Aujourd’hui, tous les yeux seront rivés sur la capitale française, où débute au Tribunal correctionnel de Paris le procès Lamine Diack et Cie. Empêtré dans une affaire de corruption dans laquelle son fils Massata Diack est largement cité, l’ancien patron de la Fédération internationale d’athlétisme devra cependant faire face seul au juge aujourd’hui. Massata Diack resté à Dakar échappe à la justice française.
Le juge Renaud Van Ruymbeke du parquet financier de Paris, qui est parti récemment à la retraite, a eu le temps de ficeler un gros dossier contre Lamine Diack et ses coaccusés. Avant ses 90 pages d’ordonnance de renvoi (au Tribunal), il a pendant 4 ans réuni plusieurs dizaines de kilos de documents, inculpé et placé sous contrôle judiciaire trois personnes (Lamine Diack, Habib Cissé, Gabriel Dollé) et émis 3 mandats d’arrêt internationaux contre trois prévenus (Massata Diack, Valentin Balakhnichev, Alexeï Melnikov). Pour cette affaire sur fond de dopage et de corruption, il est reproché à Lamine Diack et Cie d’avoir mis en place un système qui a permis, entre autres, d’avoir détourné desdizaines de millions d’euros de l’Iaaf et d’avoir fermé les yeux sur des cas de dopage d’athlètes russes, contre plus de 9 millions.
Les révélations de l’agent sportif Andrai Baranov et de la télévision allemande ARD, qui ont conduit à l’enquête
Tout est parti d’une révélation de l’agent sportif Andrai Baranov qui, le 24 février 2014, a confié au directeur des courses de l’Iaaf que Lilya Shobukova, qui dominait le marathon des années 2010, avait versé 450.000 euros à la Fédération russe pour ne pas écoper d’une suspension pour dopage. 10 mois, après, en décembre, la télévision allemande ARD diffuse une enquête qui a confirmé la révélation d’Andrai Baranov et en a fait d’autres. Entre 2011 et 2014, on aurait demandé à 7 athlètes russes de verser 2,9 millions d’euros pour ranger leurs dossiers de contrôle. De gros soupçons sur une véritable entreprise de corruption sur fond de dopage au sein de l’Iaaf pèse sur le président sortant Lamine Diack et plusieurs de ses collaborateurs. Dès lors, l’Agence mondiale anti-dopage, se basant sur le témoignage des Stepanov (un couple d’athlètes russes en exil aux États-Unis) ouvre une enquête sur la base de témoignages. Après avoir réuni suffisamment d’éléments, l’Ama saisit le Parquet national financier français (parce que le siège de l’Iaaf à Monaco dépend de la juridiction française) qui ouvrait une enquête préliminaire le 1er octobre 2015.
L’arrestation de Lamine Diack et le mail «strictement confidentiel» sur le supposé financement russe pour la présidentielle sénégalaise de 2012
Un mois après (le 1er novembre 2015), le monde de l’athlétisme est secoué par l’interpellation de Lamine Diack, qui sera ensuite placé sous contrôle judiciaire. Son passeport et son ordinateur portable sont saisis. D’ailleurs, c’est dans son ordinateur que les enquêteurs ont trouvé le bout du filon qui leur permettra de tisser leur dossier. Il s’agit d’un mail envoyé par son fils Papa Massata Diack, intitulé «strictement confidentiel» et qui évoque le rôle que les Russes auraient joué dans les élections sénégalaises (2012). En échange du financement russe, l’Iaaf devait ralentir le processus de contrôle des athlètes russes (23 cas), afin qu’ils puissent prendre part aux Jeux de Londres 2012 et aux Championnats du monde de Moscou en 2013. Le Dr Gabriel Dollé, qui dirigeait l’anti-dopage à l’Iaaf, cède sous la pression et l’argent. Il aurait encaissé 50.000 euros. «J’ai fait le faux pas de ma vie», avait-il lâché. Et il va s’évertuer à «ralentir le processus de sanction», reconnait-il devant le juge Van Ruymbeke qui dirige l’enquête.
Massata Diack, dans l’épicentre du dossier, hors de portée de la justice française
Alors qu’il était à Dakar depuis lors, Massata Diack sera placé par l’enquête au cœur de cette affaire qui a valu à son père un contrôle judiciaire et une interdiction de sortie du territoire français. Il est accusé de tirer les ficelles d’un vaste système de détournement de fonds. Il est particulièrement soupçonné dans le contrat de sponsoring avec la banque d’Etat russe VTB. Selon l’accusation, entre 2007 et 2011, sur injonction des autorités russes qui tenaient à l’organisation des Championnats du monde, la banque a sponsorisé l’athlétisme à hauteur de 29,4 millions dollars. Mais 19,6 millions de dollars seulement sont entrés dans les caisses de l’Iaaf. Le reste (environ 10 millions) est versé sur le compte de Pamodzi Sports Consulting de Massata Diack. Dans son ordonnance de renvoi, épaisse de 90 pages, le juge Van Ruymbeke place Massata Diack au cœur d’un véritable labyrinthe sportivo-financier qui passe pratiquement dans toutes les parties du monde : Monaco, Moscou, Dakar, Singapour (société Black Tiding, propriété de PMD), Tokyo, Rio de Janeiro, le Qatar surtout… Selon le dossier, c’est lui qui recevait et distribuait les fonds des candidats à l’organisation des Jeux olympiques, pour acheter des voix.
Seuls Lamine Diack ou son avocat Habib Cissé et le Dr Gabriel Dollé seront au box des accusés
Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’ancien agent marketing de l’Iaaf, cité dans toutes les transactions incriminées, ne sera pas aujourd’hui au Tribunal. Son père devra faire face seul aux juges, comme c’est le cas depuis l’ouverture de l’enquête. Depuis 2015, Massata Diack est à Dakar, échappant aux juges français, qui ont remué terre et ciel pour l’entendre, en lançant même un mandat d’arrêt international contre lui, en vain. Non seulement le Sénégal a refusé de livrer Diack fils, mais l’accès aux banques locales a été refusé aux juges français, intéressés particulièrement par la Sgbs, où seraient passés plusieurs transferts d’argent. Massata Diack ne sera pas le seul absent. L’ancien patron de la Fédération russe, Valentin Balakhnichev et l’entraîneur russe Alexeï Melnikov, bien protégés chez eux, échappent aussi à la justice française. Finalement, seuls Lamine Diack, Me Habib Cissé et le Dr Gabriel Dollé seront dans le box des accusés.