Révélé en exclusivité par «Les Échos», le contentieux judiciaire opposant l’État du Sénégal à l’architecte Pape Diédhiou n’a pas fini de faire jaser. Et pour cause, alors que les autorités sénégalaises refusent encore de communiquer sur la question, Diédhiou est plus que jamais décidé à mener la lutte pour entrer dans ses fonds. Désormais, ce n’est plus un million de dollars que l’architecte et son avocat réclament à l’État du Sénégal. Ils affirment dorénavant, après comptabilisation de toutes les factures, que le gouvernement du Sénégal doit 2,4 millions dollars (plus de 1,3 milliard de F Cfa) d’honoraires impayés pour des travaux sur le développement d’une tour, qui avait été envisagée comme un centre diplomatique. L’avocat de Diédhiou, qui s’est entretenu en exclusivité avec «Les Échos», a révélé que le Président Macky Sall a été saisi de cette affaire, mais n’a jamais répondu.
L’État du Sénégal continue de payer son tâtonnement dans ses investissements. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le paye très cher. Et les choses ne risquent pas de s’arranger de sitôt, puisque l’État du Sénégal, quelques mois seulement après avoir payé 25 millions de dollars pour l’achat d’un condo dans une tour controversée de Midtown qu’il a développé, risque une condamnation à payer une forte somme d’argent à l’architecte sénégalais basé aux États-Unis, Pape Diédhiou. Ce dernier affirme que le pays lui doit des millions de dollars en frais impayés.
Pape Diédhiou, qui est basé à New York, réclame 2,4 millions de dollars après un effort de plusieurs années pour percevoir le paiement de son dû, affirme-t-il. Avec la plainte déposée devant le tribunal fédéral de New York, c’est la deuxième fois que le Sénégal fait face à une action en justice pour cette affaire.
Pape Diédhiou réclame désormais 2,4 millions de dollars à l’Etat du Sénégal
Diédhiou a été le représentant du Sénégal dans le projet «la Maison du Sénégal», un projet de développement d’une tour en plein New York, devant servir de centre diplomatique au Sénégal. C’est à partir de 2007, alors que le pays se préparait à acquérir la propriété située au 235 East 44th Street, selon les archives et les documents judiciaires, que Diédhiou a commencé à représenter le Sénégal dans le projet, effectuant plusieurs dépenses de sa poche. Il a été nommé à ce poste par Paul Badji, alors représentant permanent du Sénégal auprès des Nations-Unies, selon un accord qu’il a déposé au tribunal.
Selon le procès, Diédhiou a déclaré que son travail sur le projet, entre 2008 et 2014, comprenait des services de design d’intérieur et d’architecture, en plus de gérer les approbations, les paiements d’impôts et d’autres questions financières. Au fil des ans, il affirme avoir payé un total de près de 130.000 dollars en dépenses personnelles pour des éléments tels que les assurances, les frais juridiques et les voyages d’affaires pour rencontrer des responsables sénégalais à Dakar et à Paris. L’ancien ministre des Affaires étrangères Alioune Badara Cissé a également rencontré Pape Diédhiou dans le cadre de ce projet.
La fameuse lettre de Pierre Goudiaby Atepa
Toujours dans cette affaire, l’architecte Pierre Goudiaby Atepa est aussi cité. Dans une lettre en date du 10 août 2016, l’Ambassadeur et Représentant permanent du Sénégal à New York informait M. Diédhiou avoir reçu, suite à sa demande, une lettre de Pierre Goudiaby dans le cadre de cette affaire. «Dans sa lettre, Monsieur Goudiaby confirme que l’Etat du Sénégal a respecté et payé tous les engagements et que lui cherche à vous joindre pour que la part de vos émoluments vous soit versée au prorata», a écrit le diplomate. Qui ajoute : «je note aussi qu’il demande que vos revendications soient redirigées vers le cabinet Pierre Goudiaby Atepa, y compris toute action juridique éventuelle que vous envisageriez d’entreprendre».
Bien que Diédhiou admette qu’il n’a jamais eu de contrat écrit, il note qu’il a rendu ses services à certains hauts fonctionnaires du pays. Parmi ceux-ci figuraient l’ancien président Abdoulaye Wade et son épouse Viviane ; avec un conseiller spécial du président et trois anciens ministres.
Me JR Skrabanek, avocat de Diédhiou, va plus loin
L’avocat Me JR Skrabanek, qui représente Diédhiou dans le procès, a fait valoir qu’une obligation légale avait été établie au cours de plusieurs réunions et des années de travail que l’architecte avait effectuées. Les représentants du Sénégal au plus haut niveau ont dit «à plusieurs reprises» à Diédhiou qu’il serait payé, a déclaré Skrabanek dans une interview. «Il demande à être payé depuis longtemps et ils l’ont simplement repoussé pour toujours», a-t-il déclaré. Contactés par la presse américaine, les responsables sénégalais aux États-Unis n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
Interrogé en exclusivité par «Les Échos», l’avocat américain de Diédhiou, Me Skrabanek, n’y est pas allé par quatre chemins. À la question de savoir ce qui lie son client à l’Etat du Sénégal. Il répond : «mon client a grandement aidé le Sénégal pendant plusieurs années à développer le projet « Senegal House » situé au 227-235 E. 44th Street, New York, New York 10017. M. Badji et autres, dont l’ancien Président Abdoulaye Wade, l’ancienne Première Dame Viviane Wade, l’ancien ministre de l’Énergie Samuel Sarr, le ministre du Budget Birima Mangara et le ministre des Affaires étrangères Alioune Badara Cissé, ont chacun demandé à mon client de l’aider à développer la propriété de différentes manières», assure l’avocat. Qui ajoute que son client a travaillé pendant de nombreuses années et s’attendait à être payé. Pour lui, le Sénégal savait qu’il s’attendait à être payé, mais personne ne lui a jamais rien payé pour son travail.
Pape Diédhiou ne poursuit pas Fodé Seck ni aucune personne individuelle, mais…
Ainsi, dit-il, en vertu de la loi américaine, le Sénégal est responsable envers M. Diédhiou pour «rupture de contrat» et «enrichissement sans cause» parce que le gouvernement a directement bénéficié des services de M. Diédhiou mais ne l’a jamais payé. «M. Diédhiou ne poursuit pas M. Seck (Ndlr : Fodé Seck) ni aucune personne individuelle. Il ne poursuit que le gouvernement de la République du Sénégal. Cependant, même s’il ne poursuit pas directement M. Seck, en vertu de la loi américaine, le pays est obligé de payer mon client pour les actes de M. Seck, M. Wade et Mme Wade, ainsi que d’autres fonctionnaires du gouvernement depuis qu’ils ont demandé à mon client l’aide au nom du gouvernement, et le gouvernement en a certainement bénéficié», dit-il encore, indiquant qu’en vertu de la loi américaine, le Sénégal n’est pas à l’abri de poursuites devant les tribunaux américains pour les actes dont se plaint M. Diédhiou.
Macky Sall a pourtant été saisi…
Et de finir par une révélation : «une autre chose que vous devez savoir : nous avons contacté de nombreux représentants du gouvernement, y compris le Président Macky Sall, avant de porter plainte pour tenter de faire en sorte que M. Diédhiou reçoive un paiement approprié. Personne n’a jamais répondu. S’il souhaite ne pas avoir à intenter de poursuites, le gouvernement sénégalais ne lui laisse pas le choix».
Les détails du projet
La tour de Manhattan de 19 étages, située à quelques pâtés de maisons des Nations-Unies et achevée en 2016, a été conçue comme une plaque tournante des efforts diplomatiques du Sénégal à New York, selon Diédhiou. La moitié du bâtiment, surnommée «Maison du Sénégal» (l’autre moitié devant être louée pour produire des fonds), devait être utilisée pour accueillir des dignitaires étrangers dans des installations comprenant des bureaux, des espaces de divertissement et des auditoriums. Le pays louerait également environ la moitié du bâtiment en tant qu’espace de bureaux, gagnant de l’argent et en tant que lieu d’événements, a rappelé Diédhiou par l’intermédiaire de son avocat. Les étages supérieurs du bâtiment comprenaient des résidences pour diplomates, et un somptueux triplex, appelé la suite présidentielle, était prévu pour le haut du bâtiment, selon les plans préparés par Diédhiou en 2010 et déposés dans le cadre de sa poursuite.
Les choses étaient sur la bonne voie, quand Me Abdoulaye Wade, qui visait un troisième mandat, a perdu l’élection présidentielle de 2012. Son successeur, Macky Sall, a poursuivi le projet Midtown, qui s’est heurté à des problèmes juridiques à New York l’année suivante. Au printemps 2013, Glacier Global Partners a poursuivi le pays pour avoir prétendument renoncé à une coentreprise pour développer la tour et avoir opté pour un autre partenaire. Selon le journal américain «therealdeal», la poursuite a été abandonnée dans les six semaines et le dossier classé sans suite. Au printemps dernier, le Sénégal a racheté environ les deux tiers du bâtiment – qui a été divisé en blocs de condos commerciaux et résidentiels – à son partenaire de développement, Pride Builders, pour un total de près de 25 millions de dollars.
Sur la base des plans d’étage du bâtiment, il semble que la «Maison Sénégal» ne s’est pas concrétisée et ce qui est construit est loin de ce que Diédhiou avait prévu. Au lieu de cela, la tour a été convertie en appartements locatifs avec un espace commercial de deux étages à la base de la tour. La suite présidentielle projetée est désormais un espace de loisirs pour les locataires. Les loyers demandés varient de 2700 $ à plus de 6000 $ par mois, selon StreetEasy.
Sidy Djimby NDAO – Les Échos