Face à l’adoption controversée de la Loi de finances rectificative (Lfr) et du Débat d’orientation budgétaire (Dob) 2025 sans validation préalable en conseil des ministres, l’ancien député Thierno Bocoum tire la sonnette d’alarme. Pour le président du mouvement Agir, l’État sénégalais traverse une double crise budgétaire, à la fois juridique et morale. Une alerte forte qui interroge sur le respect de la légalité et de la vérité dans la gestion publique.
À mesure que s’approche l’échéance légale du Débat d’orientation budgétaire (Dob) fixé au 30 juin par la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf), la tension monte. Le bureau de l’Assemblée nationale a acté l’adoption du Dob et de la Lfr 2025 sans qu’ils aient été, au préalable, formellement adoptés en Conseil des ministres. Une anomalie institutionnelle majeure, selon Thierno Bocoum, qui rappelle que ces procédures ne sont pas accessoires, mais fondamentales. «Il y a aujourd’hui une rupture grave de l’ordre institutionnel», dénonce-t-il dans un communiqué rendu public hier. «Les documents budgétaires sont adoptés en dehors du cadre légal, ce qui les rend juridiquement invalides et démocratiquement contestables.»
«Une violation flagrante de la Lolf»
Ancien parlementaire, Thierno Bocoum rappelle que la Lolf n°2020-07 est formelle : «les projets de lois de finances doivent être préparés par le ministre des Finances et validés en conseil des ministres (article 55). Le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle, qui constitue le cœur du Dob, est également soumis à cette exigence légale (article 56)», rappelle l’opposant
Or, selon lui, «aucun communiqué officiel ne vient attester d’une telle adoption par le conseil des ministres. Les communiqués des 4 et 21 mai évoquent, au mieux, une note de cadrage et une simple phase de préparation. Rien qui ne puisse justifier la transmission de ces documents au Parlement», note-t-il. «Ce glissement institutionnel est grave. Il crée un précédent dangereux, où le parlement est appelé à débattre de textes sans base juridique. C’est un contournement des règles, une banalisation de la loi», regrette Bocoum.
Un budget hors-sol et une démocratie affaiblie
Mais au-delà de la forme, c’est aussi le fond du dossier qui interpelle, souligne l’ancien parlementaire. «Depuis février 2025, la Cour des comptes a révélé de nouvelles données économiques et budgétaires qui auraient dû, en toute logique républicaine, entraîner la révision du budget initial. Une Lfr sincère aurait permis d’ajuster les équilibres et de corriger les écarts. Rien de tout cela n’a été fait», dénonce-t-il avant d’ajouter avec déception : «on se retrouve aujourd’hui avec un budget artificiel, déconnecté de la réalité économique, mais qui continue de servir de base à des décisions stratégiques », fustige Thierno Bocoum. Selon lui, c’est l’ensemble de la chaîne de gouvernance budgétaire qui devient fictive, et avec elle, la crédibilité des projections à moyen terme.
Le gouvernement a annoncé la publication des rapports d’exécution du 4e trimestre 2024 et du 1er trimestre 2025 pour le 23 juin. «Une date trop tardive pour permettre un examen éclairé et utile du Dob. Le risque est grand, alerte Bocoum, que les débats parlementaires se tiennent dans l’opacité, sur des bases obsolètes et non vérifiées», dénonce le président du mouvement Agir.
L’appel à un sursaut républicain
Pour l’ancien député, cette situation n’est pas seulement un dysfonctionnement administratif. Elle est le symptôme d’une dérive plus large, où les institutions sont instrumentalisées et les procédures expédiées. Il appelle à une prise de conscience nationale, au nom du peuple sénégalais. «La vérité budgétaire n’est pas une faveur accordée par l’exécutif. C’est une obligation envers les citoyens», martèle-t-il. Il demande «le respect scrupuleux de la loi, la publication transparente des données exécutées, et une réforme profonde de la culture budgétaire. Le Parlement ne doit pas être une chambre d’enregistrement. Il doit être un espace de contrôle, de débat et de vérité.»
Baye Modou SARR