N’ayant pu échanger suffisamment sur la question avec le ministre de l’Économie et des Finances lors de son passage à l’Assemblée nationale, Ousmane Sonko s’est fendu d’une tribune hier pour revenir sur l’affaire des 94 milliards. Accusant le ministère de tutelle d’être mouillé jusqu’au cou dans cette affaire, il révèle, entre autres, que le choix du mécanisme qui a été le plus utilisé pour payer des milliards aux sociétés (Sofico et Cfu) n'est pas fortuit, car contrairement aux deux autres mécanismes, il n’est pas soumis aux contrôles de l’ordre administratif et échappe au contrôle de la Cour des comptes.
«Des procédés ingénieux ont été mis en place par certains agents ou services de l’État, en complicité avec des hommes d'affaires, pour détourner d’importants fonds publics de leur destination budgétaire initiale», accuse Ousmane Sonko. Qui cite en ce sens «le cas des indemnités d’expropriation pour cause d'utilité publique», qu’il dit avoir déjà «partiellement soulevées avec l'affaire dite des 94 milliards». Rappelant qu’en matière d’indemnisation des expropriés, les services du ministère des Finances utilisent trois mécanismes : des paiements effectués par le chef du Bureau des domaines sur la base des crédits budgétaires disponibles notifiés par le Ministère au titre de la loi de finances ; des conventions tripartites de reconnaissance de dette (lettre de confort) entre l’État, l’exproprié (plus précisément l’acquéreur de l’indemnité d’expropriation) et une banque privée (Ex : État – Sofico/Cfu – UBA) et l’ouverture de comptes par l’État du Sénégal dans des banques privées avec des intitulés comme : «Programme de Défense des Intérêts Économiques et Sécuritaires du Sénégal (Pdies)» ou «Expropriation État».
Mais, souligne-t-il, c’est ce dernier mécanisme, c’est-à-dire les comptes ouverts par l’Etat dans des banques privées et directement gérés par le Directeur général du Budget qui procède aux ordres de virements, qui «a été plus utilisé que les deux autres, pour verser des dizaines de milliards à un seul homme d'affaires, à travers ses deux entreprises (Sofico et Cfu) et sur la base de créances douteuses ou inexistantes». Et si ce mode de payement à été privilégié, c’est parce que, explique Sonko, «il n'est pas soumis aux contrôles de l’ordre administratif». Et mieux, ajoute-t-il, «même la Cour des comptes n'effectue aucun contrôle au niveau des rubriques budgétaires au sein desquelles ces crédits sont logés».
«Une véritable association de malfaiteurs dont les fonctionnaires cités jusque-là dans l’affaire des 94 milliards ne sont que la face visible»
Poursuivant, le député opposant soutient que le ministre de l’Économie et des Finances, Abdoulaye Daouda Diallo, a préféré ignorer la question qu’il lui a posée sur le sujet, lors de son passage à l’Assemblée. Non sans ajouter qu’il comprend bien pourquoi cette posture du ministre, vu les personnes et services impliqués dans cette affaire. «Je comprends sa gêne car il sait très bien que j’ai fait allusion à une véritable association de malfaiteurs dont les fonctionnaires cités jusque-là dans l’affaire des 94 milliards ne sont que la face visible. Le ministère des Finances est impliqué jusqu'au cou, et certainement des sphères plus élevées encore de l’État sont également impliquées», dit-il. Et de mitrailler Abdoulaye Daouda Diallo par une série de questions. «Le compte ‘’Programme de Défense des Intérêts Économiques et Sécuritaires du Sénégal (Pdies)’’ est-il logé à la présidence de la République et rattaché aux fonds secrets ? En quoi payer des indemnités toxiques suite à des rachats de créances fictives relève- t-il de la sécurité nationale ? Pouvez-vous nier que ces comptes ont servi à payer des dizaines de milliards aux sociétés Sofico et Cfu ? Pouvez-vous affirmer que ces dizaines de milliards ont été payés en toute légalité ? Pouvez-vous nier que les montants payés à ces entreprises à titre d'indemnisation sur la période 2014 à 2018 dépassent très largement les crédits budgétisés et votés à cet effet ? Comment avez-vous pu payer plus de 6 milliards d’indemnités à la Sofico en 2015 alors qu’aucune inscription budgétaire n’était prévue à cet effet ?», interroge Sonko. Qui s’étonne aussi du silence de l’agent judiciaire de l’Etat, qui «ne bouge pas le plus petit doigt alors que des milliards du contribuable ont été détournés dans une entreprise d'escroquerie à grande échelle».
Mbaye THIANDOUM