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Idrissa Seck : Vers une réelle réforme économique ? (Par Mohamed KA)



Idrissa Seck : Vers une réelle réforme économique ?  (Par Mohamed KA)
Même s’il a esquissé quelques pas de danse au Centre International de Conférence Abdou Diouf (Cicad), lors de la cérémonie de lancement de la campagne de parrainage de sa candidature, Macky Sall aborde, avec beaucoup d’incertitude, le dernier virage vers la présidentielle de 2019. Engrangeant seulement 26% des suffrages au premier tour de la dernière présidentielle, Macky Sall n’a pas réussi à bien implanter sur le territoire national son parti, qui est déchiré par des querelles internes. C’est aussi le découragement chez un grand nombre de ceux qui l’avaient soutenu en 2012. Ils réclament des postes. Leur part du gâteau. Ces derniers n’ont pas caché leur amertume et l’ont fait entendre à Macky Sall, lui-même, à l’occasion d’une rencontre politique organisée au palais présidentiel, il y a quelques jours.

Alors que l’hivernage s’est tardivement installé sur l’ensemble du pays, avec en perspective des récoltes insuffisantes, les éleveurs vivent des moments très difficiles, avec une grande partie du cheptel décimée par le manque de fourrage. Il faut relever que l’agriculture et l’élevage au Sénégal sont encore au stade traditionnel. Le gouvernement de Macky Sall n’a pas su mettre sur pied une politique agricole innovante qui casserait la monoculture de l’arachide introduite pour des raisons économiques, à son profit, par le colonisateur français. La grande majorité des agriculteurs sénégalais ne s’activent que pendant l’hivernage.

Cette agriculture hivernale, menée par des paysans aux moyens limités, ne porte pas les marques d’une activité tournée vers l’exportation. En dépit des nombreux cours d’eau qui arrosent le pays, le Président Sall n’a pas su insuffler à l’agriculture sénégalaise une dynamique forte, bâtie sur une vision claire qui sortirait l’agriculteur sénégalais de la pauvreté, avec, à la clé, des productions exportables et génératrices de devises. Faute de vision et d’engagement politique des autorités étatiques, les terres de la vallée sont accaparées par des projets agricoles aux mains d’étrangers, indiens par exemple, qui ont transformé les agriculteurs sénégalais en ouvriers agricoles mal rémunérés. Ce facteur exogène contribue largement à la paupérisation des populations rurales et affecte l’économie du pays, dont une part importante du PIB est supportée par l’agriculture.

 Le Président Macky Sall avait dit que le Sénégal serait autosuffisant en riz, en 2017. Le pays continue de consacrer plus de deux cents milliards de francs CFA, à l’importation du riz. La FAO, l’UNICEF et le PAM (Programme Alimentaire Mondiale) ont exprimé leur désarroi lors d’une rencontre tenue le 3 mai 2018, à Dakar. Plus de huit cent mille Sénégalais seraient menacés par la famine. Notamment dans les régions de Matam, Kaffrine, Louga, Diourbel, Kédougou et Sédhiou.

L’industrie sénégalaise, qui dépend en grande partie des industries de transformation alimentaire, n’arrive pas à s’imposer sur un marché local inondé de produits étrangers. Le Plan Sénégal Emergent (PSE), qui s’inspire des paradigmes postkeynésien et néo structuraliste, est passé par là. En ouvrant le Sénégal à la mondialisation sans prendre des mesures protectrices et accompagnatrices pour son industrie, le gouvernement de Macky Sall a livré le secteur privé à une rude concurrence étrangère.

Le secteur secondaire souffre de l’absence d’industries technologiques de pointe capables de booster fortement le PIB du pays, par l’entremise des secteurs primaire et tertiaire. Le BTP est à l’agonie. Les entreprises chinoises, turques et marocaines, qui bénéficient d’appuis financiers calculés de leurs Etats respectifs, raflent les marchés. Cela a considérablement augmenté le chômage et la pauvreté en milieu urbain, avec comme corollaire l’insécurité et la mendicité. Le pays est fortement frappé par une pauvreté chronique qui étend ses tentacules sur des populations analphabètes, représentées en grande partie par les femmes en milieu rural. Les initiatives économiques prises par le Président Macky Sall sont plus conjoncturelles que structurelles. Les « intérêts privés» (bourses familiales, financements individuels ou collectifs calculés, etc.) ont servi à financer beaucoup de programmes et projets sans impact réel sur l’économie du pays. Faute de formation et de préparation technique des bénéficiaires, ces projets sont voués à l’échec.  

La paupérisation du pays a fortement dégarni les caisses de l’Etat, qui recourt de plus en plus à l’endettement extérieur. La volonté soudaine, affichée par le gouvernement, à vouloir contrôler un secteur informel qui paie très peu de taxes, renseigne à suffisance sur une trésorerie essoufflée et une fiscalité peu maitrisée. Le Président Macky Sall est très critiqué pour la dilapidation des ressources financières, l’absence de transparence dans l’octroi des marchés publics et la gestion nébuleuses des établissements publics (Poste, Centres universitaires, etc.) 

L’imbrication des pouvoirs exécutif et judiciaire, l’infécondité du pouvoir législatif, le recul démocratique, la mal gouvernance, l’apologie de la transhumance politique, la restriction des libertés, l’absence de dialogue franc avec l’opposition et le népotisme ont contribué à accentuer le courroux des Sénégalais . Pendant que Dakar et d’autres contrées du pays sont sans eau potable depuis de longs mois.
 
C’est dans ce contexte politique et social défavorable au Président sortant, Macky Sall, que Idrissa Seck veut prendre les rênes du pays. Ancien Premier ministre, Idrissa Seck est vu par ses compatriotes comme un brillant homme d’état capable de mettre le pays sur la voie de l’émergence. Le journal Jeune Afrique le décrivait comme un économiste brillant et pieux, dans sa livraison du 30 mars 2018. Idrissa Seck aurait pu passer ses journées à expliquer la courbe de Lorenz ou à s’épancher sur les écrits de Mahbul Ul Haq, ou autre Amartya Sen, devant un parterre d’étudiants médusés. Il est formé dans une école catholique de Thiès (son terroir) pour ses études secondaires et dans les prestigieuses universités américaines et françaises (Princeton et Sorbonne).

Il a une belle carte à jouer dans cette présidentielle. Il peut compter sur un parti organisé, structuré et bien implanté dans le pays. Mais il peut également compter sur le vote des intellectuels du pays, qui voient en lui le candidat le mieux outillé pour relever le défi économique et restaurer l’Etat de droit. Un pan de son programme, dévoilé lors d’une rencontre qu’il a tenue avec les cadres de son parti, montre son attachement à la science et à l’éducation. C’est là où il dame le pion à son adversaire Macky Sall, qui, lui, ne montre pas beaucoup d’enthousiasme et d’intérêt pour ces secteurs primordiaux. La mort par balle des étudiants Fallou Sène et Ibrahima Faye, dans l’enceinte des universités du pays, alors qu’ils réclamaient le paiement des bourses, est révélatrice de la crise profonde qui secoue l’enseignement supérieur. Idrissa Seck annonce une économie qui sera bâtie sur un capital humain bien formé. De l’école maternelle à l’université, les Sénégalais bénéficieront d’une formation académique de qualité basée sur la promotion de l’excellence et du mérite.  «C’est le secteur qui irrigue tous les autres», dira-t-il de l’éducation. Il est conscient qu’en bien formant ses compatriotes, il facilite le développement économique et social du pays. La rétention des élèves dans le cycle primaire et l’accès à une formation universitaire de qualité réduiront le fort taux d’analphabétisme et rendront le pays plus attrayant aux yeux des investisseurs. Idrissa Seck veut jouer sur la position géographique stratégique du Sénégal.

Critiquant les initiatives économiques de Macky Sall, il s’insurge sur le choix de Diamniadio comme nouveau pôle économique du pays. Il n’y voit pas un choix économique pertinent. Pour «Mara», comme l’appellent ses affidés, en référence à un grand marabout de la confrérie Tijane, la nouvelle ville du pays devrait se situer vers la frontière avec la Guinée-Conakry ou le Mali. Dans ce contexte économique, le Sénégal gagnerait beaucoup plus, car la ville susciterait un intérêt commercial pour le pays voisin et développerait des liens commerciaux avec le reste du pays. A Tambacounda, à l’est du pays, un port sec sera construit pour faciliter et booster les transactions économiques avec le Mali. Les gros camions citernes transportant les hydrocarbures vers le Mali et qui constituent des risques graves d’accident et de pollution seront remplacés par des pipelines qui cohabitent avec un chemin de fer moderne reliant les deux pays.

Le pétrole et le gaz sénégalais feront du pays un hub énergétique où s’approvisionnent les pays limitrophes. Le Sénégal sera ainsi une puissance économique sous-régionale, voire continentale. Cela contribuera à dynamiser les autres secteurs de son économie, en facilitant le rayonnement de sa diplomatie. La puissance économique entraine souvent la puissance politique. L’ancien Premier ministre du Sénégal pense que la découverte des ressources énergétiques devrait entrainer une diminution substantielle du coût de l’électricité, jugé trop cher. En diminuant le cout de l’électricité, Dakar qui est en compétition économique avec Abidjan, donne à son secteur privé la possibilité d’augmenter ses revenus, de mieux former son capital humain, d’accroitre ses recrutements et d’être plus compétitif à l’échelle régionale. Dakar pourra ainsi appuyer son avantage comparatif et jouer le rôle de premier pourvoyeur en Afrique de l’Ouest.  Aussi de nombreuses familles sénégalaises pourront avoir le courant chez eux. Nous avons vu, hier seulement, des populations éreintées envahir les rues avec des brassards rouges, brandissant des lampes à pétrole.

Ils veulent sortir des ténèbres !  Le secteur privé qui souffre de la cherté de l’électricité, de l’insuffisance de débouchés, du manque de formation et de taxes exorbitantes à l’importation, trouvera un allié sûr avec l’arrivée d’Idrissa Seck au pouvoir. Idrissa Seck, tout en appuyant la formation et le développement du capital humain, accordera aux entreprises une période d’exemption fiscale pour leur permettre d’être financièrement plus solides et d’envisager leur expansion avec des recrutements d’envergure. Cette mesure gagnant-gagnant va instaurer un climat de confiance entre l’Etat et le privé, favoriser le développement et la compétitivité industrielle. Avec une industrie robuste et compétitive à l’échelle nationale et régionale, le gouvernement du Sénégal bénéficiera de retombées fiscales conséquentes. Les investisseurs étrangers, soumis à un cahier de charges, devront investir, au Sénégal, une bonne partie des dividendes acquis sur son territoire.

Les accords de pêche signés avec la Mauritanie et qui obligent les pêcheurs sénégalais à débarquer leurs prises en territoire mauritanien a provoqué l’ire chez Idrissa Seck. Il souligne que ce débarquement en terre mauritanienne tuera l’économie de la région de Saint-Louis qui repose essentiellement sur la pêche et l’agriculture. Les activités connexes à la pêche comme le transport, le lavage des produits, la réfrigération, le séchage, la restauration, les commerces détaillants, et même les écailleuses, qui emploient des milliers de personnes, seront appauvris, dira Idrissa Seck.

Il préconise la renégociation des accords avec un débarquement à Saint-Louis, l’accroissement des licences de pêche octroyées et la protection renforcée des côtes et des pêcheurs par la marine nationale. Il faut souligner que la rareté du poisson au Sénégal est la conséquence d’accords désavantageux signés entre le gouvernement de Macky Sall et l’Union Européenne dont les chalutiers géants ne laissent le moindre petit poisson dans les eaux sénégalaises. Cette situation est à l’origine de beaucoup de maux dont souffrent les pêcheurs sénégalais qui sont souvent pris dans les mailles de garde-côtes étrangers, qui n’hésitent pas à leur tirer dessus. La mort atroce du tout jeune Fallou Sall causée par des garde-côtes mauritaniens est encore fraiche dans les mémoires.  

Face à la paupérisation des ménages, Idrissa Seck estime qu’il faut davantage investir sur les femmes du pays. Mais cet investissement ne doit se faire de façon disproportionnée avec des visées purement politiques. Il faudra accentuer la formation, le renforcement de capacités, la mise sur pied de modèle de développement innovant, le suivi et l’évaluation. Il est question de la valorisation du travail de la femme, de mesurer son impact sur le développement et de donner aux femmes la possibilité de bien jouer leur rôle en tant qu’actrices de développement.

Idrissa Seck, qui trouve un écho favorable chez nombre de ses compatriotes, devra très prochainement publier l’intégralité de son programme pour avoir le suffrage des Sénégalais. En économiste avisé et fin politicien, «Ndaamal Senegaal », pour reprendre ce militant de son parti, au wolof châtié par la forte consonance pulaar, attend certainement le bon timing pour dévoiler son programme. L’arrivée du Dr. Lamine Ba, un homme du sérail, ancien ministre, aux côtés de Déthié Fall et du Dr. Abdourahmane Diouf, deux technocrates sérieux et compétents, propulse le Rewmi au-devant de la scène politique sénégalaise. Reste à savoir si l’opposition sénégalaise, le parti Rewmi en particulier, saura faire face à un Macky Sall dont la méthodologie renvoie au parti communiste chinois.

Les réformes économiques envisagées par Idrissa Seck devront effacer la cinquantaine d’années de tâtonnement économique, d’absence de vision claire qui a précipité le Sénégal dans un labyrinthe où il peine à émerger et le maintient dans le peloton des pays les plus pauvres du monde. Les reformes permettront au secteur privé qui sera soutenu par un capital humain fort de prendre enfin l’envol et de se positionner en leader dans la zone UEMOA. Ces réformes ne pourront se concrétiser que si Idrissa Seck tient ses promesses, en gouvernant dans l’équité et la transparence, condition sans laquelle les richesses du pays ne profiteraient qu’à une petite élite, comme c’est le cas avec le gouvernement de Macky Sall. Autrement dit, la croissance économique doit être parallèle à un développement humain inclusif.

 
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