
Plus de 6 milliards de francs Cfa de pertes, un management autoritaire, des dérives statutaires et une crise de confiance sans précédent : le Crédit mutuel du Sénégal, pilier historique de la microfinance, s’enfonce dans une spirale de crise. Le silence des autorités devient dangereux. Conscient de cet état de fait qui minerait l’institution, l’intersyndicale des travailleurs a envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Ousmane Sonko afin qu’il réagisse pour sauver les meubles.
Créé en 1988 à Thiaré, le Crédit mutuel du Sénégal (Cms), autrefois fleuron de la microfinance populaire, vit aujourd’hui l’une des pages les plus sombres de son histoire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 6 milliards de pertes pour l’exercice 2024, des fonds propres en chute libre, un portefeuille à risque qui explose, et une gouvernance accusée de dérives multiples. L’alerte est rouge. L’institution, qui administre l’épargne de plus d’1,3 million de sociétaires à travers le pays, est au bord du gouffre, selon les syndicalistes qui ont envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Ousmane Sonko.
Une gestion «autoritaire, opaque, et tournée vers des intérêts extérieurs à la mission de l’institution»
À l’origine de cette débâcle, lit-on dans la lettre, une série de décisions controversées, incarnées par le Directeur général, Amadou Jean-Jacques Diop, dont la nomination et la reconduction à la tête du Cms sont «entachées d’irrégularités», dénoncent les syndicalistes. «En violation flagrante des statuts de 2017 qui limitent à deux mandats de trois ans la durée au poste, une modification contestée des textes a été opérée en 2022, instaurant un mandat illimité», écrivent-ils.
Depuis son arrivée en 2019, le style de gestion imposé par M. Diop est dénoncé comme «autoritaire, opaque, et tourné vers des intérêts extérieurs à la mission de l’institution». Selon les syndicalistes, la stratégie de développement s’est éloignée du cœur de métier que sont l’épargne et le crédit, au profit de projets coûteux, mal priorisés et souvent sans impact réel. Résultat, décrète-t-il : ‘’une structure financière fragilisée, un portefeuille à risque multiplié par quatre, et une confiance des épargnants mise à rude épreuve’’.
Des Directions aux intitulés farfelus
À cela, poursuivent-ils, s’ajoute une gouvernance disloquée, marquée par une centralisation excessive, un organigramme hypertrophié, des fonctions qui se chevauchent, et une absence totale de contrôle interne efficace. Des Directions aux intitulés farfelus ont fleuri «super Directeur exécutif», «Direction du recouvrement» sans bénéfice tangible sur la performance globale. La masse salariale explose tandis que les résultats plongent.
Mais, enchaînent les auteurs de la lettre ouverte, la crise est aussi sociale et humaine. ‘’Des inégalités salariales criantes fracturent le personnel : les cadres recrutés sous l’ère Diop perçoivent des salaires hors normes, pendant que les anciens agents véritables bâtisseurs du Cms sont marginalisés’’. Les syndicats, en première ligne dans la dénonciation de ces dérives, «subissent intimidations, sanctions disciplinaires, mutations forcées et licenciements. La répression s’est institutionnalisée, dans un silence complice du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance», indiquent-ils.
L’effondrement du Cms pourrait provoquer un séisme systémique
Plus inquiétant encore, écrivent-ils, malgré des correspondances répétées, des alertes adressées aux autorités y compris une audience obtenue auprès du ministre de la Microfinance en 2023, aucune mesure concrète n’a été prise. «Le Cms continue de s’enfoncer, sous les yeux d’un État jusqu’ici spectateur. Pourtant, l’effondrement de cette institution pourrait provoquer un séisme systémique dans le secteur de la microfinance au Sénégal», assurent-ils.
Face à cette situation gravissime, la délégation syndicale unifiée exige la fin immédiate de cette gouvernance défaillante, un audit indépendant, la protection des représentants du personnel, une enquête sur les responsabilités, et surtout, un plan de redressement transparent, impliquant toutes les parties prenantes. «Le temps presse. Sauver le Cms, c’est protéger les économies de milliers de familles sénégalaises, restaurer la crédibilité du secteur, et envoyer un signal fort. Au Sénégal, la gouvernance financière doit redevenir une affaire d’éthique et de responsabilité», concluent-ils.
Baye Modou SARR