
À l’issue de trois journées intenses de concertation sur l’intégrité de l’information, les acteurs du secteur médiatique ont posé les bases d’une réforme profonde du paysage de la communication. Entre diagnostic lucide, propositions concrètes et engagements forts, ces assises ont marqué un tournant décisif pour la régulation, la gouvernance économique et la protection des journalistes.
Clap de fin sur un dialogue d’envergure
C’est Habibou Dia, directeur de la Communication, qui a prononcé le mot de clôture des trois jours de concertation sur l’intégrité de l’information, en l'absence du ministre Alioune Sall, en mission en Chine. Ces journées ont rassemblé des professionnels de la communication, des représentants des institutions et des acteurs de la société civile, autour d’un enjeu majeur : l’avenir du secteur médiatique sénégalais, à l’ère du numérique, de l’intelligence artificielle (IA), et des transformations économiques.
Placées sous le thème de « l'intégrité de l'information », ces assises ont été marquées par la qualité des échanges, le réalisme des constats posés et l’ambition de tracer des perspectives solides. Pour M. Dia, ces travaux ont permis de « faire émerger des pistes concrètes de réforme » et de jeter les bases d’une nouvelle gouvernance médiatique, plus juste, transparente et inclusive.
Un diagnostic lucide d’un secteur en mutation
Dès l'ouverture, les participants ont reconnu les profondes mutations que traverse le secteur. Si la transformation numérique et l’essor de l’IA modifient radicalement les modes de production et de diffusion de l’information, d’autres défis structurels persistent : « précarité des entreprises de presse, fragilité économique des travailleurs des médias, et perte de repères éthiques dans un univers de plus en plus concurrentiel » citent en chœur tous les intervenants qui ont fait le même constat. « La consommation de l’information change, notamment chez les jeunes, tandis que les entreprises médiatiques doivent survivre dans un environnement marqué par la chute des recettes publicitaires et l’informalité croissante », lance le directeur de la Communication.
Des engagements forts pour des réformes ambitieuses
Parmi les recommandations issues des ateliers figurent plusieurs axes majeurs : L’adaptation du cadre juridique aux réalités numériques et aux défis de l’intelligence artificielle ; La refonte de la gouvernance économique des médias, afin de garantir des modèles viables, éthiques et transparents ; La régulation des contenus pour lutter contre la désinformation, en particulier auprès des jeunes et des citoyens vulnérables ; La promotion de l’information économique comme levier de développement et d’autonomie éditoriale. Ainsi, il est retenu à « un engagement ferme qui a été pris : ces propositions ne resteront pas lettre morte. Un comité permanent de suivi sera mis en place, avec une composition collégiale et représentative, sous la supervision du ministre de tutelle, en vue de soumettre un rapport structuré au président de la République, Bassirou Diomaye Faye », rassure le représentant du ministre.
Protéger les journalistes, repenser le financement
La situation sociale des travailleurs des médias a été longuement abordée. Habibou Dia a souligné l’importance d’un socle social minimum pour les journalistes : « un salaire décent, une couverture maladie, une retraite digne. Il a insisté sur la nécessité de revoir le cadre des conventions publicitaires, pour éviter les dérives clientélistes qui affaiblissent la crédibilité du secteur. » La gouvernance des entreprises médiatiques est aussi en ligne de mire. Il s’agit selon lui, de responsabiliser les acteurs économiques, d’assurer une transparence dans les financements, et d’empêcher les abus dans l’attribution des fonds publics et des contrats de publicité étatiques.
Réformer en profondeur le Code de la presse
L’une des interventions les plus marquantes est venue de Daouda Mine, président de la Commission nationale de la carte de presse. Il a rappelé l’historique du Code de la presse, adopté en 2017 après près de dix années de débats et de blocages. Ce code, bien qu’innovant sur certains aspects, continue de contenir des dispositions pénales jugées inadaptées.
M. Mine plaide pour un toilettage du Code, afin de supprimer les articles liberticides qui pénalisent des fautes administratives, comme le non-respect du dépôt légal ou l’absence de déclaration. Il estime que ces infractions devraient relever du droit administratif, et non du pénal. « Aujourd’hui encore, des journalistes risquent la prison pour des erreurs de procédure. C’est inacceptable dans un État démocratique », a-t-il martelé.
La voix des femmes et des jeunes : un impératif d’équité
Autre point fort des échanges : « la sous-représentation des femmes dans la gouvernance médiatique ». M. Dia a salué la participation active des femmes aux débats, tout en regrettant qu’elles soient souvent tenues à l’écart des postes de responsabilité dans les rédactions, du fait de contraintes sociales et culturelles. Il appelle à une relecture des grilles de programmes pour y intégrer davantage de contenus dédiés aux enjeux spécifiques des femmes.
La parole a également été donnée aux jeunes professionnels, qui réclament plus de reconnaissance et de soutien. Le directeur de la Communication a évoqué l’idée d’un incubateur pour les jeunes journalistes et créateurs de contenus, afin de tester leurs idées, d’expérimenter et de renforcer leur responsabilité dans le traitement de l'information.
Une labellisation pour crédibiliser les médias en ligne
Dans un contexte où les fake news pullulent, les propositions pour réguler les médias en ligne ont occupé une place centrale. Les intervenants ont plaidé pour une labellisation officielle des sites d’information, fondée sur des critères éthiques, techniques et éditoriaux. Cette mesure permettrait de distinguer les sources crédibles des producteurs de désinformation.
Elle s’accompagnerait d’une relecture des cahiers des charges, pour permettre à tous les acteurs, éditeurs, religieux, artistes, de bénéficier d’un appui structuré, et ainsi assurer leur viabilité tout en respectant les obligations de redevance envers la TDS (télédiffuseur national).
Un écosystème à équilibrer pour une presse libre et durable
L’objectif à terme est de bâtir un écosystème médiatique équilibré, fondé sur des règles claires, une régulation efficace, et un financement pérenne. L'État s’engage à créer un environnement plus favorable pour les entreprises de presse, tout en garantissant l’indépendance éditoriale. La révision du Code des marchés publics, du Code des emplois et domaines, et la mise en place d’un cadre juridique propre aux médias en ligne, font partie des chantiers annoncés. Ils seront intégrés dans la feuille de route d’un comité de révision du Code de la presse, qui sera opérationnel dans les mois à venir.
Un appel au consensus et à la co-construction
Les journées de concertation ont fait émerger une dynamique nouvelle, fondée sur le dialogue, la transparence et la co-construction. L’heure est désormais à l’action. « Ce ne sont pas seulement des idées, mais des engagements fermes que nous avons pris », a souligné Habibou Dia. La balle est maintenant dans le camp des pouvoirs publics, des professionnels du secteur et de la société civile, pour donner corps à cette ambition partagée : bâtir une presse libre, responsable, équitable et au service du citoyen.
Baye Modou SARR