Le gouvernement du Président Adama Barrow a pris, jeudi une sévère raclée venant du Parlement gambien. Les députés, y compris ceux de la majorité au pouvoir, ont voté contre le projet de loi de finances rectificative, que le ministre des Finances, Mamburay Njie, a défendu en vain, affirmant même que ces fonds sont indispensables pour que le gouvernement reste opérationnel et, à défaut, il court à la banqueroute. Mais les parlementaires sont restés intraitables, dénonçant des manquements dans l’élaboration du projet de loi et surtout la période où il a été présenté, qui dépasse les délais prévus par la Constitution.
Le fait est assez rare en Afrique pour être souligné. Les députés gambiens, y compris ceux de la majorité au pouvoir, ont rejeté, jeudi, un projet de loi de finances rectificative introduit par le gouvernement et défendu en vain par le ministre des Finances, Mamburay Njie. Un projet de loi de finances rectificative portant sur 24 millions de dollars Us, soumis à leur vote, à deux semaines seulement de la fin de l’exercice budgétaire 2018.
Un projet «anticonstitutionnel» car ne respectant ni les formes ni la période, selon des députés
Parmi les opposants les plus en vue à la loi de finances rectificative, il y a le député de Banjul Nord, Ousman Sillah, pour qui, cette demande de rallonge budgétaire demandée par le gouvernement est anticonstitutionnelle.«Ils demandent de l’argent pour payer certaines dépenses qu'ils ont déjà faites. La Constitution l'interdit. Ce qu'ils devraient nous apporter, ce sont des dépenses non encore faites. Ils ont déjà dépensé pour cela et veulent ensuite que nous l'approuvions. C’est ce que nous avons totalement rejeté», a déclaré Sillah cité par Freedomnewspaper.
PourSedia Jatta, députée de Wulli, c’est l’incapacité du gouvernement à bien faire ses devoirs qui a entraîné le rejet du budget proposé. Pour lui, les motifs avancés par le gouvernement pour présenter un projet de loi rectificative, mal conçu, ne sont pas convaincantes.«Notre conscience et l'intérêt national doivent primer dans tout ce que nous faisons ici. Seul l'article 112 (sur les responsabilités des députés) et l'intérêt national devraient nous intéresser ici», déclare Jatta. Qui indexe le gouvernement : «vous n'êtes pas au-dessus de la loi. Nous sommes tous soumis à l’autorité de la loi. La loi dit clairement à quelle époque il faut présenter un tel projet de loi. Vous ne pouvez pas aller au-delà. Alors, honorable ministre, je suis vraiment désolé, mais votre projet de loi ou vos explications sont arrivés au mauvais moment. Et pour cette raison, je ne peux pas donner mon approbation».
La plus grosse part des montants demandés devait aller au cabinet du Président Barrow
Ce qui s’est passé jeudi à Banjul, devant le Parlement, rappelle un peu le 23 juin 2011, devant l’Assemblée nationale sénégalaise, où la population a manifesté, pour empêcher le vote du projet de loi instituant la vice-présidence et le quart bloquant. Jeudi, les Gambiens ontpris d'assaut le Parlement, appelant les députés à rejeter le projet de loi de finances rectificative. Pour les manifestants, il y a une nébuleuse autour des montants indiqués dans le projet de loi, qui n’est pas également dans l'intérêt du pays. Par exemple, les populations dénoncent le fait que dans le projet de loi, des secteurs comme la santé, l’éducation et l’agriculture sont largement sous-financés, alors que le cabinet du Président Barrow s’adjuge la plus grosse part du budget proposé.
Mamburay Njie ministre des Finances : «l’économie de la Gambie est malade et a besoin d’un sauvetage urgent. Les fonds sont indispensables pour que le gouvernement reste opérationnel»
Pour éviter le rejet du projet de loi de finance rectificative, l’argentier de l’État gambien a brandi la situation économique grave dans laquelle se trouve le pays.«Si quelqu'un doit être blâmé, c'est moi, parce que j'ai pris la décision de venir à l'Assemblée nationale pour plus de transparence et vous révéler exactement la réalité sur le terrain. Que nous le résolvions aujourd’hui ou demain, ou après-demain, il reviendra toujours nous pourchasser», a déclaré Mamburay Njie. Qui ajoute que «l’économie de la Gambie est malade et a besoin d’un sauvetage urgent». Et pour lui, «le refus du Parlement d’approuver le budget supplémentaire soumis ne ferait que compliquer la situation». Car, précise-t-il, «les fonds (demandés dans la loi de finance rectificative) sont indispensables pour que le gouvernement reste opérationnel». A défaut, dit-il, «il va vers la banqueroute». Mais il aura beau s’apitoyer sur le sort économique du pays, les députés n’ont pas cédé.
Le Président Barrow de plus en plus contesté
Le rejet de la loi de finance rectificative soumis par son gouvernement n’est que l’arbre qui cache la forêt des difficultés que connaît actuellement le Président gambien. Le front social s’agite, les milieux économiques s’inquiètent. Au plan politique, également, il y a une guerre larvée au sein du Parti démocratique unifié ( Udp) qui l’a porté au pouvoir, avec une coalition de 7 autres partis. Le parti est toujours dirigé par son ministre des Affaires étrangères, Ousseynou Darboe (emprisonné au moment de la présidentielle), qui ne compte pas le lui céder. Ce dernier, récemment, lors du Congrès du parti, a déclaré être «prêt à se battre contre quiconque souhaite diviser l’Udp». Une allusion claire au Président Barrow qui se préparerait à lancer son propre parti politique.
Mbaye THIANDOUM