Il est de ces rares hommes qui ont la chance d’avoir deux pays et dont chacun des deux pays est fier de son «enfant». Partagé entre ses cultures sénégalaise et française, Pape Diouf a su se frayer un chemin pour arriver au sommet du football européen. Aimé à Marseille, sa ville de cœur et respecté au Sénégal, le premier noir à présider un club de football professionnel en Europe a failli également devenir le premier maire noir de France. Retour sur le parcours exceptionnel de celui qui a été envoyé en France pour devenir militaire et qui s’est retrouvé dans le cœur des Français.
Son père voulait qu’il devienne militaire
Pape Diouf est né à Abéché au Tchad où son père était responsable du garage gouvernemental à Fort-Lamy (aujourd'hui N'Djamena). À ses six mois, ses parents reviennent au Sénégal. Il vit chez son oncle Jean-Paul à Richard-Toll, puis en Mauritanie où il effectue sa scolarité de 6 à 10 ans. Il revient Dakar pour son entrée au CM1. Il a passé ainsi deux ans au collège Saint-Michel puis à Sacré-Cœur, dans le même groupe scolaire catholique. À 17 ans, son père décide de l'envoyer à Marseille à la fin de sa seconde. Naquit alors le début d’un amour entre un homme et une ville. Déjà passionné par le football, il débarque à Marseille, avec pour injonction paternelle de devenir militaire, comme son père qui s'est battu pour la France pendant la seconde guerre mondiale. Mais Pape Diouf ne l'entend pas de cette oreille, et décide de vivre selon ses choix. Parallèlement à ses études à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, il entre finalement aux PTT (Postes, Télégraphes et Télécoms). Il abandonne alors ses études.
Sa rencontre avec l'Olympique de Marseille
Dans cette société publique française, le jeune Sénégalais rencontre Tony Salvatori, multiple champion de France et international de chasse sous-marine, employé comme lui des Postes, qui le fera entrer comme pigiste au journal «La Marseillaise». Peu de temps après, il est embauché à temps plein, avec pour mission de couvrir l'actualité de l'Olympique de Marseille. Douze ans après son entrée au journal, il rejoint le quotidien français sportif Le Sport, lancé par Xavier Couture. Mais l'aventure tourne court car le quotidien dépose le bilan.
À la suite de cette déconvenue, il organisa des jubilés de joueurs en Afrique. De là, lui vient l'idée de devenir agent de joueurs. Ses premiers joueurs sous contrat furent Basile Boli et Joseph-Antoine Bell, tous deux évoluant à l'Olympique de Marseille. Plus tard, ce fut au tour de Marcel Dessailly, Bernard Lama, Sylvain Armand, William Gallas, Grégory Coupet, Laurent Robert ou encore Didier Drogba. Il était l'agent du joueur marseillais Samir Nasri depuis l'âge de 13 ans.
Premier président noir d'un club en Europe
En 2004, Pape rejoint l'Olympique de Marseille comme manager général du club, chargé des affaires sportives. Après le départ de Christophe Bouchet à l'automne 2004, il est nommé président du directoire de l'Olympique de Marseille par le Conseil de surveillance du club, au sein d'un triumvirat composé également de Vivian Corzani pour l'administratif et de Philippe Meurice pour les finances. En 2005, il devient président de l'Olympique de Marseille sous l'influence de l'actionnaire majoritaire, Robert Louis-Dreyfus.
En 2006, il est à l'origine d'une décision controversée d'aligner une équipe bis de l'Olympique de Marseille face au Paris SG pour le compte de la 30e journée de championnat de Ligue 1. Il avait en effet refusé d'envoyer l'équipe des titulaires, arguant du non-respect par les services de sécurité du PSG des normes de sécurité concernant l'accueil des supporters marseillais au Parc des Princes. Cette décision lui a attiré les foudres d'une partie du public français, de la Ligue de football professionnel et du diffuseur exclusif du championnat, Canal+ ; mais elle lui a aussi permis de faire l'union sacrée autour de lui parmi les supporters olympiens. Ce match se terminera par un inattendu 0-0 au terme d'un match fermé.
Selon le quotidien régional français créé en 1997 à Marseille, «La Provence», sous sa présidence, l'Olympique de Marseille progresse régulièrement dans la hiérarchie française (5e en 2005-2006, puis 2e en 2006-2007, 3e en 2007-2008, et 2e en 2008-2009), en se qualifiant très régulièrement en Ligue des Champions. Il accède également deux fois d'affilée à la finale de la Coupe de France (perdues en 2006 face au Paris Saint-Germain et en 2007 face au FC Sochaux).
Il demeure à ce jour le seul dirigeant noir d'un club évoluant en première division dans toute l'Europe. Devant ce constat, Pape Diouf livre un diagnostic passablement désabusé sur l'intégration à la française. «Je suis le seul président noir d'un club en Europe. C'est un constat pénible, à l'image de la société européenne et, surtout, française, qui exclut les minorités ethniques», martèle-t-il dans un entretien avec l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique.
En raison d'absences répétées au Conseil de surveillance de l'OM ainsi que des conflits avec le président de ce conseil, Vincent Labrune, Robert Louis-Dreyfus décide de se séparer de Pape Diouf le 17 juin 2009 après cinq ans de présidence. À Marseille, beaucoup le considèrent comme l'un des acteurs majeurs du renouveau de l'OM.
En 2013, l’ancien président de l’Olympique de Marseille a été décoré par le président de la République française François Hollande de la Légion d’honneur. Une année avant, Pape Diouf avait été élevé au grade de chevalier, pour ses «mérites éminents acquis au service de la nation».
Cinq ans après son départ de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf s’essaye à la politique. En 2014, lors des élections municipales à Marseille, il conduit la liste «Changer la donne» composée de membres du «Sursaut», un collectif comprenant des dissidents écologistes et des associations, et de personnalités issues de la société civile. Ses listes terminent à la cinquième position (résultats globaux à Marseille), avec 5,63% des voix.
Sidy Djimby NDAO