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ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DANS L’AFFAIRE DE LA MAIRIE DE DAKAR: Les motivations du juge Demba Kandji



ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DANS L’AFFAIRE DE LA MAIRIE DE DAKAR: Les motivations du juge Demba Kandji
 
Deux semaines après que la décision est tombée, la Cour d’appel a sorti son arrêt par lequel elle a condamné Khalifa Sall et Cie. Le juge Demba Kandji et ses conseillers ont ainsi justifié leur décision de condamnation du maire de Dakar et de ses co-prévenus. S’agissant de la constitution de partie civile de l’Etat du Sénégal, le juge Demba Kandji a expliqué pourquoi elle est fondée et pourquoi il a rejeté la demande en réparation de l’Agent judiciaire de l’Etat. Le milliard 830 millions de francs, selon la Cour d’appel, doit être reversé «au profit de la nation». Le journal «Les Echos» revient sur les raisons qui expliquent la décision du juge Demba Kandji.
 
 
 
L’arrêt du juge Demba Kandji est désormais disponible. Dans un document de 42 pages, le premier président de la Cour d’appel de Dakar, dans l’affaire qui oppose Khalifa Sall au ministère public, a donné toutes les motivations de la condamnation du maire de Dakar et Cie. Le juge Demba Kandji s’est d’abord expliqué sur les questions de forme avant d’en arriver au fond. S’agissant de la forme, il a rejoint partiellement la défense.
 
Pourquoi Demba Kandji a annulé les Pv d’audition
 
S’agissant précisément de la nullité du procès-verbal d’enquête préliminaire, la Cour qui prend le contrepied du premier juge écrit ceci : «considérant l’article 43 du traité de l’Uemoa qui dispose que ‘’les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous les éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre’’ ; qu’il est ainsi admis au regard de ces dispositions que lesdits règlements ont une force juridique qui s’impose dans tous les Etats membres de l’Uemoa, sans qu’il soit nécessaire d’utiliser ou de suivre les formalités particulières pour leur mise en œuvre ; qu’il s’infère de cette disposition que l’assistance d’un conseil est en conséquence un droit dont tout justiciable peut réclamer le bénéficie dans les conditions déterminées par le Règlement N° 5 précité». Le juge qui avait refusé de se soumettre à l’arrêt de la Cedeao se plie ici devant les dispositions du règlement de l’Uemoa. Il a ainsi fait droit à la demande de nullité des avocats de la défense et a ordonné que les procès-verbaux d’audition et de confrontation soient annulés et écartés.
 
Les procès-verbaux écartés, la procédure repose sur le rapport de l’Ige
 
Seulement, les conseils de la défense avaient demandé que tous les actes subséquents à ces procès-verbaux soient aussi annulés, ce qui va entrainer la nullité de la procédure. Cependant, pour le juge Demba Kandji, tous les actes restent fondés en droit. Il fonde son argumentaire sur le fait que «l’annulation d’un acte de l’enquête préliminaire n’entraîne pas, à elle seule, celle du réquisitoire introductif, dès lors que celui-ci est également fondé sur d’autres pièces de la procédure». En clair, le juge Demba Kandji et ses assesseurs estiment que le dossier n’est pas seulement constitué des procès-verbaux, mais il y a aussi le rapport de l’Inspection générale d’Etat. Contestant la plaidoirie de la défense qui voulait écarter le rapport de l’Ige au motif qu’il émane d’une partie, c’est-à-dire du président de la République et qu’il n’est pas objectif et qu’il doit aussi être déclassifié d’abord. En somme, pour Demba Kandji et Cie, même si les procès-verbaux d’enquête tombent, la procédure est soutenue par le rapport de l’Ige et reste donc fondée en droit. Surtout que, pour le juge, la contestation du rapport «participe beaucoup plus à un procès d’intention injustifié contre l’Ige qu’à un véritable moyen de droit». Il ajoute : «la liberté de preuve en matière pénale qu’affirme expressément et sans détour l’article 414 du CPP postule l’admissibilité de tous les moyens de preuve, sans préjuger de la force probante qui leur est attachée et que le juge apprécie souverainement».
 
Le rapport de l’Ige est un élément de preuve
 
S’agissant, par ailleurs, de la nullité du réquisitoire définitif de l’ordonnance de règlement portant renvoi en police correctionnelle, des jugements du 2 février et du 30 mars 2018, de l’irrecevabilité du rapport de l’Ige, de la violation de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, de l’autorité de la chose jugée, la Cour les a tous écartés.  Selon la Cour d’appel, le rapport de l’Ige est régulier, en ce sens «qu’il n’est pas établi qu’il a été pris en méconnaissance d’une disposition dont la violation est sanctionnée par la nullité ; qu’il n’est pas, par ailleurs, prouvé qu’il viole des dispositions substantielles relatives aux droits de la défense», justifie la Cour d’appel.
Le réquisitoire du Procureur qui est également partie dans cette affaire ne peut être écarté. Et s’agissant, par ailleurs, de l’ordonnance du juge d’instruction, le juge Demba Kandji et ses conseillers expliquent : «il appartient au magistrat instructeur de décider, librement et souverainement, si tous les actes utiles à la manifestation de la vérité ont été accomplis en vue de la clôture de son instruction».
Les avocats du maire de Dakar avaient également soulevé une exception fondée sur la violation de son immunité parlementaire. Seulement, la Cour d’appel dans son arrêt rendu estime que «les motifs invoqués pour soutenir la nullité des actes visés ne sont pertinents que s’il est établi que Khalifa Ababacar Sall jouissait de cette immunité parlementaire au moment où les poursuites étaient intentées, ce qui n’est pas démontré ou simplement allégué en l’espèce».
 
L’argent était dans les caisses du Trésor et était géré par des fonctionnaires de l’Etat
 
En outre, sur la question de l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’Etat du Sénégal, la Cour d’appel a rejoint le premier juge en déclarant recevable cette constitution, mais a pris le contrepied du juge Lamotte en déclarant fondée la demande de l’Etat. S’appuyant d’abord sur l’article 2 du Code de procédure pénale qui stipule que toute personne qui estime avoir souffert directement d’une infraction peut se constituer partie civile, le juge Demba constate d’abord dans son arrêt «qu’il n’est pas contesté que les fonds détournés objets des malversations proviennent du trésor public qui les a décaissés dans le cadre d’une opération de trésorerie». Et d’ajouter : «il n’est pas contesté que lesdites sommes étaient gérées par des fonctionnaires de l’Etat dans le cadre de l’unicité de caisse du trésor». Toutes choses qui fondent la constitution de partie civile de l’Etat, selon le juge, surtout, précise-t-il, toujours dans son arrêt, il y a les ristournes qui «appartiennent à l’Etat qui les collecte dans la loi de finances avant d’émettre un mandat pour les répartir».
La Cour a enfin allégué le délit de détournement de deniers publics. L’Etat, selon la Cour, est garant de l’intérêt collectif et agit pour préserver les ressources publiques. «De telles préventions sont objectivement adossées à un préjudice de la collectivité publique et génèrent un intérêt à agir de l’Etat, sauf disposition expresse», conclut la Cour d’appel de Dakar.
 
Les avocats de la ville de Dakar étaient comme une seconde défense
 
La constitution de partie et sa demande étant fondée, le juge a écarté celle de la ville de Dakar. Selon le juge Demba Kandji, les dispositions de l’article 2 écartent d’office la constitution de la ville de Dakar. Il invoque ainsi le rapport du conseil municipal dans lequel il est dit, dans une résolution qui date du 31 mars 2017, «la mairie n’a subi aucun préjudice et qu’elle marquait sa solidarité avec le maire». Mieux, selon toujours la Cour, les conseils de la ville de Dakar se sont plus positionnés «comme une seconde défense ayant pour seule ligne de conduite de pourfendre et de fragiliser la procédure, au contraire d’une véritable partie civile résolue à justifier d’un préjudice et à en demander réparation». Sur de tels fondements, la Cour a déclaré irrecevable la constitution de partie civile.
Toutefois, la Cour n’a pas suivi l’Etat dans sa demande en réparation. Elle l’a débouté du surplus et lui a alloué juste le «montant dissipé» qui est de 1.830.000.000 francs.  
Sur le fond, le juge Demba Kandji a écarté le délit d’association de malfaiteurs, estimant qu’il n’y a pas eu d’entente préalable en vue de commettre un forfait. Le délit de blanchiment de capitaux également a été écarté.
Par rapport à la peine, Fatou Traoré a vu sa sanction pénale revue en hausse. Elle passe de 2 ans dont six mois ferme à 5 ans ferme. Le juge a retenu le délit d’escroquerie portant sur des deniers publics en ce qui la concerne.
 
1.830.000.000 francs «au profit de la nation», 3 mois donnés à Yaya Bodian, Khalifa Ababacar Sall, Mbaye Touré et Fatou Traoré pour payer l’amende de 500.000 au trésor
 
Pour les cas de Khalifa Sall, Mbaye Touré, Yaya Bodian, Fatou Traoré, la Cour d’appel a ordonné la confiscation du cinquième de leurs biens. Condamnés à 5 ans ferme, la Cour a aussi prononcé leur condamnation à 500.000 francs d’amende «au profit de la nation». «Avise les prévenus Yaya Bodian, Khalifa Ababacar Sall, Mbaye Touré et Fatou Traoré, qu’il leur est imparti, conformément à l’article 712 du CPP, un délai de trois mois à compter du jour où la décision sera devenue définitive, pour s’acquitter du paiement de l’amende au trésor public», mentionne la Cour dans son arrêt. S’agissant, par ailleurs de Amadou Matar Diop et de Ibrahima Yatma Diaw, la Cour confirme le premier juge en retenant la peine de deux ans dont un an ferme. Les deux receveurs ont également été relaxés.
 
 
Alassane DRAME


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