Thierno Bocoum est déçu par la révision du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Pour l’ancien député, les parlementaires ont plus pensé à augmenter leurs privilèges, avec plus de commissions, que leurs responsabilités, avec encore plus de limitation de leur prérogatives, par l’article 80 bis. Accusant la majorité d’avoir agi sous la dictée de l’exécutif, le patron d’Agir trouve que les députés ont raté une belle occasion de rendre à l’institution parlementaire sa dignité, après les nombreux coups de boutoir de l’exécutif qui l’ont transformée en une simple chambre d’enregistrement.
Avec les nouvelles modifications apportées à son règlement intérieur, «l’Assemblée nationale prend une pente dangereuse». C’est la conviction de Thierno Bocoum, qui affirme que le Parlement «a encore déçu tous ceux qui s’attendent à des réformes substantielles pour une meilleure prise en charge des préoccupations des populations». Pour l’ancien député de Rewmi, en modifiant les textes de l’Assemblée, «il est vraiment regrettable que la majorité n’ait pensé qu’à augmenter ses privilèges à la place de ses responsabilités et de ses prérogatives». En effet, explique-t-il, en augmentant le nombre de commissions qui passent de 11 à 14, «la majorité ne fait qu’augmenter les postes de dépenses à la charge du contribuable sénégalais, tout en ignorant ses attentes». Et parmi ces attentes des citoyens, il cite la mise en place opérationnelle par le Parlement des mécanismes de transparence et de suivi de l’exécution des lois votées. Ce qui est d’autant plus urgent que «la commission comptabilité et contrôle, qui est chargée de la transparence des ressources allouées à l’Assemblée nationale, n’a jamais produit de rapports» destinés à l’Assemblée, portant sur l’exécution du mandat de contrôle qui lui est confié conformément à la loi. De la même manière, il soutient que la commission de délégation dont la mission est de faire l’évaluation et le suivi de l’exécution des lois votées et qui ne fonctionne pas, brille par son mutisme et «ne fait que consommer des crédits gracieusement alloués».
«A la place d’une extension des prérogatives des députés, l’article 80 bis de ladite proposition se limite à restreindre l’initiative parlementaire»
Poursuivant, l’ex-député trouve qu’il y a pire avec cette révision du règlement, car au lieu qu’elle soit une occasion de renforcer les pouvoirs des députés, elle les a diminués. «A la place d’une extension des prérogatives des députés, compte tenu des nouvelles opportunités de contrôle, l’article 80 bis de ladite proposition se limite à restreindre l’initiative parlementaire», explique-t-il. Mais cela ne le surprend guère, vu la soumission de la majorité à l’exécutif. Et il soupçonne d’ailleurs la main de ce dernier derrière cette modification des textes de l’Assemblée. «Les termes de l’article 80 bis sont révélateurs de la plume qui se cacherait derrière cette retouche mineure. Cet article corse les dispositions déjà existantes pour réduire à néant les marges d’intervention du député dans le cadre d’un projet de loi de finance accroché aux exigences de l’entrée en vigueur du budget-programme en 2020. Tout laisse croire que les députés de la majorité se sont encore conformés à un texte de l’exécutif pour en faire une proposition de loi», déclare le leader du mouvement Agir.
«La majorité a encore raté l’occasion de rendre à l’Assemblée nationale sa dignité, après les coups de boutoir successifs de l’exécutif»
Pour Thierno Bocoum, la majorité parlementaire a «raté une occasion» de se doter des moyens de se pencher sur le contrôle effectif du budget-programme prévu par les directives de l’Uemoa de 2009 et que le Sénégal va finalement intégrer en 2020. Pour lui, avec la toute prochaine application du budget-programme, ladite proposition de loi aurait pu, au moins, s’inspirer de l’évolution dans l’encadrement de l’initiative parlementaire, avec notamment, par exemple, en France, le fait d’autoriser les parlementaires à opérer des mouvements entre les programmes d’une même mission sans augmenter le montant total des crédits de celle-ci. (la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)). Mais hélas, pour lui, «la proposition de modification du règlement intérieur n’a été finalement qu’un prétexte pour annihiler les prérogatives de contrôle des députés, et octroyer des privilèges à une clientèle politique». Et c’est d’autant plus déplorable pour l’opposant qu’en courbant encore une fois l’échine devant l’exécutif, «la majorité a encore raté l’occasion de rendre à l’Assemblée nationale sa dignité de siège de représentation du peuple sénégalais». Cela, précise-t-il, «après les coups de boutoir successifs de l’exécutif qui ont fini par en faire une chambre d’enregistrement».
Mbaye THIANDOUM