
Les inondations n’ont pas fait que transformer le lac en un vaste bassin de rétention. Les conséquences sont désastreuses sur l’écosystème du lac, sur le tourisme et les activités qui gravitent autour. En effet, 40.000 tonnes de sel et des emplois ont été perdus, des familles disloquées etc. Cependant, avec le pompage des eaux entrepris, le niveau de l’eau est en train de baisser et les acteurs entrevoient un futur radieux avec le retour de la couleur rose dès le mois de mars prochain.
Alors qu’on est de plain-pied dans la saison touristique, le Lac Rose, l’une des attractions touristiques majeures du Sénégal après l’île de Gorée, est loin de baigner dans l’effervescence de cette période jadis faste pour le tourisme et les activités qui gravitent autour. Dans cette destination touristique, le tourisme est au point mort. La faute à la situation du lac qui a perdu sa couleur rose suite aux fortes inondations de juillet 2022 enregistrées dans la zone 7 qui regroupe, entre autres localités, Niague, Bambilor, Kounoune, Keur Ndiaye Lo, Jaxaay. Durant cette période, les autorités locales sur instruction de l’Etat central, n’avaient rien trouvé de mieux à faire face au spectre des eaux que de transformer le lac qui s’étend sur 3 km2 en un vaste bassin de rétention pour soulager les populations impactées. Un mal pour un bien, dirait-on ! Mais, les conséquences sur l’écosystème du lac et le tourisme sont désastreuses. Un manque à gagner énorme pour ces centaines de pères et mères de famille qui trouvaient leur épanouissement dans les activités connexes du tourisme sur le site du Lac Rose. Il s’agit de l’extraction du sel, de la fabrication et la vente d’articles ou de produits artisanaux, la location de quads, de chameaux pour les balades, etc.
De plus 300 touristes par jour, le lac peine à en voir 20
Mansour Diaw, président des artisans au Lac Rose est resté en dépit des activités au ralenti autour du lac. « On recevait en moyenne plus de 300 touristes par jour ; aujourd’hui, on peine à voir 20 touristes à cause de la perte de couleur du lac. Les rares touristes qu'on croise sont là pour des activités professionnelles. Même si parfois ils profitent de leur présence pour visiter le site du parcours rallye Paris-Dakar. C’est un manque à gagner énorme pour nous dont les activités gravitent autour du tourisme. Nous sommes les grands perdants. Les propriétaires d’hôtels sont également impactés », confie Mansour Diaw, qui précise, dans la foulée, que les agences touristiques n’osent plus vendre la destination du lac. A l’en croire, si un touriste arrive et se rend compte que l’eau n’est plus rose, l’agence peut être poursuivie en justice.
Les exploitants de sel ont mobilisé 30 millions pour pomper l’eau du lac
Cependant, si le niveau de l’eau du lac est en train de baisser, la Coopérative des exploitants du sel au Lac Rose y a joué un rôle important. Selon le président de cette coopérative, Maguette Ndiour, les exploitants de sel n’étaient pas restés les bras croisés face à cette situation. « Après les inondations, nous avions réussi par nos moyens à mobiliser près de 30 millions pour pomper l’eau provenant des inondations. Nous avons considérablement réussi à baisser le niveau de l’eau. C’est par la suite que le ministre d’alors Issakha Diop nous a mis en rapport avec l’Onas qui a déployé une motopompe de haut débit pour appuyer nos efforts. Depuis lors, le niveau a considérablement baissé et l’activité de récolte de sel a repris peu à peu. Si on continue le pompage, le niveau de l’eau va davantage baisser et nous estimons d’ici le mois de mars que l’eau va retrouver son niveau normal et la couleur rose va revenir ; ainsi nous pourrons reprendre l’activité de récolte du sel. Et, cerise sur le gâteau, le retour des touristes. On l’espère vraiment », annonce le président des exploitants de sel. En effet, il rappelle que la couleur rose était peu à peu réapparue avant l’hivernage, malheureusement la pluie a favorisé la montée de l’eau du lac et la disparition de cette couleur tant convoitée.
Toute une récolte perdue (près de 40.000 tonnes) sans aucune compensation de l’Etat
Seulement, en dépit des efforts déployés par les exploitants de sel pour redonner au lac son éclat unique, le président de cette coopérative rappelle que ce secteur a été laissé pour compte et n’a pas bénéficié du fonds Force Covid-19 contrairement à l’artisanat. En 2022 aussi, lors des inondations, les exploitants de sel ont été impactés. « C’est en pleine récolte 2022 que les inondations sont venues tout détruire. Tout le sel récolté est retourné dans le lac. Sur 40.000 tonnes, il ne restait pas plus de 1000 tonnes. En dépit de ces pertes, l’Etat n’a rien fait pour compenser les saliculteurs », se désole le président des exploitants de sel qui rappelle que certains de ses membres avaient contracté des crédits bancaires dans le cadre de leurs activités. Pire, il déplore l’absence de garantie ou d’assurance dans cette activité d’exploitation de cette ressource naturelle. Ce qui lui fait que les exploitants de sel ont été les plus lésés durant ces deux évènements : la Covid et les inondations.
La perte d’emploi a poussé certains à tenter l’émigration clandestine, des familles sont disloquées
Poursuivant, le président des exploitants de sel est revenu sur le procédé mis en place pour la production du sel. « A la fin de l’hivernage, en octobre, on divisait le lac en deux parties, on fermait l'une pour observer un repos biologique et au mois d’avril, mai, on ouvrait l’autre partie pour la récolte. Et c’est une période de récolte intense qui va durer entre 4 et 5 mois durant laquelle, on récoltait jusqu’à 40.000 tonnes. Sur une distance de 5 km, on voyait des tas de sel à perte de vue et le lac était bourré de monde. Aujourd’hui, on ne parvient qu’à récolter entre 500 et 1000 tonnes par an », rapporte le sieur Ndiour qui révèle que la récolte a démarré cette année timidement depuis le mois de janvier. Poursuivant, il révèle que la situation actuelle du lac a occasionné beaucoup de pertes d’emplois. « Certains venaient parfois de la sous-région pour chercher du travail ici. Aujourd’hui, tout le monde est parti. Le manque d’emploi a poussé certains à tenter l’émigration clandestine au péril de leur vie. Des familles sont disloquées, des divorces consommés à cause de la situation inédite du lac », s’indigne Maguette Ndiour qui invite l’Etat à prendre des mesures pour préserver les activités touristiques au niveau de cette seconde destination touristique du Sénégal.
212 ! Une histoire, des anecdotes
Le restaurant 212 ouvert le 15 janvier 2005 et jadis fréquenté par des touristes de différentes nationalités fait désormais partie de l’écosystème du Lac Rose pour sa notoriété des temps fastes du Lac Rose et s’est spécialisé dans le poisson grillé et certains plats exotiques. Aujourd’hui, le décor est tout autre. Une partie du restaurant ressemble à une maison hantée du fait des herbes et autres arbustes qui ont fini d’élire domicile en ces lieux à la suite des inondations de 2022. En plus des tables et du mobilier détruits sous l’effet des eaux encore verdâtres sur une partie du restau. En plus, certaines des toilettes extérieures ne sont plus fonctionnelles. Le gérant Amadou Ndiour, trouvé sur place, est revenu sur le nom singulier du restau. 212, dit-il, est le numéro de la maison en France du propriétaire du restau, Françoise Audin. Lorsqu’elle a décidé de construire une case au restau, ajoute le gérant, ils sont tombés sur un vendeur à qui il ne restait que 212 briques. « Elle avait aussi un véhicule Land Rover en panne. Après huit mois de recherches, un jour nous sommes tombés sur un homme à Thiaroye qui portait un T-Shirt avec le numéro 212 et c’est à travers lui qu’on a obtenu un moteur arrivé la veille d'Italie », explique le gérant qui révèle que la liste des coïncidences est loin d’être exhaustive. En outre, il n’a pas manqué de se désoler de l’absence de soutien et d’accompagnement durant ces inondations en dépit d’une promesse faite par l’Etat. A l’en croire, en plus des dégâts matériels enregistrés dans le restaurant, 91 pieds de banane ont été endommagés par les eaux. « Avant les inondations, on faisait un bon chiffre d’affaires, toutes les tables étaient occupées. Maintenant, avec ce coup de frein, les rares touristes qui viennent sont ceux qui connaissent la maison. Ils font leurs commandes même s’ils logent ailleurs, ils passent ici pour manger. Parfois, c’est le tourisme local », dit-il.
Le tourisme local sauve certaines activités du lac
Cependant, en dépit de cette situation difficile, certaines activités continuent de prospérer autour du lac même si le chiffre d’affaires a considérablement baissé. El Hadj Sow qui s’active dans la location de chameaux confirme que ses revenus ont certes baissé, mais il arrive à subvenir à ses besoins grâce au tourisme local. « Autrefois, on gagnait entre 200.000 et 300.000 francs par jour, maintenant on peut gagner jusqu’à 40.000 francs par jour. C’est le tourisme local qui a sauvé nos activités », révèle El Hadj Sow qui est revenu sur les tarifs de son activité. « Le tour à dos de chameau pendant 15 minutes à 5000 francs ; 30 minutes à 8000 francs et 15.000 francs pour une heure de balade à dos de dromadaire. Une demie journée à 50.000 francs ; un shooting à 25.000 francs et 150.000 à 300.000 francs pour le tournage de clip », lance le sieur Sow.
Les vendeurs d’objets d’art obligés de marcher des km
Marème Diongue dite Sokhna Diousse quitte Niague tous les jours et longe le lac pour écouler ses objets d’art. Un travail difficile parce qu’elle est obligée de marcher des km sous le soleil sans pour autant rencontrer un seul touriste. « Depuis que le lac a perdu sa couleur les activités sont presque inexistantes. Les rares personnes qu’on croise habitent ici ou font du tourisme local. Pour les autres, c’est après avoir fait le tour du Sénégal qu’ils décident de visiter le lac avant de repartir. On peut marcher pendant longtemps sans rencontrer un seul touriste. Présentement, nous sommes en pleine saison touristique et les touristes se font désirer », indique la vendeuse d’objets d’art, avant d’appeler l’Etat à travailler pour le retour de la couleur rose du lac. « Nous vivons de çà et nous sommes des soutiens de famille », précise la dame. Mère Kiné Thiam d’ajouter qu’elles sont obligées de marcher toute la journée et ne vendent que 2000 à 5000 francs. « Autrefois, on n’avait pas besoin de parcourir des km et on vendait mieux. Vivement que le lac retrouve sa couleur pour mettre fin à nos difficultés », confie-t-elle.
Cheikh T. NDIAYE