Le rappel à Dieu de Moussa Sissoko, président du Collectif des familles des victimes du naufrage du bateau «Le Joola», à quelques jours de la commémoration de l’an 17, a suscité notre curiosité pour nous intéresser à un aspect non moins négligé du dossier du bateau «Le Joola». Rappelé à Dieu à quelques jours de la commémoration du naufrage, alors qu'il préparait l’évènement du 17e anniversaire du naufrage, ce énième décès est venu allonger la liste des parents disparus de victimes.
Le porte-parole, interrogé sur les statistiques précises, nous informe que la liste dépasserait au jour d’aujourd'hui le bilan du naufrage annoncé par les autorités. «On ne détient pas la liste exacte, mais nous osons dire qu'il y a aujourd'hui plus de parents disparus depuis le naufrage que le bilan officiel de l'État du Sénégal. Nous sommes en train de nous organiser pour faire la collecte et avoir un bilan exact. Mais ce qu’on peut dire, il y a plus de 2000 décès parmi les parents de victimes», nous souffle Boubacar Bâ, porte-parole du collectif.
Pourquoi ces décès en série ?
A en croire certains parents de victimes, des rescapés et des membres du collectif, beaucoup d'entre eux sont très affectés par un traumatisme qui a atteint un niveau assez inquiétant. Certains membres de parents de victimes ne jouiraient plus de leurs facultés mentales. D'autres, moins résistants, auraient perdu l'espoir vital et s'adonneraient à des activités pas du tout conseillées. Par contre, ceux qui semblent plus résistants sont rongés par le chagrin causé par le naufrage et luttent, tant bien que mal. Et pourtant, l'État avait promis ciel et terre, pour non seulement le renflouement de l'épave, qui est une des revendications majeures des familles, pour leur permettre de faire le deuil, mais aussi rendre la justice et la construction du mémorial. Malheureusement, rien de tout ça. La vérité n'est pas toujours dite. Trop de zones d'ombre. Les familles sont restées sur leur faim. Elles sont laissées à elles-mêmes. Alors qu’elles ne réclament que l’éclatement de la vérité qui semblerait ne jamais être dite.
Ely Bernard Diatta : «ce Joola est en train de nous dévorer, de nous massacrer, surtout du point de vue traumatique»
L'assistance psychologue tant chantée sur tous les toits n'a duré que le temps d'une rose. C'est pourquoi Ely Bernard Diatta, chargé des affaires juridiques du Directoire national du Joola, déclare : «au fil des jours, ce Joola est en train de nous dévorer, de nous massacrer, surtout du point de vue traumatique. Le traumatisme est en train de faire des ravages dans les familles, qui ont perdu beaucoup de membres. Nous sommes tous malades. Quand nous parlons de vérité sur Le Joola, les gens commentent autrement. En plus, laisser des gens dans l’eau depuis 18 ans, je pense que çà doit faire réfléchir et de ce point de vue, nous attendons une politique plus affirmée».
Selon toujours Ely, l’Etat a laissé les orphelins à eux-mêmes. Alors qu’il y a une loi votée pour prendre en charge les 1500 orphelins. Malheureusement, 900 parmi ces orphelins sont sans prises en charge.
Jean Diédhiou, un rescapé, retrace le film du drame
Jean Diédhiou, président du Collectif des rescapés du Joola, trouvé chez lui au quartier Alwar de Ziguinchor, nous raconte les souvenirs qui lui reviennent de ce chavirement. «Moi personnellement, j’étais dans le restaurant, lorsque le bateau commençait à s’incliner vers la gauche, je faisais partie des gens qui rassuraient les autres en leur disant que c’est normal et que c’est l’effet des vagues. J’étais toujours à l’intérieur du bateau lorsqu’il s’est renversé. J’étais sidéré. Heureusement que j’avais gardé le sang-froid. C’est sous l’effet des éclairs que j’ai vu le hublot. J’ai vu un gars s’y diriger pour sortir et moi je l’ai suivi à la nage pour m’échapper aussi. Mais j’ai senti quelqu’un me retenir les pieds. Je me suis débattu jusqu’à lui échapper et sortir par le hublot pour enfin me retrouver sur la coque jusqu’au petit matin», nous confie-t-il.
Mais, Jean précise qu’il prenait le bateau pour la première fois. Il était avec des amis étudiants pendant le voyage. Malheureusement, aucun de ses amis et parents du même village de Teubi, qui a enregistré 9 disparus, n’a survécu. Il confie : «pendant dix ans, je ne parvenais pas à regarder les parents des étudiants avec qui j’ai voyagé». C’est le souvenir qui revient tout le temps», conclut Jean Diédhiou, qui est venu de Dakar pour la commémoration de l’an 17 du naufrage du bateau «Le Joola».
Ousseynou Djiba, un autre rescapé : Je n’ai vu personne réaliser quelque chose de concret avec l’argent de l’indemnisation, à part une modeste maison»
Parmi les rescapés du naufrage et à part Jean Diédhiou, nous avons pu décrocher Ousseynou Djiba. En ce temps, ce fils de Thionck-Essyl était un commerçant. Le jour du naufrage, il a lui aussi failli y rester. Mais, à l’entendre parler, il a été sauvé par les éclairs qui lui ont montré la voie. Comme tous les rescapés, il a reçu lui aussi ses 10 millions en guise de compensation. Mais, il dénonce le non accompagnement de l’Etat du Sénégal. «C’est en deux tranches qu’on a reçu les indemnisations. D’abord cinq millions, puis un mois après, ils nous ont donné le reste. L’Etat devrait donner les montants en un seul coup si vraiment il voulait nous aider. Parce que beaucoup d’entre nous ont utilisé cette somme dans les dépenses quotidiennes, parce qu’ils ont cessé tout travail. Moi, à l’époque, j’étais un soutien de famille. il me fallait nourrir la famille avec cet argent. L’Etat devrait nous encadrer dans la réalisation des projets. C’est pourquoi tout le monde a échoué avec son projet. Je n’ai vu personne réaliser quelque chose de concret avec cet argent, à part une modeste maison. Beaucoup sont dans la pauvreté», regrette ce cinquantenaire.
Baye Modou SARR