Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise de football depuis 2009, va vivre aux côtés des Lions de la Teranga sa première Coupe du monde. Il a accordé un entretien au journal «Le monde» à quelques jours du démarrage de la Coupe du monde. Me Senghor s’est prononcé sur le groupe du Sénégal et sur les objectifs de son équipe. Extraits.
Le Sénégal est dans le groupe de la Colombie, du Japon et de la Pologne, ce qui laisse à penser que les Lions de la Teranga ont des chances d’accéder aux huitièmes de finale…
Augustin Senghor : Nous sommes dans un groupe homogène. Notre objectif est clair et officiel : occuper l’une des deux premières places du groupe et passer le premier tour. Ensuite, à ce niveau, tout peut arriver. J’ai déclaré, lors d’une réception donnée par le maire de Vittel où nous étions en stage, que je souhaiterais affronter la France. On m’a dit que ce serait possible, mais seulement en finale. Le Sénégal ne fait pas partie des favoris, mais il ne sera pas une proie facile.
Le Président Macky Sall va prendre des congés pour assister aux matchs des Lions en Russie. Ce «coup de pression» est-il nécessaire ?
Le chef de l’Etat souhaite d’abord que le Sénégal laisse une image positive en Russie. Il sait très bien que le Sénégal ne fait pas partie des favoris de la Coupe du monde, mais que notre équipe, avec son talent collectif et individuel, ne sera pas une proie facile. Nous voulons montrer le meilleur. Il y a une attente des Sénégalais. Cela faisait seize ans que notre sélection espérait disputer cette compétition. En 2002, personne ne misait sur les Lions qui avaient pourtant atteint les quarts de finale, face à la Turquie (0-1). Cette année, l’effet de surprise ne jouera pas. Beaucoup de nos joueurs évoluent dans de grands championnats et sont titulaires dans leurs clubs : Mané à Liverpool, Koulibaly à Naples, Guèye à Everton, Kouyaté à West Ham… Nos adversaires les connaissent. Et le Sénégal fait partie des cinq meilleures équipes africaines ! Il faut assumer ce statut.
Au Sénégal, beaucoup comparent la génération de 2002 à l’actuelle…
C’est inévitable. La Coupe du monde 2002 avait révélé certains joueurs. A l’époque, l’effectif comptait de fortes personnalités, avec un coach, Bruno Metsu, qui avait su créer une alchimie. La qualification elle-même avait surpris, car on l’avait obtenue face à l’Egypte, à l’Algérie et au Maroc. Pour 2018, c’est différent. On dispose d’un bel effectif, avec des joueurs très connus. La qualification était très attendue. En fait, je pense qu’il est important qu’existe un lien entre les deux générations. Aliou Cissé est sélectionneur. Omar Daf et Tony Silva sont ses adjoints et Lamine Diatta est manager. Ils sont là parce qu’ils sont tous très compétents, pas pour faire plaisir. Aliou voulait travailler avec des gens qu’il connaît. Ces anciens sont également là pour transmettre leur expérience. Ils ont disputé une Coupe du monde, ils savent comment ça se passe. A la fédération, nous avons estimé que ce passage de témoin était important. Aliou Cissé a été nommé en février 2015.
La stabilité technique est-elle le secret de la réussite, alors que de nombreuses fédérations africaines préfèrent changer de sélectionneur à la première contre-performance ?
Après la Can 2017 et l’élimination en quarts de finale face au Cameroun (0-0, 4-5 aux t.a.b.), des gens demandaient que je vire Aliou, alors qu’il mérite plus de considération ! Ce n’est pas ma vision des choses. Il a qualifié le Sénégal pour la Can 2017 et la Coupe du monde. Il a un très bon bilan. Il ne perd quasiment jamais, son projet est bon et il faut le laisser travailler. On croit en lui. Joachim Löw a mis dix ans pour gagner une Coupe du monde avec l’Allemagne. Les résultats ne viennent pas comme ça. Le Sénégal n’a jamais rien gagné et je pense qu’avec Aliou, nous pourrons remporter un trophée. En Afrique, la passion des supporteurs et des autorités l’emporte parfois sur la raison. Cissé avait fait du bon travail avec les moins de 23 ans aux Jeux olympiques de Londres en 2012 (quart de finale) et avec une partie des joueurs qui iront en Russie (Mané, Konaté, Kouyaté, Mbodj, Guèye).
Aliou Cissé est le sélectionneur le moins bien payé parmi ceux qui seront en Russie. N’est-ce pas un problème ?
Quand je dis qu’Aliou mérite davantage de reconnaissance, je pense aussi à la question du salaire. C’est une question qu’il faudra vite aborder avec l’Etat. En Afrique, souvent, les étrangers sont payés le double ou le triple d’un local. Ce n’est pas toujours normal ! Je pense qu’il faut réévaluer le salaire des sélectionneurs locaux et donc mieux les traiter afin de valoriser leur travail.
Le foot sénégalais est professionnel depuis 2009. Le pays est-il prêt à pour organier une Can ?
Le Sénégal devra être en mesure d’être candidat prochainement, sachant que les éditions 2019, 2021 et 2023 ont été attribuées respectivement au Cameroun, à la Côte d’Ivoire et à la Guinée. Le pays, qui n’a accueilli la Can qu’une fois en 1992, se modernise : stades, hébergement, communications et transports. Avec la professionnalisation est venue l’amélioration du statut des joueurs, mais les salaires, qui vont en moyenne de 150 à 700 euros, restent assez bas, même si le Smic est à un peu moins de 100 euros. Il faut rendre le championnat plus attractif pour les sponsors, pour susciter une plus grande implication de l’Etat. Nous avons aussi la chance d’avoir des centres de formation performants. Cela nous permet de préparer l’avenir.