Les orientations économiques des Etats africains répondent souvent à des questions «alimentaires» chères à leurs dirigeants et qui tournent autour des rentrées fiscales et douanières, des redevances et royalties des compagnies minières et pétrolières, des droits d’entrée, pour tout dire des moyens budgétaires. Alors que, pour répondre aux besoins des populations, il s’agit d’organiser, d’encadrer ces dernières à bien produire dans des secteurs clés comme l’agriculture, la pêche, l’artisanat etc., mais aussi créer les conditions d’une transformation de la production pour satisfaire en priorité les besoins, sans occulter les conditions d’une commercialisation aptes à faire bénéficier le producteur du fruit de son travail. Tout cela, c’est pour parler de la culture de l’arachide au Sénégal et des options à prendre par le pays en entier afin de remettre cette spéculation à sa place dans notre économie.
L’arachide et le Sénégal, c’est une vieille histoire d’amour qui dure depuis le 19e siècle, avec l’introduction de cette graine qui a fini par se retrouver au centre de l’économie de la colonie française, d’abord, puis du pays indépendant. Malheureusement, lorsqu’on se rend dans ces villes dont l’opulence était liée à la traite de la graine dorée, comme Kaolack, Ziguinchor, Diourbel, Louga, entre autres, l’on se rend compte du poids de cette culture, autrefois. Les bâtiments imposants mais délabrés, vestiges de cette opulence perdue, renseignent plus sur la décrépitude d’une spéculation que les faibles productions enregistrées certaines années. Les huileries et les savonneries ont longtemps été les locomotives de l’industrie du Sénégal, avec des usines dans les villes précitées ainsi qu’à Dakar. La production d’huile d’arachide était principalement consommée à l’interne, puisque la denrée entrait dans la préparation du plat national, le ceebu jën. Mais si le plat national n’a pas bougé, l’huile qui l’accompagne n’est plus d’arachide, aujourd’hui, mais de soja, de tournesol et de je ne sais quoi.Ceebu jën à l’huile de soja, de tournesol….
Pourtant, les paysans sénégalais ont continué à cultiver l’arachide et les huileries à triturer la graine, principalement pour l’export. Mais les choses avaient évolué, pour des raisons certes climatiques avec la sécheresse qui avait fait régresser la production, mais aussi organoleptiques, avec le bruit suscité par l’aflatoxine, qui rendait l’huile d’arachide dangereuse et en plombait la consommation sur les marchés européens. C’est cette diabolisation de l’huile d’arachide comme étant fortement cancérigène à cause de cette aflatoxine, qui a servi de prétexte aux huiliers, avec la complicité de l’Etat et la bénédiction des bailleurs, pour modifier la donne complètement et s’engager dans l’importation d’huiles brutes végétales, pour un raffinage et une commercialisation sur le marché local. Les agriculteurs se sont donc tournés vers d’autres spéculations, mais surtout vers les cultures vivrières, ne trouvant plus leur compte dans une graine sans avenir. Les surfaces cultivées en mil, maïs ou niébé ont pris le pas sur les immenses champs d’arachides. Malgré tout, le pays a continué à conserver sa notoriété de pays arachidier, même si les huileries et savonneries ne tournaient plus à plein régime ou traitaient des huiles brutes de soja ou de tournesol.
La bouée de sauvetage qui vient de Chine
Mais, depuis ces dernières années, la donne est en train de changer. D’abord, un retour de la pluviométrie a boosté la production d’arachide. Et même si la reconstitution du capital semencier ou les problèmes de commercialisation ne sont pas totalement maitrisés, les paysans sénégalais ne pouvaient pas abandonner totalement une culture qui leur rapportait quelques moyens financiers. Ils ont certes dû se heurter à la boulimie de spéculateurs sans vergogne qui, sous le nom d’opérateurs stockeurs, ont souvent pris leurs graines sans payer, les laissant avec des bons impayés. Mais la lumière est venue de nouveaux opérateurs, étrangers ceux-là, chinois pour être plus précis. Dans son déploiement en Afrique, l’Empire du Milieu n’est pas seulement dans la construction des infrastructures. Cet immense pays qu’est la Chine, dont la population dépasse le quart de celle de la planète, a des besoins que son agriculture satisfait difficilement. La Chine est pourtant le premier producteur mondial, avec plus de 16 millions de tonnes d’arachide par an. Elle était même le premier exportateur mondial il y a encore une décennie, et elle continue d’expédier une partie de ses cacahuètes haut de gamme dans tous les continents. Mais la Chine manque de graines de qualité moindre pour fabriquer de l’huile Ainsi, des opérateurs chinois ont investi le marché de la graine d’arachide au Sénégal, modifiant la donne commerciale profondément, au grand bonheur des paysans. C’est ainsi que ces dernières années, même si l’Etat et les structures regroupant les acteurs de la filière ont continué à fixer un prix-plancher au producteur, à l’orée de chaque campagne de commercialisation, autour de 210 F Cfa, les paysans sénégalais sont arrivés bon an mal an à vendre à un prix beaucoup plus rémunérateur frisant 250 F, grâce à la présence de ces importateurs chinois.
L’Aflasafe pour un retour à l’huile d’arachide
En sera-t-il de même cette année encore ? La tendance ne semble pas très favorable, car le marché mondial est morose, avec une surproduction attendue partout, même au Sénégal. Le prix au producteur est maintenu à 210 F et si la taxe à l’export a été baissée de 10 F, passant de 40 à 30 F/kg, les opérateurs qui s’activent dans l’exportation de l’arachide disent ne pas y trouver leur compte. Et comme nos huiliers, depuis quelques années, n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs de collecte, faute de graine ou faute de financement, cette présente campagne ne démarre pas sous de bons auspices. Surtout que la Sonacos, principale entreprise industrielle du secteur, n’arrive pas à se stabiliser et va vers une nouvelle privatisation. Or, au moment où l’on parle de privatiser à nouveau la Sonacos, après l’amère expérience de la Suneor, la lumière pourrait venir de la Sodefitex, dont la filiale Bamtaare s’apprête à installer une usine de production d’Aflasafe, pour lutter contre l’aflatoxine au Sénégal et en Gambie. Cette évolution devrait permettre une plus grande production d’huile d’arachide pour la consommation locale, si une volonté politique de valoriser la production agricole est réellement mise en œuvre.
L’Etat du Sénégal, qui nous parle d’autosuffisance en riz pour cette année 2017, devrait aussi se pencher sur une autosuffisance en huile, ingrédient qui accompagne la consommation de la céréale à travers le plat national. A ce dessein, il suffit d’arrêter le démantèlement de l’industrie huilière et afficher l’option stratégique de transformer la production d’arachide pour une consommation locale. Mais aussi en favorisant la trituration artisanale déjà bien en place à l’intérieur du pays, par la vulgarisation de l’Aflasafe dont la production prochaine constitue un atout indéniable.
Mansour Kane