Poitrines palpitantes, par millions, prêts à déverser, en liesse, leur joie d’un sacre qu’ils croyaient, croix de bois, contre croix de fer, n’être qu’une formalité, aucun d’eux n’a bougé quand ils ont entendu, pour de vrai, les lourdes cellules carcérales se refermer derrière des militants de leur bien être malmené.
C’était pourtant à un battement de cœur, hier, quand des gardes prétoriennes, armées jusqu’aux dents, ont traversé la ville de Dakar, dans un fourgon, pour jeter dans la prison de Rebeuss, au cœur de la capitale sénégalaise, une dizaine des leurs.
Plaisirs par procuration
C’était le même. Pour la énième fois: militant droit-de-l’hommiste, combattant contre la mauvaise gouvernance, adversaire d’une hausse du coût de la vie, par celle de l’électricité, le voici, à nouveau, son éternel sourire aux lèvres, dans la violation de ses droits, qui retournait en taule. Ceux de Rebeuss, y restés longtemps, appellent son genre les “dem-dikk”, les “partis-revenus”, en guise d’identification de ces prisonniers habitués des lieux. Lui, ne l’est pas par ses crimes. Ce n’est pas un prisonnier de droit commun.
Comme avant, comme toujours, il est revenu avec la même estampille: militant d’une cause juste, cause pour le peuple, cause pour la nation.
Il s’appelle Guy Marius Sagna. Cette fois-ci, c’est l’audace d’un “flash-mob”, ce mouvement de foule orchestré pour se rapprocher d’un lieu stratégique afin de manifester une colère: c’était, il y a cinq jours, à Dakar, et c’était devant le Palais de la Présidence de la République !
Guy manifestait contre la mortelle décision, annonciatrice d’une inflation généralisée, de la hausse des prix de l’électricité.
Il était venu ici, déjouant l’attention des forces de répression, avec un groupe restreint de compatriotes, délaissant tous le débat qui, dans toutes, les chaumières du pays, faisait déjà rage autour de l’attribution...inévitable du Ballon d’or de football, couronnant le meilleur joueur mondial de l’année écoulée.
Les foules sénégalaises n’ont pas eu de raison de sortir massivement hier pour exulter, hurler leur bonheur puisque le rêve fut raté, les membres du jury décidant de choisir autrui, un MessiE, qu’un Sadio Mané, l’enfant du pays, pour lui décerner le titre.
Ainsi sont les peuples qui sont adeptes des plaisirs par procuration si ce n’est par dérivation. Avant, dans l’Antiquité Grecque, ils exigeaient des Empereurs pain et jeux avant de se laisser à l’abandon. Celui du Sénégal contemporain se suffit d’une fête à distance, d’une hypothétique victoire au bout d’un soulier dans une compétition décidée par une alchimie de chiffres et de sentiments dont ceux liés à la race ne sont pas des moindres.
Par millions, devant le petit écran, oreilles collées sur les radios, les sénégalais ont attendu fiévreusement l’annonce libératrice, qui n’est jamais tombée, pour envahir les rues.
Le Ballon d’or de Mané n’est pas devenu la réalité qu’ils avaient actée selon leurs propres certitudes. Ils ne leur restaient qu’à éteindre les lampes pour ne pas augmenter davantage leur facture, désormais leur hantise, d’électricité.
En allant au lit, le cœur lourd, pas un mot ni une pensée à ces férailles qui se refermaient derrière Guy et ses compagnons d’infortune incarcérés pour avoir manifester contre la cherté de la vie. Au nom des leurs. Au nom de ces passionnés du football mais blasés pour tout ce qui touche à leurs portefeuilles et encore plus à leurs libertés et à leurs êtres.
Guy était hier avec une figure emblématique: Babacar Diop, jeune et brillant professeur de philo à l’université, étoile montante dans un jeu politique ne se jouant pas qu’avec les pieds mais progressivement empêché de se dérouler par un régime de terreur détruisant les rêves d’une transformation, d’un redressement, de la démocratisation véritable de la nation.
Étrangement même pas un murmure de la part des universitaires du pays face au sort de cette pépite retenue loin de ses étudiants et jetée au fond d’une geôle, probablement au milieu de détenus de droit commun, dont des criminels dangereux voire des assassins.
Lâcheté
Football, danse et musique, y compris des thématiques rythmiques aussi loufoques que l’avarice dans les relations homme-femme, sont les ingrédients de la vie du peuple sénégalais.
Il préfère s’y mouler pour oublier son quotidien et ne pas avoir à faire face aux dures réalités, mortelles, qu’une calamiteuse gouvernance d’un pouvoir illégitime, criminel, lui impose.
Qui n’a envie de penser au terme le plus évident: lâcheté !
Hier soir dans le fourgon l’amenant à la prison, les trois jours d’avant, sur le froid sol d’une cellule dans les commissariats, et, ce matin, dans sa chambre de prison encombrée ou dans la cour où se promènent des détenus, comment Guy et ses compagnons peuvent-ils s’empêcher de se demander s’il fait encore sens de se battre pour un tel peuple?
Pourquoi est-il si envoûté par les manifestations sportives, moments sans incidences majeures dans l’histoire des nations, pendant qu’il tourne le regard ailleurs alors que son écosystème socio-politique et économique n’en finit pas de limer, d’éroder, ses propres libertés, ses moyens de vivre et ses raisons d’être ?
Pourquoi ferme-t-il les yeux devant l’enracinement d’une culture de la terreur et de la torture qui se banalise ?
Le peuple sénégalais en optant pour l’insouciance des moments ludiques, comme la cérémonie de remise du Ballon d’or, confirme son irresponsabilité.
Sous ses yeux, hier, le Fonds monétaire international (FMI), revenu en grâce, prétextant de la soutenabilité de la dette souveraine, mais oubliant les crimes économiques à l’origine des malheurs africains, lui a préparé un corset d’ajustement structurel, voire la promesse d’une dévaluation de la monnaie locale, sans qu’il ne s’en préoccupe.
Sa tête était décidément ailleurs: braquée sur les souliers au repos de Mané.
Comment s’étonner de son silence en entendant distraitement l’annonce de l’incarcération des détenus politiques envoyés hier à la prison bien qu’ils ne manifestaient que pour son bien-être...
Les peuples ont l’avenir qu’ils choisissent. Celui du Sénégal a donné le droit à Macky SALL de piétiner ses libertés. Voire d’inaugurer une ère de tortures: le monde doit savoir qu’une dérive inacceptable permise par l’apathie d’un peuple est à l’œuvre au Sénégal.
Vous avez dit peuple en danger! Oui, tel est le sort de celui du Sénégal.
Qui pour le secourir? Ni le FMI, ni le ballon d’or.
Réveil brutal, ce matin, les paillettes ont été jetées aux poubelles...
Maslow aiderait bien ce peuple à retrouver un ordre plus rationnel des priorités par sa pyramide des besoins: des urgences vitales, minimales, alimentaires, sécuritaires, des libertés avant de s’abandonner à des passions d’auto-accomplissement.
Ce peuple marche sur la tête. Comme son pays. Ou la terreur est validée par les fêtards !
Adama Gaye, Le 3 Décembre 2019.
PS: Le régime incapable de macky SALL rêve de torture. S’il s’y adonne, que le peuple entier aille le déloger pour le pendre sur un croc de boucher. Avant d’en faire de même avec ses sbires.
Dictature et torture : NON !