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CÉLÉBRATION DU MAGAL DE TOUBA: Me Khassim Touré plaide la révision du procès de Cheikh Ahmadou Bamba



CÉLÉBRATION DU MAGAL DE TOUBA: Me Khassim Touré plaide la révision du procès de Cheikh Ahmadou Bamba

 
Grand intellectuel mouride très apprécié à Touba, le célèbre avocat Me Khassim Touré, à l’occasion des journées internationales des daara Hizbut-Tarqiyyah, organisé du 16 au 18 juillet 2016 au King Fahd Palace hôtel, avait fait une publication retentissante. Dans ladite contribution, Me Khassim Touré décrit le procès qui a eu lieu en 1895, qui avait valu la déportation de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon, mais aussi et surtout pose le débat sur la révision du procès de Cheikh Ahmadou Bamba qui est une véritable demande. Pour coller à l’actualité, puisque cette déportation est à l’origine de ce grand Magal annuel de Touba, le journal «Les Echos» publie in extenso cette contribution.
 
THEME : LE CONSEIL PRIVE : UN TRIBUNAL D’EXCEPTION
A priori, le sujet peut paraître surabondant.
Que ce soit sous une forme interrogative, dubitative ou affirmative.
En effet, ce n’est ni une surprise, ni une bravoure intellectuelle que d’affirmer, péremptoirement et sans ambages, que le Conseil Privé qui a eu à « juger » Cheikh Ahmadou Bamba, le jeudi 5 septembre 1895 à 9 heures sur convocation du Gouverneur de Saint-Louis, sous forme de « réunion », est loin d’être un « Tribunal », une « juridiction du jugement », même à titre exceptionnel.
On a assisté à une parodie de procès, à une forfaiture.
Pour asseoir et assumer un tel propos, une telle thèse, il suffit de s’interroger sur les notions de « Tribunal » et de « Tribunal d’exception ».
     Qu’est-ce qu’un « Tribunal » ?
     Qu’est-ce qu’un « Tribunal d’exception ? »
Répondre à ces questions, nous permettra de voir d’une part, quel que soit l’angle sous lequel le thème est abordé, que le Conseil Privé de 1895, ne participe pas d’une bonne administration (I) et d’une bonne distribution de la justice (II), même coloniale et que de l’autre, il y’a lieu d’épiloguer sur les conséquences juridiques et judiciaires d’un tel « Tribunal » extraordinaire, à plus d’un titre, et notamment sur le principe d’une réparation (III) et les possibilités d’un recours en révision (IV).
I_ LE CONSEIL PRIVE : LIMITES D’UNE BONNE ADMINSITRATION DE LA JUSTICE
Il appert du procès-verbal de la réunion du Conseil Privé du jeudi 5 Septembre 1895 (Procès-verbal n°1, Délibération n°16), les informations suivantes, aussi bien sur la composition de ce Conseil, convoqué par le Gouverneur, que sur la sentence qui a été prononcée.
En effet, étaient présentes à cette « fabuleuse » réunion :
  • « M. Mouttet, Gouverneur, Président ;
  • De Hersaint Gilly, Commissaire des Colonies, Chef du Service administratif ;
  • Boyer, lieutenant-Colonel, Commandant Supérieur des Troupes par intérim ;
  • Jurquet, directeur de l’Intérieur par intérim ;
  • Cnapelynck, Procureur Général, par intérim ;
  • Clarac, médecin principal, Chef du service Santé ;
  • Hogaret, lieutenant de vaisseau, Délégué du Commissaire de la Marine ;
  • J. Berziat, Conseiller Privé titulaire ;
  • Lombain, Conseiller Privé suppléant ;
  • Superville, Secrétaire archiviste.     
 
Après avoir examiné certains problèmes relatifs à la Colonie, le Conseil approuve la décision des membres ci-dessus désignés, d’exiler au Gabon le Marabout Cheikh Ahmadou Bamba qui doit être embarqué le 21 Septembre 1895. Une pension de 50 francs par mois lui sera accordé durant son séjour au Gabon » (Source : Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales 1889-1927 par Oumar BA, Archiviste, Documentaliste).
   Il n’est pas besoin d’être un initié ou un expert juridique, pour s’apercevoir aisément, qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, ce Conseil Privé ne répond à aucun des critères qui fondent et organisent une juridiction de jugement.
  En effet, une bonne administration de la justice, c’est d’abord et avant tout, mettre en place, un cadre institutionnel et fonctionnel, mieux à même de gouverner un procès juste et équitable.
En l’espèce, il est aisé de remarquer que le Conseil Privé n’est pas un « Tribunal » au sens juridique et judiciaire du terme.
   Selon Gérard CORNU, auteur du « Vocabulaire juridique » qui fait autorité en la matière, le Tribunal est :
  1. « lieu où l’on rend la justice » ;
  2. La juridiction elle-même, que celle-ci soit composée de plusieurs magistrats (Tribunal de Grande Instance) ou d’un seul (Tribunal d’Instance). Parfois, cependant, Tribunal, employé seul, désigne plutôt une juridiction collégiale qu’un juge unique ».
Cette définition prouve, éloquemment, que le Conseil Privé n’est pas un Tribunal.
Peut-être, pourrait-on, dans son acception péjorative, dire, en l’espèce, que le Conseil Privé est, entre guillemets, un « Tribunal » qui a « jugé » Cheikh Ahmadou Bamba, et a rendu une décision erronée de déportation vers le Gabon sans que :
  • Sa composition soit régulière. Il convient de noter que tous ceux qui étaient présents à cette réunion du Conseil Privée, seul CNAPELINCK y a officié en qualité de magistrat occupant, d’ailleurs, à titre intérimaire, les fonctions de Procureur Général.
  • Le mode de fonctionnement de ce « Tribunal » ad hoc, convoqué pour « les besoins d’une cause », méconnait les principes directeurs d’un procès juste et équitable.
Le Conseil Privé n’est même pas un Tribunal d’exception, parce que justement, « les juridictions d‘exception sont des juridictions qui ne sont compétentes que dans les cas strictement prévus par la loi pour juger certaines infractions, et, incidemment, certains types de délinquants. Le terme juridiction d’exception peut être utilisé  afin d’indiquer le caractère dérogatoire au droit de certaines juridictions à caractère politique, comme les tribunaux de l’Inquisition, les Sections Spéciales mises en place en France pendant la seconde Guerre Mondiale par Vichy, ou des Tribunaux militaires, comme durant la guerre d’Algérie ou à Guantanamo ».
 On le voit donc, le Conseil Privé, qui a statué sur le cas de Cheikh Ahmadou Bamba, ne respecte même pas la définition donnée du Tribunal d’exception alors surtout que, selon le mot de Yves-Frédéric JAFFRE, « la tare la plus grave des Tribunaux d’Exception est que, si la justice passe, elle ne convainc pas. L’opinion accepte assez bien les jugements rendus par les Tribunaux de droit commun. Elle se méfie de ceux des Tribunaux d’Exception ».
  Ainsi, avec un Conseil Privé qui ne répond ni à la définition d’un Tribunal, ni à celle d’un Tribunal d’Exception, peut-on s’attendre à ce qu’il fasse une bonne distribution de la justice ?
 La réponse est évidemment non.
 
II- LE CONSEIL PRIVE : LES LIMITES D’UNE BONNE DISTRIBUTION DE LA JUSTICE
Une bonne distribution de la justice, c’est d’abord et avant tout, un procès juste et équitable.
Un procès juste et équitable, c’est un procès dans lequel, outre la composition régulière de la juridiction, les droits de la défense sont respectés, l’accusation soutenue par des preuves irréfragables, le principe du contradictoire, de l’équilibre, et de la publicité des débats (sauf rares cas) respecté, procès à l’issue duquel, une décision est rendue, avec la possibilité, pour le prévenu, d’user de voies de recours, lorsqu’il est insatisfait de la décision rendue.
     En l’espèce, il est aisé de remarquer, que ces principes, piliers d’un procès juste et équitable, ont été foulés aux pieds par le Conseil Privé.
En effet, les droits de la défense ont été bafoués. Le Cheikh ne s’est pas fait assister par un Conseil de son choix. On ne lui a pas permis de se défendre conformément aux règles de l’art.
D’ailleurs, comme l’a remarqué avec pertinence M. Oumar BA, «…la déclaration qu’a faite le Marabout devant le Conseil Privé, n’a pas été consigné dans le procès-verbal et ne figure (à ma connaissance) sur aucun acte officiel… » (op.cit).
 Ce qui fait surgir des questions fort légitimes, propres aux droits de la défense.
  • Comment Cheikh Ahmadou Bamba a répondu aux questions qui pesaient sur lui ?
  • Quels étaient ses arguments de défense ?
Les principes du contradictoire et de l’équilibre des débats n’ont pas été respectés. Aucune voie de recours contre la décision rendue, ne lui a été offerte ; les preuves de l’accusation n’ont pas été rapportées.
 D’ailleurs, selon toujours Oumar BA « … Accuser le marabout d’avoir la même façon de procéder que Maba Diakhou, Ahmedou Cheikhou, Mahmadou Lamine et Samba DIAMA, c’est, de la part des autorités coloniales, faire preuve de légèreté. Tout un chacun sait, en effet, qu’Ahmadou Bamba était un adepte de la non-violence et qu’il interdisait même ses talibés de tuer le plus petit insecte… ».
  Au demeurant, renchérit M. BA « … Reconnaître qu’aucun fait de prédication de guerre sainte n’avait été relevé contre Ahmadou Bamba et, décider de l’envoyer en exil, parce que ses agissements et ceux de ses talibés étaient suspects, démontre que les autorités coloniales voulaient à tout prix se débarrasser du marabout… ».
    En conséquence, les preuves de l’accusation dont la charge pesait sur l’autorité coloniale n’ont pas été rapportées.
Enfin, la sentence qui a été prononcée, c’est une redondance que de le répéter, n’est pas une décision judiciaire.
C’est une décision arbitraire.
C’est une forfaiture.
Ce qui est, manifestement, aux antipodes de la « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen » accouchée, en 1789 par ce qu’on a appelé le « Siècle des …Lumières », transformé, sous nos tropiques et à cette époque, en « Siècle des Ténèbres ».
En effet, rappelons-en quelques articles :
  • Articles VII
« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis».
  • Articles VIII
« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidements nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée »
  • Article IX
« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable et s’il est jugé indispensable de l’arrêter. Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimé par la loi ».
  • Article X
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Cette « Déclaration » dont se glorifie « le Siècle des Lumières » date de 1789 alors que le Cheikh a été « jugé » et déporté en 1895 alors surtout que selon le préambule de ce même texte, « La France forme avec les peuples d’Outre-mer, une Union fondée sur l’égalité des droits et devoirs, sans distinction de race ni de religion
L’Union Française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité… »
Le mérite de ce rappel, c’est de démontrer, que le Sénégal, étant à l’époque, sous tutelle française, devait se voir appliquer cette « Déclaration » qui était incubée dans le commerce juridique des colonies.
Ainsi, en rendant une décision qui méconnait gravement et lourdement les droits de l’homme, la France, par le biais de ses sbires, doit se regarder dans un miroir et voir le visage hideux et laid qu’elle a offert à ses sujets.
Avec toutes les conséquences de droit et notamment :
  • La réparation des préjudices moral et matériel causés à Cheikh Ahmadou Bamba (III) et
  • Les possibilités, offertes par la loi, pour réviser ce procès inique et saugrenu (IV)
III- POUR LA REPARATION DES PREJUDICES SUBIS
Il serait superfétatoire de le rappeler
Cheikh Ahmadou Bamba a été injustement accusé, arbitrairement arrêté et détenu et inéquitablement jugé et torturé par ses geôliers.
Les préjudices matériel et moral qu’il a subis ; sont immenses.
Son procès a été une véritable forfaiture.
Il y a donc obligation de réparation, parce qu’il y a eu faute de l’ancienne colonie, qui a organisé ce procès, la France, en l’occurrence.
Au sens des dispositions civiles, « la faute est un manquement à une obligation préexistante, de quelque nature que ce soit » et que « est responsable, celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui ».
En l’espèce, la responsabilité de la France doit être recherchée et engagée. Il appartiendra à celui qui préside aux destinées du Mouridisme, le Khalif Général Des Mourides qui a qualité à agir, d’en apprécier l’opportunité.
Comme sur les modalités d’une révision de ce « procès » organisé par le Conseil Privé.
IV- CONDITIONS D’UNE REVISION DE CE « PROCES »
Selon Gérard CORNU, « le pourvoi en révision est une voie de recours extraordinaire en annulation dans les cas spécifiés par la loi devant la Cour de Cassation (Chambre Criminelle)contre une décision définitive de condamnation supposée entachée d’erreur judicaire » (voir vocabulaire juridique p 822).
Ainsi, en l’espèce, il est manifestement établi que la « décision de déportation » de Cheikh Ahmadou Bamba est devenue définitive et qu’elle est grossièrement entachée d’erreur judicaire.
Alors, quelles voies pour une éventuelle révision ?
Quelle est la juridiction compétente ? Quels sont les frais nouveaux susceptibles de provoquer la révision ?
Autant de questions qu’il serait fastidieux d’élucider dans le cadre de la présente intervention.
D’ores et déjà, la problématique des faits nouveaux survenus postérieurement, à ce procès, peut être rapidement évacuée si l’on interroge les archives ouvertes et si le Sénégal et la France, s’entendent pour la déclassification de certains documents estampillés confidentiels. Pour la Vérité Historique !
L’on y verra une foule de faits nouveaux susceptibles de provoquer une révision.
La question de la compétence, c’est-à-dire de la juridiction apte à connaitre de cette révision, n’est pas un écueil dirimant. Il s’agit, soit de la Chambre Criminelle en France, soit de la Chambre Criminelle près la Cour Suprême au Sénégal.
La compétence, en l’espèce, peut être déterminée par :
  • La nationalité du requérant en révision ;
  • Du lieu où les faits auraient eu lieu
  • La compétence d’attribution dévolue au Conseil Privé, avant les indépendances, rattachée aux lois françaises.
Si l’on tient compte de la nationalité et du lieu où les faits ont abouti à la condamnation, c’est évident que la Chambre Criminelle près la Cour Suprême du Sénégal est compétente pour connaître de la requête, sur le fondement des dispositions des articles 83 et suivants de la loi-organique n°2008_35 du 07 Août 2008.
Il nous faut maintenant conclure.
*CONCLUSIONS*
Vous nous excuserez d’avoir emprunté dans cette réflexion, une méthode fort simpliste, pratique et moins ésotérique, pour des soucis pédagogiques.
C’est pourquoi, c’est une œuvre inachevée. Parce que c’est une œuvre humaine, perfectible, pour la rendre plus comestible
Cependant, elle a le mérite de poser un débat sur un sujet sensible et rarement exploré par les auteurs, portant leur réflexion sur Cheikh Ahmadou Bamba et le Mouridisme. Les chantiers sont donc ouverts et il appartiendra aux chercheurs, avec leur outil et leur méthodologie de travail scientifiques, de se pencher sur ce thème, toujours d’actualité, mais dont l’étude minutieuse nous permettra de mieux nous réapproprier et de mieux domestiquer le précieux legs que nous avons hérité de Cheikh Ahmadou Bamba : la réhabilitation de la DIGNITE de l’Homme Noir
Même, si, au demeurant, le Cheikh a pardonné ses… bourreaux, qui lui ont rendu … service, sans le savoir, en voulant l’humilier et l’éliminer.
Physiquement, moralement et spirituellement !
Votre Bien Dévoué Serviteur,
 
 
Maître Serigne Khassim TOURE
Disciple Mouride
                              
 
 


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