Alors que le Dialogue national lancé par le régime du Président Bassirou Diomaye Faye cherche à établir une feuille de route pour l’avenir du pays, une frange de la population fait entendre une autre priorité : la criminalisation de l’homosexualité. Ce vendredi 23 mai, le collectif « Rappel à l’Ordre » qui regroupe (l’Ong Jamra, Nitti Degg Valeurs, Noo Lank, le Rassemblement des Travailleurs, And Taxawu Ndogou Mag Yi, Ngor Debout et 15 autres organisations) a organisé une marche pacifique à Dakar, exprimant une colère profonde et une exigence catégorique.
Partis du rond-point de Ngor jusqu’à celui du Casino aux Almadies, les manifestants ont brandi pancartes et slogans, appelant les autorités à légiférer de manière urgente contre l’homosexualité. Pour eux, le silence des dirigeants sur cette question est perçu comme une trahison. «Le peuple n’a jamais accepté l’homosexualité et ne l’acceptera jamais», a martelé Abdou Diallo, figure de proue du mouvement, lors d’une prise de parole enflammée. Il dénonce un Dialogue national qui, selon lui, ignore les aspirations fondamentales du peuple. «Le vrai dialogue, c’est celui qui aborde les sujets que le peuple juge prioritaires. Et aujourd’hui, c’est la criminalisation de l’homosexualité», a-t-il lancé, appelant à une procédure d’urgence au Parlement.
Dans son discours, Abdou Diallo s’en est pris frontalement à Cheikh Guèye, facilitateur du Dialogue national, accusé de fuir le débat de fond au profit de consultations symboliques avec des guides religieux. Il fustige aussi les grandes figures de la société civile : Alioune Tine, Seydi Gassama ou encore le mouvement Y’en a marre, leur reprochant un « silence complice » et une prétendue proximité avec le pouvoir. « Vous vous opposez selon les régimes, mais jamais selon les principes », a-t-il déploré.
«On veut faire du Sénégal un laboratoire de l’homosexualité en Afrique»
Michel, autre membre du collectif, a ajouté une dimension culturelle et religieuse à la mobilisation. Selon lui, ni les traditions africaines ni les religions révélées ne tolèrent l’homosexualité. «On veut faire du Sénégal un laboratoire de l’homosexualité en Afrique. Mais ça ne passera pas. L’islam et le christianisme l’interdisent, et même nos ancêtres n’ont jamais connu cela», a-t-il affirmé.
Le coordonnateur de l’Ong islamique Jamra, Mame Matar Guèye, est venu conforter cette position en citant les textes religieux comme fondement de leur revendication. «Dieu lui-même a criminalisé l’homosexualité dans le Coran et la Bible. Ceux qui veulent l’imposer au Sénégal vont droit au mur», a-t-il averti. Il rappelle avec déception la posture engagée des tenants du pouvoir contre le régime de Macky Sall. «Nous avons vu l’actuel régime, qui a battu campagne en diabolisant l’ancien président de la République Macky Sall. Ils ont dit qu’il avait l’intention de cautionner et d’accepter l’homosexualité au Sénégal. C’est tout simplement regrettable», dit-il.
Goor jigeen dufi am baat (les personnes Lgbt n’auront pas droit de cité au Sénégal)
Enfin, Karim Xrum Xax, connu pour ses prises de position radicales, a dénoncé « l’impunité » dont jouiraient, selon lui, les homosexuels. « Celui qui les protège a trahi tout le pays », a-t-il accusé sans ambages et d’ajouter avec amertume : « la parole donnée est sacrée. Le Sénégal dit non à l’homosexualité. Nous réclamons la criminalisation de cette abomination. Criminalisation ne signifie pas durcissement. Nous exigeons la criminalisation, pas un durcissement de peine. Il faut que cela soit clair. Contrairement à ce que le Premier ministre Ousmane Sonko (semble indiquer), l’homosexualité n’est pas tolérée au Sénégal. Cette lutte que nous sommes en train de mener est légitime et nous venons de poser le premier acte « Goor jigeen dufi am baat » (les personnes Lgbt n’auront pas droit de cité au Sénégal) », laisse-t-il entendre.
Des hommes politiques de l’opposition étaient à la cérémonie. Abdou Mbow, député de l’opposition a vilipendé à son tour et comme de coutume le Premier ministre. Sans ambages, il se lâche : «nous on est toujours constant. Notre leader et président, devant le président américain Barack Obama et devant le Premier ministre canadien Trudeau, avait clairement dit que tant qu’il est président, l’homosexualité ne sera pas légalisée au Sénégal. C’est Ousmane Sonko qui utilisait les citoyens pour ternir l’image du président Macky Sall qu’il politisait. Maintenant, il a la majorité, qu’il applique sa promesse de campagne». Il profite de cette occasion pour s’en prendre au mouvement And Samm Jikko Yi. «Je me demande où est le mouvement And Samm Jikko Yi ? Aujourd’hui, il est temps de respecter ses engagements», s’est-il exprimé.
Cette manifestation illustre une fracture sociétale majeure, où les conceptions du droit, de la morale et des libertés individuelles s’entrechoquent violemment. Dans un pays profondément religieux, mais aussi attaché à son image démocratique, la question de l’homosexualité, déjà pénalement encadrée, risque d’embraser davantage le débat public. Un défi pour les nouvelles autorités, appelées à arbitrer entre pression sociale, exigence de droits humains et équilibre institutionnel.
Baye Modou SARR