La société de bases de données logicielles fondée en 2009, Muck Rack, a publié un nouveau rapport mondial sur les médias, qui révèle une profession en pleine mutation. Si l’Afrique reste marginale dans l’échantillon, les enseignements sont cruciaux pour le Sénégal, où les menaces pesant sur la liberté de la presse se conjuguent à l’irruption de l’intelligence artificielle et à la prolifération des infox.
Le journalisme est-il en train de perdre la bataille contre la désinformation ? C’est la question que soulève le rapport 2025 sur l’état du journalisme publié par Muck Rack, à la lumière d’une enquête menée auprès de plus de 1500 journalistes dans le monde. La principale menace identifiée ? La désinformation, citée par 36% des répondants, loin devant les préoccupations liées au financement, à la confiance du public ou encore à la polarisation politique.
Dans un contexte sénégalais où les réseaux sociaux ont transformé les modes de diffusion de l’information, et où l’arène politique exploite allègrement les fake news, ce constat trouve un écho particulier. Les récentes campagnes électorales, les tensions autour de l’amnistie ou encore les affaires judiciaires liées à la corruption ont été l’occasion d’une avalanche de récits biaisés, souvent relayés sans vérification par une presse fragilisée.
La ruée vers l’IA… sans garde-fous
Le rapport indique que 77% des journalistes interrogés utilisent désormais des outils d’intelligence artificielle dans leur travail, notamment pour la transcription (40%), l’écriture (35%) et la génération de contenu avec ChatGPT (42%). Cette adoption massive est cependant accompagnée de vives inquiétudes : 18% des journalistes considèrent l’usage non régulé de l’IA comme un problème majeur.
Au Sénégal, ces outils sont encore peu formalisés dans les rédactions, mais leur usage informel progresse, notamment chez les jeunes reporters indépendants. Le risque d’une dérive vers une presse automatisée et standardisée, voire manipulée, est réel. D’autant que l’écosystème médiatique national peine à se doter de chartes éthiques adaptées à cette nouvelle donne technologique.
Des journalistes passionnés mais épuisés
Autre enseignement du rapport : 67% des journalistes trouvent leur métier “signifiant”, mais 47% le jugent “épuisant”. Une dualité que l’on retrouve dans les rédactions sénégalaises, souvent en sous-effectif et confrontées à une surcharge de travail, dans un environnement politique tendu et peu protecteur. L’enthousiasme des jeunes professionnels s’y heurte souvent à l’usure du terrain et à l’instabilité des contrats.
Dans ce contexte, la confiance dans l’avenir de la profession reste fragile : seuls 19% se disent “très confiants” dans leurs perspectives à long terme, selon l’enquête. En Afrique, où seulement 5% des répondants sont basés, cette incertitude est encore plus marquée en raison des faibles revenus, du manque de formation continue et des pressions politiques fréquentes.
Les réseaux sociaux, terrain glissant
Le rapport montre un recul global de l’usage de X (ex-Twitter), désormais dépassé par Facebook comme plateforme la plus “utile” pour les journalistes. Toutefois, plus de la moitié d’entre eux expriment des craintes liées à leur sécurité, leur réputation ou leur santé mentale sur les réseaux sociaux.
Au Sénégal, ces plateformes jouent un rôle central, tant pour la diffusion que pour la surveillance de la presse. Elles sont devenues des espaces de harcèlement fréquent pour les journalistes, notamment les femmes, mais aussi des outils incontournables pour se rendre visibles et promouvoir leur travail dans un marché concurrentiel.
Sidy Djimby NDAO