
Alors que le Fonds monétaire international reste sur sa réserve, dans l’attente de données jugées fiables sur les finances publiques du Sénégal, la Banque mondiale, elle, a décidé d’agir. L’institution a approuvé ce lundi un financement concessionnel de 100 millions de dollars soit 56 milliards de francs Cfa pour appuyer la transformation de la mobilité urbaine dans la région de Dakar et dans plusieurs villes secondaires de l’intérieur du pays.
Un contraste saisissant entre deux bailleurs historiques. Depuis plusieurs semaines, le Fmi attend toujours des garanties budgétaires claires du nouveau gouvernement. Mais, du côté de la Banque mondiale, la dynamique semble tout autre, c’est une confiance affirmée dans les premières orientations économiques du pouvoir en place qui s’est matérialisée, ce 17 juin, par l’annonce officielle de cet engagement financier d’envergure.
Derrière ce geste, un projet structurant : la première phase du projet de mobilité urbaine durable à Dakar, mis en œuvre dans le cadre du Programme d’amélioration de la mobilité urbaine au Sénégal (Pamus), pour lequel le Conseil exécutif des transports urbains durables (Cetud) assure la maîtrise d’ouvrage, sous l’égide du ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et aériens (Mitta).
Un chèque au moment opportun
Le financement est octroyé par l’intermédiaire de l’Association internationale de développement (IDA), la branche de la Banque mondiale dédiée aux pays à faible revenu. Dans un contexte où le gouvernement sénégalais multiplie les signaux de relance après l’alternance du mois de mars 2024, cette annonce sonne comme une bouffée d’oxygène. « Cette opération témoigne de l'engagement ferme du Groupe de la Banque mondiale à soutenir la trajectoire de développement du Sénégal, telle qu'elle est décrite dans la Vision 2050 », a souligné Keiko Miwa, Directrice de la division Sénégal de la Banque mondiale. Une déclaration lourde de sens, dans un contexte où la crédibilité des projections budgétaires fait toujours débat au sein de plusieurs cercles financiers.
Une réforme ambitieuse du transport urbain
Concrètement, selon les services de communication du Cetud, ce financement servira à déployer des infrastructures modernes et interconnectées dans l’agglomération de Dakar et dans d’autres villes. Il est notamment prévu de restructurer le réseau de transport en commun, de professionnaliser les opérateurs informels et de mettre en place de nouveaux couloirs de bus capacitaires, en lien avec les axes du Bus Rapid Transit (BRT) et du Train Express Régional (TER).
Mais le projet ne se limite pas à la capitale. Le Cetud précise que la première phase de l’extension aux villes secondaires concerne Thiès, Mbour, Saint-Louis, Touba-Mbacké, Kaolack et Ziguinchor. Une ambition clairement affichée de territorialisation de l’action publique. Selon le communiqué du Cetud, ce programme vise à « moderniser, consolider et améliorer l’efficacité des infrastructures et services de transport, tant dans la capitale que dans les pôles territoriaux », en cohérence avec la Stratégie nationale de développement 2025-2029.
Une approche intégrée et durable
Le projet mise aussi sur la résilience climatique. Les nouvelles infrastructures intégreront des dispositifs de drainage renforcés, des solutions fondées sur la nature et le déploiement d’autobus à faibles émissions sur les corridors prioritaires. Objectif : allier efficacité des transports et réduction de l’empreinte carbone. « En transformant la mobilité urbaine à Dakar, ce projet ouvrira des perspectives économiques à 3,8 millions de personnes tout en permettant à des milliers de travailleurs du secteur informel de trouver un emploi structuré », insiste Keiko Miwa.
En filigrane, les équilibres macroéconomiques
Cette annonce survient alors que le Fmi temporise. Bien qu’un cycle de discussions ait été entamé en mai avec les nouvelles autorités, aucun accord n’a encore été annoncé sur la reprise des programmes ou sur la conclusion d’une nouvelle facilité élargie de crédit. En cause : des incertitudes persistantes autour du déficit budgétaire, de la dette publique et des projections de recettes liées aux hydrocarbures. « Le Fmi a besoin de voir clair dans les comptes avant d’engager à nouveau », confie une source proche du dossier. Une position prudente, sans doute renforcée par les révisions à la baisse de la croissance projetée pour 2025, du fait des retards dans l’exploitation du gaz et du pétrole. Mais, pour la Banque mondiale, l’urgence est ailleurs. « Il s’agit ici de soutenir des investissements essentiels au bien-être des populations, à la croissance économique inclusive et à la cohésion territoriale », soutient-on à Washington.
Un message fort aux partenaires
Ce financement de 100 millions de dollars c’est-à-dire plus de 56 milliards de francs Cfa sonne ainsi comme un signal fort adressé aux autres partenaires techniques et financiers. Il traduit une volonté de soutenir les politiques publiques sur des secteurs à impact direct, même dans un contexte d’attentisme budgétaire. «La Banque mondiale prend acte des premiers jalons posés par le gouvernement et choisit de l’accompagner dans une réforme structurante, au cœur des défis urbains du pays», résume un observateur.
À l’heure où les usagers dakarois subissent quotidiennement les effets de la congestion, de la vétusté du parc roulant vieillissant et de l’informalité du secteur, cette annonce marque une rupture : celle d’une modernisation pensée à long terme, mais amorcée dans l’urgence.
Baye Modou SARR