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ORDONNANCE N° 001-2020 DU 8 AVRIL 2020 OU LA MESURE BARRIERE DU PRESIDENT



Un grand magnat de la presse britannique aimait délivrer comme viatique à ses journalistes, ce message captivant : « Si un chien mord une vieille dame, cela ne mérite pas une ligne même en page intérieure. Mais si une vieille dame mord un chien, tirez-le à la UNE »

Image pour le moins surréaliste ! La pandémie du COVID-19 avec son lot, de morts et de déstructuration sociale, a propagé à travers le monde tant d’images surréalistes. Des géants de l’automobile comme Général MOTORS, astreints à fabriquer des masques faciaux. Des parcs et jardins de loisir transformés en centres médicaux de traitement. Le combat pour la survie, cette résilience qu’impose son apparition soudaine et dévastatrice a engendré une subite remise en cause de l’ordre établi et une incroyable confusion des rôles. C’est dans ce contexte d’urgence, qu’à la faveur d’une loi d’habilitation votée à pas de charge le 2 Avril 2020, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, le Président de la République, dépositaire du pouvoir réglementaire, a été autorisé à « légiférer » jusque dans le domaine des lois par la magie des décrets- lois ou ordonnances. L’ordonnance, en effet, « c’est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi ; c’est un acte législatif émis par le pouvoir exécutif » (LEXIQUE des termes juridiques)

La première des mesures que le Président a édictée dans cette catégorie d’actes exceptionnels, c’est l’ordonnance N° 001-2020 du 8 Avril 2020 aménageant des mesures dérogatoires au licenciement et au chômage technique durant la période de la pandémie du COVID-19. Les conséquences du sinistre constituent une menace réelle pour l’emploi. Or, le régime juridique en vigueur, caractérisé par une certaine flexibilité en la matière, n’offre pas au travailleur une protection adéquate contre un recours intempestif et abusif au licenciement (pour motif économique) ou au chômage technique. Pour le prémunir contre tant d’abus, l’ordonnance présidentielle, véritable règle barrière, a trouvé la parade dans la combinaison de deux mesures phares :

- L’interdiction de tout licenciement non motivé par une faute lourde du travailleur

- La subordination de toute mesure de chômage technique au paiement d’un salaire avec, en contrepartie, l’accompagnement de l’ETAT à toute entreprise en règle.

L’interdiction du licenciement et la rationalisation du chômage technique, telle est la substance de l’ordonnance présidentielle.
Elle mérite réflexion

« L’INTERDICTION OU LE CONFINEMENT DU LICENCIEMENT »

« Il convient d’éviter que la flexibilité offerte à l’employeur favorise un recours intempestif au licenciement dans le contexte de la pandémie du COVID 19 »

Prenant très au sérieux ce signal d’alerte contenu dans l’exposé des motifs de son ordonnance, le Président de la République a choisi la mesure forte : l’interdiction ou, pour ainsi dire, le confinement total du licenciement ; sauf dérogation spéciale, aucun licenciement ne pourra être prononcé par aucun employeur.

L’article 1er de l’ordonnance présidentielle est on ne peut plus clair : « durant la pandémie du COVID 19 … tout licenciement autre que celui motivé par la faute lourde est nul et de nul effets »

L’étendue, de cette règle spéciale revêt un intérêt indéniable,

Mais l’intérêt primaire de toute règle réside dans la sanction qu’appelle sa violation.

« L’étendue de l’interdiction » »

Tout licenciement » qui ne serait pas motivé par la faute lourde du travailleur est, selon l’ordonnance du 08 Avril, interdit durant la pandémie du COVID 19.
Ainsi donc, dans la panoplie de motifs que peut invoquer un employeur, seule la faute lourde du travailleur peut justifier son licenciement pendant cette période.

Hormis ce cas grave, aucun motif ne saurait autoriser le congédiement d’un travailleur, durant la pandémie.

C’est dire que le domaine de l’interdiction est très vaste même si sa durée est limitée. Les termes de l’ordonnance présidentielle sont tranchants : sauf cas de faute lourde du travailleur, « tout licenciement » est interdit durant la pandémie du COVID 19. Qu’il s’agisse d’un licenciement pour faute ou d’un licenciement sans faute, que l’employé concerné soit un délégué du personnel ou un travailleur ordinaire, la rupture unilatérale du contrat à l’initiative de l’employeur est strictement prohibée.

La faute est définie comme étant « un manquement à une obligation préexistante de quelque nature qu’elle soit » (article 19 COCC). Dans la mise en œuvre de la sanction, le degré de gravité de la faute est sérieusement pris en compte, la faute lourde étant placée au sommet de la pyramide d’évaluation. Ainsi, le manquement du travailleur peut également se manifester sous la forme d’une « faute simple » ou d’une « faute grave » selon la place qu’il occupe sur la pyramide.

La faute simple apparait comme une faute peu grave qui procède souvent d’une simple erreur du travailleur dans l’exécution de son contrat. La faute grave est un manquement d’une telle gravité, que le maintien du lien contractuel devient impossible pour l’employeur. Quant à la faute lourde, c’est une faute grave accompagnée d’une intention de nuire et appelle une rupture immédiate du contrat de travail (C.S Arrêt N° 7 du 11 Février 2015 Bull. N° 9-10 P. 168).

En droit Sénégalais, « toute faute » peut, en principe, justifier le licenciement. Selon l’ordonnance du 08 Avril 2020, le travailleur qui commet une faute simple ou même une faute grave pendant la pandémie du COVID 19, ne peut pour autant, être sanctionné par une mesure de licenciement ! Ainsi, non seulement un petit retard ou un petit écart, ne pourra justifier le congédiement du travailleur mais même un manquement grave ne pourra fonder son licenciement s’il n’est pas qualifié de faute lourde. Donc, quelle que soit la faute commise, tant qu’elle n’atteint pas le degré de gravité de la faute lourde, le travailleur qui en est coupable est comme immunisé contre le licenciement ; L’employeur pourra lui infliger n’importe laquelle des sanctions prévues par la loi (article 16 CCNI) sauf le renvoi. Le message est clair : la réprimande, l’avertissement ou même la mise à pied sont admis, mais « pendant la pandémie du COVID 19, on ne licencie pas ! ». Du moins, on ne licencie pas en l’absence de faute lourde avérée. Autrement dit, le licenciement pour faute est interdit tant que la faute invoquée n’est pas lourde. Le licenciement sans faute est également prohibé.

« Le cas endémique du motif économique »

Les motifs pour lesquels l’employeur vient à prononcer le licenciement d’un employé ne se résument pas à la commission d’une faute ; le licenciement pour faute est certes plus usuel mais, il est de droit que le travailleur peut (légitimement) être licencié sans avoir commis de faute
Et le cas le plus illustratif des licenciements fondés sur un motif autre que la faute est le licenciement pour motif économique.

Il est défini comme « tout licenciement individuel ou collectif effectué par un employeur et motivé par une difficulté économique ou une réorganisation intérieure … » (Article L60 CT) Ainsi, un simple réaménagement jugé nécessaire dans le fonctionnement du service ou une difficulté économique ressentie dans la gestion de l’entreprise, à l’exclusion de toute faute d’un quelconque travailleur, peut justifier le licenciement d’un ou plusieurs employés.

Cette acception très « ouverte » du licenciement pour motif économique est consacrée dans le droit positif à la faveur d’une grande réforme du Code du Travail portée par la loi 97-17 du 1er Décembre 1997. Elle correspond au relent de « flexibilité de l’emploi » que les employeurs et autres investisseurs ont longtemps réclamé, urbi et orbi. Il convient ici de rappeler en le soulignant que l’une des performances majeures réalisées par la réforme de 1997, c’est d’avoir fait « sauter le verrou » que constituait l’autorisation préalable de l’Inspecteur du Travail avant tout licenciement pour motif économique. L’employeur n’a plus besoin de l’autorisation de l’autorité administrative pour prononcer un licenciement pour motif économique. Le rôle de l’Inspecteur se réduit à une offre de bons offices dans le processus de recherche de solutions (pour éviter le licenciement) entre l’employeur et les délégués du personnel, dans le cadre de la procédure spéciale prévue par la loi (Articles L61 et L62 C.T).

A l’analyse, au-delà de son formalisme bien enrobée, cette procédure spéciale n’est pas un gage de sécurité pour le travailleur exposé au risque d’un recours abusif au licenciement pour motif économique. Il s’y ajoute que la réforme a consacré l’adoucissement de la sanction contre un tel abus. En lieu et place de l’annulation pure et simplement de la mesure de licenciement, celle-ci est seulement déclarée abusive. La tentation est ainsi grande pour l’employeur d’invoquer, de bonne ou de mauvaise foi, une réorganisation interne ou une difficulté économique quelconque pour « réussir » une compression de personnel. Au regard des difficultés économiques engendrées par la pandémie et qui, il convient de le reconnaitre, sont réelles pour de nombreuses entreprises, le motif économique risque d’être un terreau fertile aux licenciements tous azimut qui renverraient dans la rue des milliers de pères de famille, compromettant gravement la stabilité sociale.

Pour l’ordonnateur du 8 Avril 2020, il est impératif d’enrayer un tel risque créé et entretenu par les dispositions très permissibles du Code de Travail. Ainsi qu’il est énoncé d’emblée dans l’exposé des motifs, il s’agit « d’éviter que la flexibilité offerte à l’employeur favorise un recours intempestif au licenciement dans le contexte de la pandémie du COVID 19 ». Pour parvenir à ses fins, « l’ordonnateur du COVID 19 » ne s’embarrasse pas de fioritures : il interdit purement et simplement le recours au licenciement y compris le licenciement pour motif économique. Par une dérogation drastique aux articles L60 et suivants du Code du Travail, il décide que même en cas de difficultés économiques avérées, aucun employeur ne peut prononcer de ce chef, le licenciement d’un travailleur. Comme on le voit, le travailleur jouit d’une certaine immunité contre le licenciement. Mais cette protection est limitée dans le temps : « durant la pandémie du COVID 19 et dans les limites du temps de la loi d’habilitation N°2020-13 du 02 Avril 2020 »

Il convient de préciser que le temps de la loi d’habilitation, c’est-à-dire la période pendant laquelle le Président de la République est autorisé à « légiférer » par ordonnance dans le domaine de la loi, est de trois mois à compter du 02 Avril 2020. (Article 1er loi d’habilitation). La règle portant interdiction de licencier est donc circonscrite dans ce délai d’habilitation. Selon l’ordonnance présidentielle, cette dérogation au droit commun du licenciement « s’applique à toute mesure de licenciement…. décidée à partir du 14 Mars 2020 », soit près de 20 jours avant son adoption effective.

Elle est rétroactive !

Comme le COVID 19, elle perturbe l’ordre établi et heurte de plein fouet le principe de non rétroactivité des lois pour prendre en charge des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur. Cette posture singulière est conforme à l’esprit de la loi (l’ordonnance) tel qu’il transparait dans l’exposé des motifs : il s’agit de « récupérer » tous les cas de perte d’emploi ou de rémunération nés depuis la mise en œuvre des mesures de restriction à partir du 14 Mars 2020, date d’entrée en vigueur de l’arrêté N° 007782 du 13 Mars 2020 portant interdiction de manifestation ou de rassemblement. La règle est dérogatoire et extensive dans son application. Quelle sanction appelle sa violation ?

« La Sanction : la nullité du licenciement »

« Tout licenciement autre que celui motivé par la faute lourde du travailleur EST NUL ET DE NUL EFFET » dispose l’article 1er de l’ordonnance. Selon la législation en vigueur avant le 2 Avril 2020, le licenciement prononcé en violation de la loi, (sauf s’il concerne un délégué du personnel) est un licenciement abusif : le travailleur qui en est victime ne peut prétendre qu’à un dédommagement souverainement octroyé par le juge en guise de réparation du préjudice subi. (Article L56 CT). L’ordonnance du 8 Avril, manifestement dérogatoire du droit commun, sanctionne avec beaucoup plus de vigueur : le licenciement prononcé en violation de la loi est frappé de nullité. Par définition, la nullité, c’est la sanction de l’invalidité d’un acte juridique (Serge BRAUDO : dictionnaire dudit privé). L’acte nul est censé n’avoir jamais existé. La conséquence première de l’annulation c’est le renvoi des parties à l’état dans lequel elles se trouvaient avant l’acte annulé. En clair, le travailleur, lui, doit retrouver son poste.

Certes, l’ordonnance présidentiel ne l’énonce pas expressément, mais en consacrant la nullité du licenciement, l’ordonnateur reconnait au travailleur illégalement licencié le droit à la réintégration comme il est de règle en droit commun ; C’est ainsi que selon les dispositions combinées des articles L116 et L117 du Code du Travail, « le délégué du personnel (illégalement) licencié est réintégré d’office avec paiement d’une indemnité égale au salaire qu’il aurait perçu s’il avait travaillé ». Le travailleur licencié pendant la pandémie du COVID 19, pour un motif autre que la faute lourde, pourra donc réclamer sa réintégration à son poste de travail et le paiement de tous ses salaires échus depuis la date de son congédiement jusqu’au jour de son insertion effective. S’agissant d’une obligation de faire (la réintégration) liée au paiement de sommes d’argent ayant un caractère alimentaire, la demande pourra être portée directement devant le juge des référés. En effet, la saisine de l’Inspecteur du Travail étant désormais facultative (loi 97-17 du 10 Décembre 1997) et vue l’urgence, la formation des référés du Tribunal du Travail devient la voie royale pour le traitement diligent de la cause. Au demeurant, la législation sociale en vigueur autorise cette voie : le Code du Travail en son article L257 énonce que dans les cas d’urgence (comme celle-ci), la formation des référés peut, entre autres actes : -Prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent- Accorder une provision au créancier ou - Ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

La mesure sollicitée par le travailleur et ordonnée par le juge devra, pour satisfaire une exigence d’efficacité, être assortie d’une astreinte, une amende que le débiteur (l’employeur) sera tenu de payer à son employé pour chaque jour de retard apporté dans l’exécution de la décision. Il importe de faire ici quelque précision ; Au moment de prononcer le licenciement de son employé, l’employeur garde (à cet instant précis), sous réserve d’un contrôle a posteriori du juge, le pouvoir de donner à la faute commise sa propre « qualification ». Or la contestation qui s’élève autour de l’appréciation, de la qualification de la faute, reste dans le domaine naturel de compétence du juge du fond (cass. Soc. 29 Nov. 1990. N° 88-40.618 D 1991.6). Ainsi, la mesure de licenciement que l’employeur a, de bonne ou de mauvaise foi, motivée par la faute lourde ne pourra être contestée que devant le juge du fond, à savoir le Tribunal du Travail dans sa formation ordinaire. Mais le licenciement n’est pas la seule mesure éprouvée par l’ordonnance présidentielle.

« LA RATIONALISATION DU CHOMAGE TECHNIQUE »

La législation sociale en vigueur au Sénégal à la date du 08 Avril 2020 a prévu, pour les entreprises confrontées à des difficultés économiques conjoncturelles, une solution alternative au licenciement : le recours au chômage technique. Selon la loi en effet, « en cas de nécessité d’une interruption collective de travail résultant de causes conjoncturelles ou de causes accidentelles, telles que …… une pénurie accidentelle de matière première, un sinistre, des intempéries …… l’employeur peut …… décider de la mise en chômage technique de tout ou partie du personnel … » (article L65 Code du Travail). Le chômage technique consiste pour l’entreprise en difficultés, à mettre temporairement en « chômage » (total ou partiel) tout ou partie de son personnel. Il apparait à l’évidence, que la pandémie du COVID 19, une catastrophe sanitaire qui a mis en péril les systèmes économiques les plus performants, entre bien dans le champ d’application de l’article L65 instituant le chômage technique. Aussi, certains employeurs ne pouvaient-ils s’en priver ; nombre d’entre eux avaient déjà à la date du 08 Avril, envoyé au chômage (technique) une bonne partie de leur personnel, souvent sans le moindre salaire ! C’est dans ce contexte très tendu que l’ordonnance présidentielle est survenue. Ayant à cœur de « désamorcer » la bombe sociale qui couve, l’ordonnateur, par une dérogation très prononcée à la loi en vigueur, pose deux règles majeures :

1ière règle : le recours au chômage technique doit être la dernière solution à envisager : il ne sera admis qu’après recherches infructueuses de solutions alternatives ;
2ième règle : lorsque le chômage technique s’impose comme solution, il sera assorti d’une rémunération minimale ;

« La recherche préalable et obligatoire de solutions alternatives au chômage technique »

« … l’employeur, afin d’éviter le chômage technique, doit rechercher avec les délégués du personnel ou, à défaut, les représentants du personnel, des solutions alternatives … » (article 2 ordonnance 001-2020 du 08 Avril 2020). L’ordonnance présidentielle astreint l’employeur qui, devant les difficultés nées de la pandémie, songe au chômage technique, à une obligation de concertation avec son personnel dans la perspective d’une solution alternative. Ce dialogue est mené avec les délégués du personnel ou les simples représentants ad hoc désignés par les travailleurs. Cette extension dans la représentation à des mandataires non délégués du personnel a ceci de salutaire : Nombre d’entreprises « touchées » par la pandémie ne comptent pas de délégué du personnel en leur sein ; en raison de leur taille très modeste, elles n’atteignent pas le seuil d’effectifs prévu par la loi pour l’organisation obligatoire d’élections de délégués du personnel. Aux termes de l’article 1er du décret 67-1360 du 9 Décembre 1960, « l’obligation d’élire des délégués du personnel concerne les établissements regroupant plus de dix (10) travailleurs » (les prestataires de service et autres stagiaires sont exclus). Ainsi, pour l’élection d’un (1) délégué titulaire et d’un (1) délégué suppléant, l’entreprise doit compter un effectif de 11 à 25 travailleurs (article 2- Décret N° 67-1360). C’est dire que la majorité de ces petites entreprises ou petites industries impactées par la pandémie n’ont pas de délégué du personnel.

Par ailleurs, dans d’autres sociétés dont l’effectif rend obligatoire la désignation de délégué du personnel, le chef d’établissement a réussi à étouffer, endiguer toute velléité d’organisation d’élections. En élargissant le cercle de représentation du personnel jusqu’aux « volontaires » sans qualité de délégué du personnel, l’ordonnateur a entendu parer à toutes ces éventualités. Dans tous les cas de figure, les travailleurs seront représentés dans la recherche concertée de solutions alternatives avec l’employeur. Pour mieux refléter l’esprit de la loi, cette concertation dans la recherche de solutions devrait être matérialisée par un écrit dûment signé par les parties et communiquée à l’Inspecteur du Travail par l’employeur. La formule du procès-verbal adoptée par le législateur dans la procédure de licenciement pour motif économique pourrait être retenue.

Comme on le voit, sous le régime de l’ordonnance du 08 Avril 2020, l’employeur ne pourra, comme ROBINSON dans son ile, s’enfermer dans son bureau et « décréter » le chômage technique. Il est tenu de sérieusement rechercher avec les représentants du personnel, une solution pour éviter une telle mesure.

Selon l’article 2 du texte, « l’employeur doit rechercher des solutions …telles que : - la réduction des heures de travail - le travail par roulement - l’anticipation des congés payés - le redéploiement de personnel - le travail à temps partiel ». Par la locution telle que l’ordonnateur du 8 Avril indique clairement que la liste des solutions n’est qu’illustrative et non exhaustive. C’est d’ailleurs le lieu de relever que l’une des solutions alternatives les plus pratiquées dans le paysage professionnel du Sénégal depuis l’apparition de la pandémie ne figure pas sur la liste de l’ordonnance présidentielle : il s’agit du « télé travail » qui consiste dans l’exercice de l’activité professionnelle à « distance grâce aux technologies de l’information et de la de télécommunication » (Ed. TISSOT).

Le message Présidentiel est clair : l’employeur doit, autant que faire se peut, rechercher toute solution pouvant lui permettre d’éviter le recours au chômage technique. Mais quelle que soit la solution alternative retenue par l’employeur, elle doit être rémunérée. « En aucun cas, la rémunération versée au titre de ces mesures alternatives ne peut être inférieure au pourcentage prévu à l’article 3 » à savoir 70% du salaire moyen net des trois derniers mois d’activité. L’ordonnateur tient à assurer au travailleur un minimum vital ; la rémunération est un impératif catégorique. Quelles que soient les difficultés invoquées ou rencontrées par l’employeur, il doit rémunérer. L’exigence de salaire est encore rappelée lorsque le chômage technique devient inéluctable.

« Les mesures de protection et d’assistance en cas de chômage technique »

Dans un souci d’équilibre certain, L’ordonnance présidentielle offre à l’employeur des « mesures d’accompagnement » et invite le travailleur à rester disponible. Si l’employeur décide de recourir au chômage technique, la durée de celui-ci ne peut dépasser les limites du temps de la loi d’habilitation... ». Pour rappel, la loi d’habilitation N°2020-13 votée par l’Assemblée Nationale le 2 Avril 2020 a une durée de 3 mois (article 1er). Sur ce point précis de la durée, l’ordonnance présidentielle déroge foncièrement au droit commun en vigueur à la date du 8 Avril 2020. Légiférant sur la durée du chômage technique, le code du Travail énonce simplement qu’elle pouvait être fixée par un accord entre les parties. Dans la pratique, la durée de cette mesure exceptionnelle était bien souvent « imposée ».

Par ailleurs, il convient de relever s’agissant de la durée du chômage technique que le législateur ne fixe pas de plafond comme prescrit en droit Français où la mesure ne saurait aller au-delà de 6 mois. Il importe de rappeler ici que l’ordonnance présidentielle s’applique non seulement à toutes les mesures de chômage technique prises depuis son édiction le 8 Avril 2020, mais également à celle adoptées depuis le 14 Mars 2020, soit avant son adoption. (Article 5 ordonnance du 8 Avril 2020). Mais la durée n’est pas le seul point de dérogation de l’ordonnance. Par son caractère dérogatoire au droit commun, l’ordonnance du 8 Avril vise entre autres objectifs, « à garantir un revenu au travailleur mis en chômage technique ». Cette préoccupation clairement exprimée dans l’exposé des motifs est radicalement prise en charge par l’ordonnateur. Sur un ton comminatoire qui ne laisse place à aucune concession, il énonce : « Pendant cette période (celle du chômage technique), le travailleur perçoit une rémunération qui ne saurait être inférieure au salaire minimum professionnel garanti ni à 70% de son salaire moyen net des trois derniers mois d’activité » (article 3 ordonnance 001-2020).

Le salaire revêtant un caractère alimentaire indéniable, il est question ici d’assurer au travailleur en cette période de crise, un minimum incompressible, vital. Ainsi, l’employeur, quelles que soient les difficultés du moment, devra trouver le moyen de verser au travailleur au moins 70% de son salaire net, tous les mois jusqu’à la fin de la période du chômage technique. Ce n’est pas tout ! Si le taux de 70% indexé au salaire du travailleur correspond à un chiffre inférieur au SMIG, l’employeur sera tenu de payer le SMIG comme salaire. Le caractère innovant et dérogatoire de l’ordonnance présidentielle apparait au grand jour sur ce point précis de la rémunération. Le droit commun en vigueur en la matière avant le 8 Avril ne garantissait pas au travailleur mis en chômage technique le paiement d’un salaire. L’article L65 du CT se contente d’énoncer en effet « qu’un accord entre les parties peut préciser … le cas échéant, la rémunération due au travailleur pendant cette période » ; Si le cas de rémunération échet, les deux collaborateurs en précisent le montant d’accord parties ; si aucune rémunération n’est prévue par l’employeur, il n’y a pas de salaire à préciser, le travailleur restera chez lui sans emploi et sans subside. L’ordonnateur du 8 Avril s’est astreint à endiguer, le temps de la pandémie. Cette situation caractéristique d’une réelle précarité et grosse d’une grave crise sociale.

« Les obligations mises en œuvre par l’ordonnance du 8 Avril … s’appliquent à toute mesure de chômage technique décidée à partir du 14 Mars 2020 » (article 5 ordonnance). Le régime dérogatoire qui caractérise l’ordonnance présidentielle s’applique sans quartier tant aux mesures de licenciement qu’à celles afférentes au chômage technique. Ici et là, l’ordonnance a un effet rétroactif. Le sort des mesures de chômage technique prises avant le 8 Avril, à partir du 14 Mars 2020, revêt alors un intérêt à la fois juridique et pratique. Il importe de relever qu’aucune disposition de l’ordonnance ne prévoit l’annulation comme sanction légale contre une mesure de chômage technique décidée sans observation des règles nouvelles. Or sur ce point précis de la sanction, la règle est connue, elle est érigée au rang de principe de droit : « pas de nullité sans texte ». La mesure de chômage technique antérieurement prise ne saurait donc être frappée de nullité. Toutefois, pour la bonne règle, l’employeur devrait, dans le respect de la loi, chercher avec les représentants du personnel, la possibilité d’une alternative au chômage technique. En tout état de cause, le minimum salarial correspondant à 70% du salaire net ou au SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti), reste dû par l’employeur au travailleur admis en chômage technique à compter du 14 Mars 2020. La sanction pécuniaire prévue par l’ordonnance reste également de mise : l’employeur fautif ne bénéficiera pas des mesures d’accompagnement de l’Etat.

Pour le reste, la sanction de l’inobservation des règles nouvellement édictées revient dans le giron du droit commun. En effet, le travailleur qui se sent lésé par une mesure irrégulière de mise en chômage technique pourra toujours saisir le juge du fond d’une demande de dommages intérêts en réparation du préjudice subi : quiconque cause un dommage à autrui est tenu de le réparer. (Article 118 du COCC). Mais la barrière de protection du travailleur ne devrait pas projeter l’entreprise malade du Covid 19 dans une situation de cas grave, « irrémédiablement compromis »

« Les mesures de consolation de l’employeur : l’accompagnement de l’ETAT… »

Consciente de la lourdeur des charges « imposées » à l’entreprise pendant la période de crise, l’ordonnateur offre à celle-ci une « assistance respiratoire » sous forme de mesures d’accompagnement. Il énonce clairement que c’est « en contrepartie » de tant de sujétions que l’employeur bénéficie de ces actions de soutien. Lesdites mesures se résument essentiellement à des remises et suspensions de charges fiscales (cf Ordonnance N°-002-2020 du 23 Avril 2020 relative aux mesures fiscales en soutien aux entreprises dans le cadre de la pandémie du COVID-19). Pourront-elles compenser le surplus de charges liées au maintien obligatoire des emplois et des salaires ? Rien n’est moins sûr.

Mais le travailleur a un rôle à jouer dans ce jeu d’équilibre. « Pendant toute la période d’inactivité, le travailleur est tenu de rester à la disposition de l’employeur. Celui-ci « peut l’occuper à des travaux ponctuels relevant de son domaine de compétence. » (Article 4 al 1- ordonnance). La mesure de chômage technique n’emporte nullement rupture du lien contractuel de travail ; le contrat dont la caractéristique principale est le lien de subordination subsiste. Or, il est de droit que « le travailleur doit toute son activité professionnelle à l’entreprise… ». Quel que soit son lieu de résidence, le travailleur mis en chômage technique tout en étant assuré d’un salaire minimum, doit quand même être disponible, prêt à servir. Être disponible, c’est avoir une adresse précise et être « joignable » par les nouveaux moyens de communication (téléphone, mail etc.). Comme prescrit par le législateur au travailleur bénéficiaire d’une priorité d’embauche, l’agent envoyé en chômage technique « est tenu de communiquer à son employeur tout changement d’adresse » ou de numéros de téléphonie. Un employeur, éprouvé par les affres de la pandémie, ne saurait souffrir d’un travailleur en chômage technique, la fâcheuse manie de se rendre indisponible parce que « injoignable ». Un tel comportement pourrait s’analyser dans ce contexte particulier en une faute lourde justifiant un licenciement immédiat et sans indemnité. En effet pareil manège dénote une intention de nuire, caractéristique principale de la faute lourde.

Contre le travailleur indélicat en cette période de crise, l’ordonnance du 8 Avril a édicté une autre sanction, pécuniaire : « le travailleur qui refuse de se mettre à la disposition de son employeur perd son droit à une rémunération » (article 4 in fine). Cette sanction est bien conforme à une règle fameuse du droit social : « pas de travail, pas de salaire ». Elle traduit également un certain idéal de justice, d’équité : dans ce contexte de marasme économique, les maigres ressources mobilisées avec peine par un employeur au lendemain incertain ne peuvent qu’être utilisées avec parcimonie.

A la lumière de tout ce qui précède, un constat s’impose : l’ordonnance présidentielle est une mesure barrière, très innovante à la portée limitée. En effet, au regard des changements qu’elle imprime, l’ordonnance du 8 Avril 2020 est même « révolutionnaire ». « Par dérogation aux dispositions des articles L49, L60 et L214 » et L65 du Code du Travail, ce décret-loi vient réformer de manière soudaine et profonde un pan entier du droit social en vigueur au Sénégal. Mettant sous le boisseau les textes essentiels sus visées, relatifs au licenciement pour motif économique (Article L60), au licenciement pour faute d’un délégué du personnel (article L214) ou d’un travailleur sans mandat, (article 49 CT) et au chômage technique (article L65 CT), la mesure présidentielle tombe comme un couperet : - D’abord nul ne peut invoquer une quelconque difficulté née de la pandémie pour prononcer un licenciement pour motif économique - Comme si cet oukase ne suffisait pas, l‘autorité Présidentielle réduit de manière drastique les possibilités de recours au chômage technique et assortit cette mesure d’une rémunération obligatoire en faveur du travailleur ! Mais il y a plus remarquable encore : en légiférant pour l’avenir, l’ordonnateur, s’est même permis de règlementer pour le passé, en visant des faits et situations juridiques nés avant son adoption, remettant brutalement en cause l’un des principes majeurs du droit : le principe de non rétroactivité des lois.

« Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui libère ».

C’est clair, l’ordonnateur du 8 Avril a fait sienne cette belle maxime de LACORDAIRE. Dans ce contexte de crise sanitaire et économique, il a pris le parti du plus vulnérable, le travailleur, qui, à vrai dire, est un « cas contact » impacté par l’intense précarité de son employeur. Et la prise en charge, somme toute, timide de ce cas grave (l’entreprise) a rendu nécessaire une assistance – respiratoire - estampillée « mesure d’accompagnement » qui, à l’analyse, se révèle insuffisante. En effet, il est vrai que « qui paie ses dettes s’enrichit » mais l’état de santé très précaire des entreprises affectées par le COVID-19 appelle moins un allégement de charges qu’une injection financière sans laquelle, leur pronostic vital peut être tout de suite engagé. Ici comme ailleurs des secteurs tels que l’hôtellerie, la restauration ou les BTP sont si sévèrement atteints que les entreprises sont dans leur grande majorité, menacées de liquidation.
Dans un système économique aussi solide que celui de la Grande Bretagne, 46% des entreprises du secteur des BTP et 73% de celles de l’hôtellerie ont besoin d’être « perfusées », sous peine de « mourir ».
Il est à craindre que même pendant la période de la pandémie, des employeurs, gagnés par un instinct de survie, et en violation flagrante de la loi, prononcent des licenciements pour motifs économiques ou décident des chômages techniques sommaires et sans salaire, s’ils n’invoquent pas des fautes lourdes imaginaires. Or, il est constant que le contentieux de la qualification de la faute est de la compétence du juge du fond, dans sa procédure ordinaire généralement longue, lente. Quel que soit le juge compétent, le chemin qui mène au Tribunal risque d’être « embouteillé ». Par ailleurs, le caractère innovant de l’ordonnance présidentielle cache une limite congénitale : elle n’est conçue que pour le temps de la pandémie du COVID 19 ; Le risque est grand de voir des employeurs très résilients, attendre stoïquement le déconfinement total marquant la fin de la pandémie et le retour à « la flexibilité » pour prononcer à volonté, des licenciements pour motif économique ou recourir sans retenue à des chômages techniques non rémunérés. Finalement, le travailleur est comme happé par ce dilemme cornélien : perdre son salaire pendant la pandémie ou perdre son emploi après la pandémie. Le scénario n’est pas sans rappeler l’image de GRIBOUILLE, ce dandy de la mythologie qui, en voulant éviter d’être mouillé par la pluie, était tombé dans la rivière. Cette image donne à réfléchir : pour désamorcer la « bombe sociale » qui couve insidieusement, l’ordonnance du 8 Avril devrait être repensée dans l’optique d’un meilleur équilibre entre les intérêts du travailleur et ceux de l’entreprise qui emploie, qui rémunère.

« La poule aux œufs d’or ne doit pas mourir ! »

Des mesures d’accompagnement soutenues en termes de financement pour la relance de l’activité des entreprises devraient favoriser une extension raisonnable du champ d’application de l’ordonnance dans la durée. Il s’agirait d’accentuer les mesures de résilience économique en faveur de l’entreprise pour une protection plus adéquate de l’emploi et du salaire, dans l’intérêt du travailleur. En définitive, face à la pandémie du COVID 19, le salut réside dans le culte de l’équilibre, de la justice, pour une société réconciliée avec elle-même dans l’allégresse d’un déconfinement pour toujours.

Me Ndéné NDIAYE Avocat Dakar le 22 Mai 2020
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