L’intellectuel et historien camerounais Achille Mbembé ne tarit pas d’éloges à l’égard du Sénégal. Et pour cause, l’intellectuel, très critique vis-à-vis du régime du Président camerounais Paul Biya et qui a souvent beaucoup de difficultés à renouveler son passeport ordinaire, s’est vu offrir un passeport diplomatique par le pays de la Teranga. «C’est toujours délicat de traiter en public d’affaires privées. Mais la nouvelle est à présent publique. À la République du Sénégal, je voudrais donc publiquement exprimer ma très profonde gratitude», souligne-t-il d’emblée. Poursuivant, il note que le Sénégal «représente un très grand pays dans l’histoire intellectuelle, artistique et culturelle» du continent noir. «Il nous a légué certains de nos plus grands penseurs et écrivains, des femmes et des hommes sans lesquels il nous aurait été difficile d’aller fièrement au-devant du monde et de dialoguer avec celui-ci les yeux ouverts. J’ai, pour ma part, puisé à pleines mains dans ce riche héritage et j’ai, plus que de raison, été l’objet des soins de ce pays», explique-t-il.
Mais, rien de surprenant pour le Sénégal, où il rappelle avoir «passé des années cruciales», à Dakar, à Yoff, avec comme voisins le romancier et cinéaste Sembène Ousmane et
le grand sculpteur Ousmane Sow. «Beaucoup d’entre nous, le long du chemin, sont contraints ou choisissent de vivre loin de leur pays de naissance. Certains optent pour d’autres nationalités. Je suis fier que le Sénégal - et donc l’Afrique - m’offre un abri et un lieu de repos pour l’esprit, un lieu où je ne suis pas mis constamment en demeure de justifier qui je suis, voire persécuté», explique le penseur.
«Je nourris l’espoir qu’un jour prochain, il en ira autrement»
Achille Mbembé ne cache pas son dépit pour la manière avilissante dont son propre pays traite ses fils. «Je ne reviendrai pas sur la façon dont le Cameroun aura traité certains de ceux qui sont passés avant nous - Ruben Um Nyobe, Félix Moumie, Abel Kingue, Osende Afana, Mongo Béti, Engelbert Mveng, Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga et plusieurs autres», note l’historien dans sa page facebook. Il souligne également «l’extraordinaire calvaire, le stress et l’angoisse qu'éprouvent les Camerounais qui vivent à l’extérieur dès qu’il s’agit d’obtenir des papiers ou de les renouveler». Ne comprenant pas comment un Etat normalement constitué, comme le Cameroun, «choisit consciemment d’exposer les siens», surtout en «ces temps de suspicion de l’étranger, de nationalisme régressif et de clôture identitaire», l’intellectuel, qui reste optimiste, voudrait «nourrir l’espoir qu’un jour prochain, il en ira autrement». En attendant de comprendre, c’est toujours pour lui une fierté de retourner à Dakar et de contribuer au rayonnement intellectuel du Sénégal et de l’Afrique par le biais, entre autres, des Ateliers de la pensée de Dakar qu’il a mis en place avec Felwine Sarr.
Mbaye THIANDOUM