En prélude à son spectacle très attendu ce week-end au Grand Théâtre de Dakar, l’humoriste nigérien Mamane a rencontré la presse sénégalaise autour d’un déjeuner riche en réflexions. Fidèle à son style engagé et satirique, il a abordé des sujets brûlants comme la liberté d’expression, l’état de la démocratie sur le continent et le rôle crucial des artistes dans la société. Un discours lucide et sans détour, dans un contexte où la parole libre est plus que jamais un enjeu majeur au Sénégal et en Afrique.
«L’humour, c’est la sincérité sur scène»
Dans une ambiance conviviale, Mamane a rappelé ce qui guide son art depuis plus de deux décennies : la sincérité. «On ne se change pas. L’humour, c’est la sincérité sur scène», a-t-il affirmé. Connu pour ses chroniques piquantes sur Rfi avec son fameux "Gondwana", l’artiste a souligné que ce qui touche le public africain, c’est l’authenticité. «Quand je parle, je parle avec le cœur. Je ne triche pas», a-t-il ajouté, assurant que ses spectacles sont avant tout un acte de foi envers le continent et ses peuples.
Un humour au service de la justice et de l’Afrique
Mamane ne fait pas rire pour divertir uniquement. Son objectif est clair : éveiller les consciences. «Quand je monte sur scène, je défends l’amour de l’Afrique, l’amour de la justice, l’amour de mes frères et sœurs africains», a-t-il martelé. L’humoriste rappelle que, quelles que soient nos origines, «le sang est rouge pour tout le monde».
Internet, nouvel espace de résistance
Pour Mamane, l’ère numérique a bouleversé la manière dont les Africains s’informent, dénoncent et revendiquent. «Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un thermomètre de la société. Même dans les villages les plus reculés, on suit ce qui se passe ailleurs dans le monde», observe-t-il. Ce phénomène, selon lui, a contribué à démocratiser la parole et à éveiller la jeunesse africaine à la politique, aux droits humains et à la nécessité d’une gouvernance plus transparente. «Internet a eu plus d’impact que 40 milliards d’euros de coopération», ironise-t-il, soulignant que cette liberté d’expression numérique dérange de plus en plus les pouvoirs en place.
La liberté d’expression, un combat quotidien
Pour ce qui est de la liberté d’expression constamment menacée, y compris au Sénégal avec l’usage récurrent de lois comme l’article 80 pour réduire les journalistes au silence, la suspension de chaînes privées, les pressions sur les médias critiques… Mamane ne se fait pas d’illusions. «Ce combat ne s’arrête jamais. Que ce soit en Afrique, en Europe ou ailleurs, il faut toujours être vigilants», affirme-t-il. Pour lui, le droit de dire, de critiquer et de caricaturer ne doit jamais être négocié.
Un humoriste-essayiste à l’africaine
S’il se dit humoriste, Mamane revendique aussi un rôle d’« essayiste», inspiré par l’actualité. «Je ne suis pas journaliste. Je prends les faits, je les exagère, je les déforme pour faire réfléchir», explique-t-il. À travers son univers satirique du Gondwana, une dictature imaginaire, il met en lumière les travers de nombreux régimes africains. Et face à cela, il imagine le «Yafoi», un pays utopique, symbole d’une Afrique qui réussit, où la santé, l’électricité, la justice et l’éducation fonctionnent. Une vision qu’il souhaite insuffler au public africain, et particulièrement à la jeunesse sénégalaise.
Dans un moment où la liberté d’expression recule dans plusieurs pays africains, la voix de Mamane résonne comme un rappel : faire rire, oui, mais en restant debout. Ce 13 juin, le Grand Théâtre Doudou Ndiaye Rose sera l’arène de cette parole libre, lucide et nécessaire.
Samba THIAM