenues dans ce texte n’étaient pas conformes aux normes internationales, et ses dispositions risquaient d’être utilisées contre des adolescents de moins de 16 ans ayant des relations sexuelles consenties».
Liberté d’expression : Amnesty dénonce les arrestations de Abdou Karim Guèye, Guy Marius Sagna, Adama Gaye
Sur la liberté d’expression, Amnesty International assure que les autorités sénégalaises ont continué de restreindre abusivement le droit à la liberté d’expression en poursuivant et plaçant en détention les personnes qui exprimaient des opinions dissidentes.
«Le rappeur et activiste Abdou Karim Guèye a été arrêté le 25 février après avoir diffusé en direct sur les réseaux sociaux une vidéo qui encourageait la population à se joindre à lui pour une manifestation pacifique, après l’annonce officieuse des résultats du scrutin présidentiel. Il a été inculpé pour ‘’appel à une manifestation non autorisée sans armes’’ et ’’injures par voie de presse’’», lit-on sur le document qui ajoute qu’au lendemain de l’élection présidentielle, au moins 17 sympathisants de l’opposition ont été arrêtés pour «troubles à l’ordre public et incitation à la révolte».
Aussi, rappelle l’Ong, le 16 juillet, le militant Guy Marius Sagna a été arrêté et interrogé au sujet de ses messages sur Facebook concernant le manque de structures médicales convenables au Sénégal, ainsi que d’une publication diffusée sur ce même réseau social à propos de la présence militaire française en Afrique. Et d’ajouter : «Le journaliste Adama Gaye a été arrêté le 29 juillet après avoir publié sur Facebook des messages dans lesquels il critiquait le Président Macky Sall».
Toujours parmi les violations de la liberté d’expression, Amnesty International renseigne que Oudy Diallo, défenseur de l’environnement, a été interpellé et incarcéré à la prison de Kédougou le 22 novembre, après avoir publié sur Facebook un message dans lequel il dénonçait les quotas de terrains attribués aux autorités administratives.
Alors qu’approchait l’échéance fixée au niveau régional concernant l’engagement politique de «faire taire les armes» avant 2020, des conflits armés insolubles se poursuivaient, et de nouvelles formes de violence commises par des acteurs non étatiques ont engendré des tueries, des actes de torture, des enlèvements, des violences sexuelles et des déplacements massifs, y compris des crimes de droit international, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
Liberté de réunion : Amnesty déchire «l’arrêté Ousmane Ngom»
Autre droit violé par les autorités sénégalaises, celui de la liberté de réunion. À ce propos, Amnesty déplore que la législation en vigueur continue de limiter le droit à la liberté de réunion pacifique. L’Ong qui fait ainsi référence à «l’arrêté Ousmane Ngom» rappelle que Guy Marius Sagna, le professeur Babacar Diop et sept autres activistes ont été arrêtes le 29 novembre alors qu’ils manifestaient pacifiquement.
Conditions carcérales et morts en détention de Louis Dieng, Serigne Fallou Ka, Babacar Mané et Cheikh Ndiaye
Sur les conditions carcérales, le rapport souligne que les conditions sanitaires dans les établissements pénitentiaires demeuraient déplorables et la surpopulation carcérale persistait. L’Ong qui note qu’on dénombrait 11.547 personnes incarcérées dans les 37 prisons sénégalaises, pour une capacité́ totale de 4224 détenus, déplore la mort de Louis Dieng à la prison de Mbour le 20 février. «Il serait décédé des suites d’une crise d’asthme alors qu’il partageait sa cellule avec 87 autres détenus», dénonce le rapport qui ajoute que «Serigne Fallou Ka (24 ans) est mort le 2 mai à la maison d’arrêt et de correction de Diourbel», alors que «le 29 août, deux hommes incarcères à la maison d’arrêt de Rebeuss, Babacar Mané et Cheikh Ndiaye, sont morts d’un arrêt cardiocirculatoire par électrocution à la suite du dysfonctionnement d’un ventilateur».
Droits des enfants : Amnesty remet sur la table l’affaire des cinq garçons enchainés dans une école coranique
Pour ce qui est des droits des enfants, le document fait savoir qu’en dépit d’un solide cadre législatif national prohibant les mauvais traitements infligés aux enfants, le Sénégal n’a pas mis en place de système coordonné de prise en charge, visant à protéger de l’exploitation et des sévices les enfants contraints à la mendicité. «Le 6 avril, un garçon de 12 ans est mort des suites, semble-t-il, des coups qu’il a reçus. Son maitre d’école coranique a été arrêté. Le 23 novembre, cinq garçons ont été retrouvés enchainés dans une école coranique», déplore Amnesty International qui assure que six personnes soupçonnées d’être responsables, dont leurs parents et un enseignant, ont été interpellées. «Elles ont été remises en liberté le 4 décembre après avoir été condamnées à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour mise en danger de la vie d’autrui, ‘’violences et voies de fait sur mineur’’ et ‘’complicité’’», dénonce le document.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Sur le droit des Lgbti, Amnesty indique que le Sénégal a réaffirmé devant le Comité contre la torture de l’Onu qu’il ne dépénaliserait pas les «actes contre-nature». «Au moins, 11 personnes ont été arrêtées en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, réelle ou présumée. Neuf d’entre elles ont été condamnées à des peines allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement».
Sidy Djimby NDAO