La tension est vite retombée, après les contestations ayant suivi la proclamation des résultats provisoires. Aucun recours n’ayant été déposé, la messe est donc dite. Macky Sall entame un dernier mandat, dont on espère qu’il servira aux rectifications indispensables.
C’était prévisible que la présidentielle 2019 serait tout sauf d’une transparence incontestable, au vu de la manière dont le processus a été géré unilatéralement par le pouvoir en place, donc par le président sortant. Et le seul dans l’opposition à sembler avoir subodoré le coup fourré qui était préparé, c’est bien celui qui n’était pas candidat et qui appelait à ne pas laisser la manœuvre aller à son terme. Le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais, Me Abdoulaye Wade, qui est considéré comme agissant au nom et à la place de de son fils Karim Wade, candidat du Pds en exil au Qatar et recalé par le conseil constitutionnel, a finalement appelé ses partisans à s’abstenir, après leur avoir permis de voter pour les opposants, à l’exception de Madické Niang. Cette posture terminale du pape du Sopi dans cette élection aura en définitive pesé d’une manière certaine sur le résultat. Car, si tous les membres du Pds ne se sont pas alignés sur cette directive de leur mentor, d’aucuns ayant ouvertement déclaré leur soutien à Idrissa Seck ou Madické Niang, là où d’autres ont attendu d’être dans l’isoloir pour exprimer leur choix personnel, le défaut d’un soutien déclaré du chef de l’opposition à un candidat de ce camp a forcément inhibé l’élan de beaucoup de militants ou sympathisants libéraux, qui ont dû se dire : à quoi bon voter si Me Wade lui-même décide ne pas le faire ?
ABDOULAYE WADE, LE DEVIN QUI A LAISSE FAIRE
Pour les analystes, au-delà du fait que le pape du Sopi puisse refuser un processus électoral qui élimine son fils et par conséquent son parti, il est évident qu’un calcul politicien a pu faire agir de la sorte le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais. En effet, si Me Wade a très tôt semblé adouber Ousmane Sonko, qui, disait-il, lui rappelait ses premières armes, leur rencontre n’a apparemment pas abouti, comme l’espérait le pape du Sopi qui, ayant promis de rencontrer les 4 candidats de l’opposition, s’en arrêtera finalement là.
Maintenant, au-delà de cet effet subsidiaire du boycott prôné par Me Wade sur le déroulement du scrutin du dimanche 24 février, la participation a été jugée globalement satisfaisante, puisque dépassant les 60% en moyenne. Un engouement des Sénégalais répondant à l’intensité de la campagne, entretenue par seulement 5 candidats dont les discours ont été clairement entendus ? Peut-être bien. D’autres verront a contrario une participation dopée en quelque sorte par une fraude organisée de longue date, avec des populations électorales qui ont cru de façon exponentielle dans certaines zones favorables au sortant, là où nombre de citoyens n’ont pu, malgré une volonté manifeste, exercer ce droit élémentaire du vote dans des zones supposés favorables à l’opposition. Et puis, que dire de ce taux d’abstention plus ou moins égal aux scores réunis des candidats de l’opposition ? Est-ce la conséquence du mot d’ordre de boycott du pape du Sopi ou simplement des Sénégalais insensibles aux enjeux d’une présidentielle ?
Pour tout dire, les résultats de ce scrutin du 24 février reflètent bien, au-delà du plébiscite contesté du candidat sortant Macky Sall, le refus de l’alternance qu’incarne le candidat Idrissa Seck et tous ses souteneurs, mais également le refus de l’alternative incarnée par le candidat Ousmane Sonko, porteur de la révolution antisystème.
UN PROJET DE 2NDMANDAT MURI PENDANT TOUT UN 1ERMANDAT
Et malgré la contestation des états-majors de l’opposition, c’est le président Macky Sall qui rempile pour un deuxième mandat, à l’issue du premier tour de scrutin, le 24 février dernier. Fallait-il un second tour de scrutin ? Les chiffres publiés par la Commission nationale de recensement des votes ne le disent pas, les mandataires des candidats battus n’ont rien contesté de ces résultats et leurs mandants, non plus, n’ont introduit aucun recours auprès de la Cour constitutionnelle. La messe est donc bien dite. Faisant largement la différence en milieu rural, bénéficiant de l’apport de néo transhumants disposant d’une base électorale certaine comme Aïssata Tall, Diagne Fada ou Ameth Fall Braya, mais aussi faisant jouer l’argent et son pouvoir corrupteur dans les zones suburbaines de la banlieue, Macky Sall a progressivement capitalisé les moyens de sa victoire. Non sans oublier l’arme judiciaire dont les dégâts ont été ressentis par Karim Wade et Khalifa Sall, neutralisés puis écartés de la compétition. Finalement, le chef de l’Etat élu en 2012 n’a exercé son mandat et agi que pour une réélection à la fin de celui-ci. En sept ans, il s’est tracé la voie, mettant tous les atouts de son côté et tous les écueils hors de son chemin.
IDY, UN 3EESSAI QUI POURRAIT ETRE LE DERNIER
L’ancien Premier ministre Idrissa Seck, arrivé deuxième derrière le sortant, avec qui il partage le même moule d’origine - dont ils ont tous les deux bénéficié des privilèges sonnants et trébuchants, mais aussi subi l’ostracisme - a constitué le choix d’une alternance, la troisième qui interviendrait depuis 2000, cette fois au bout d’un seul mandat présidentiel. Et apparemment, c’est ce que les Sénégalais n’ont pas voulu avaliser, refusant ce scénario inédit d’un président qui sort au bout d’un seul mandat. Le discours développé tout le long de la campagne électorale par le candidat Idrissa Seck a surtout tourné autour d’un changement de personne à la tête de l’Etat, non d’une modification fondamentale des choses, malgré son compagnonnage avec des alliés avec qui il a signé des protocoles dans le sens d »une réforme des institutions et de leur rééquilibrage. Hormis ses élans émotionnels dans la capitale du Mouridisme, où du reste il a fait ses meilleurs scores, le président de Rewmi a été quelque peu transparent durant la campagne électorale. Toutefois, fort d’un soutien quasi unanime des ténors de l’opposition, Idy a repris du poil de la bête dans cette présidentielle, la troisième à laquelle il participe. Aussi, en ratant encore le coche, le patron du parti Rewmi pourrait avoir grillé ses dernières cartouches, surtout si, en direction de l’élection de 2024, Khalifa Sall et Karim Wade bénéficiaient d’une loi d’amnistie les remettant en selle.
SONKO LE NEOPHYTE EN ALTERNATIVE
Arrivé troisième de la compétition électorale de dimanche dernier, le néophyte Ousmane Sonko a marqué un grand coup. Celui qui était caricaturé comme le candidat des réseaux sociaux s’est révélé au grand jour, portant le projet d’une révolution qui a fait peur à l’establishment politicien du pays. Distillant un discours antisystème, le leader de Pastef a seul incarné l’alternative, dans cette compétition à cinq. C’est peut-être cela qui a drainé la jeunesse derrière ce projet qui mettait au rebus les politiciens professionnels, avec comme leitmotiv la restriction des pouvoirs du président, la suppression des fonds politiques, le patriotisme économique, la sortie du franc Cfa et l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs d’argent, entre autres. Il reste à Ousmane Sonko de consolider ses acquis, par une plus grand massification de son parti en direction des échéances futures.
Finalement, cette présidentielle, qui accorde un 2ndmandat au président de l’Alliance pour la République et de la coalition Benno Bokk Yakaar, ouvre une ère de renouveau politique et de ruptures inévitables dans la façon de gérer les affaires publiques. Le chef de l’Etat Macky Sall va-t-il utiliser ce second bail pour contribuer à ce renouveau afin de sortir la tête haute, ou va-t-il persévérer et reconduire les mêmes schémas surannés, l’avenir immédiat nous édifiera.
Mansour KANE