Révélation de la dernière élection présidentielle où, vilipendant les élites traditionnelles, il a obtenu une flatteuse troisième place et un score à deux chiffres (15,67 %), Ousmane Sonko refuse de renoncer aux feux de la rampe. Mais, d’accusateur, le président du parti Pastef se retrouve aujourd’hui dans la position du suspect, et peut-être bientôt dans celle de l’accusé.
À l’origine de ce retournement de situation, une affaire foncière dans laquelle il a dénoncé un détournement de fonds publics de 94 milliards de F CFA (143 300 millions d’euros). Le problème, c’est qu’une commission parlementaire a blanchi le haut fonctionnaire (par ailleurs membre du parti au pouvoir) qu’Ousmane Sonko accusait. Lui est convaincu que cette décision n’est qu’une manœuvre pour le faire poursuivre pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles. Et pour cause : en cas de condamnation, il sera inéligible. Il n’en fallait pas plus pour que le député dénonce une « cabale » ourdie par le président Macky Sall.
Encombrant rival
De fait, la majorité présidentielle n’hésitera pas à lever son immunité parlementaire pour le forcer à comparaître devant les tribunaux en cas de plainte contre lui. Même si cela ne parvient pas à le priver d’avenir politique, ce sera toujours un coup de canif dans le blanc manteau de chevalier anticorruption dont Sonko s’est paré. Le pouvoir veut rogner les ailes de cet encombrant rival, qui se fait le porte-drapeau de tous les mécontents et des combats de la société civile (sortie du franc CFA, gestion vertueuse du pétrole et du gaz et réduction de la mainmise étrangère – réelle ou présumée – sur l’économie formelle).
Le pouvoir sera entre les mains des libéraux pour cinquante ansIl y a d’ailleurs comme une coalition d’intérêts objectifs contre le député. Les héritiers du libéralisme d’Abdoulaye Wade voient d’un mauvais œil l’ancrage parmi les prétendants sérieux à la magistrature suprême de cet intrus qu’est, à leurs yeux, Ousmane Sonko.
Surenchère
Face à la menace judiciaire qui pèse sur lui, Ousmane Sonko a eu tôt fait de ramener les débats sur le terrain qui lui réussit le mieux : celui du combat politique frontal. La surenchère – quasi paranoïaque – à laquelle se livre le président du Pastef vise un double objectif.D’abord, elle lui permet de s’ériger en voix discordante, donc singulière et écoutée, au milieu du concert de louanges sincères et d’approbations forcées qui a salué la décrispation politique voulue par Macky Sall (rapprochement avec son prédécesseur et libération de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Sall). Ensuite, desserrer l’étau qui pourrait l’isoler dans le cas d’une poursuite sans anicroche du dialogue politique national, auquel il a refusé de participer mais qui est bien parti pour inclure désormais la première force d’opposition parlementaire : le PDS d’Abdoulaye Wade.
Dès lors, sa seule option est d’incarner (un peu plus encore) l’antagonisme le plus radical face à Macky Sall et de se poser en recours, statut que pourrait lui disputer un Khalifa Sall réhabilité ou un Karim Wade ramené au centre du jeu grâce à la réconciliation entre son père et le chef de l’État.
Sur l’échiquier politique sénégalais, Ousmane Sonko a préempté la diagonale, pour se poser en mètre étalon de la mesure du degré d’opposition. Et, paradoxalement, l’un de ses rivaux de la dernière présidentielle est en train de l’y aider : face à un Idrissa Seck arrivé deuxième mais depuis muet et insaisissable, Sonko, l’ex-inspecteur des impôts entré en politique par effraction, a une chance de s’imposer comme le leader de l’opposition sénégalaise. Sachant que, ce qui se joue, c’est (déjà !) la succession de Macky Sall, prévue pour 2024.
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