Leur rencontre suscite des questions quant à leurs objectifs respectifs. Mais Abdoulaye Wade et Ousmane Sonko sont deux identités remarquables, qui font en tout cas front pour rejeter le dialogue initié par le Président Macky Sall et poser les prémices d’une alliance électorale possible.
Si Me Abdoulaye Wade est loin d’être de la même génération que Ousmane Sonko, n’empêche que ce dernier à le même âge que le Parti démocratique sénégalais, cette création de l’avocat et homme politique le plus diplômé, du Caire au Cap, et qui a contribué de façon décisive à l’approfondissement de l’expérience démocratique au Sénégal. Ousmane Sonko est né le 15 juillet, alors que le Pds a été porté sur les fonts baptismaux le 31 juillet de cette même année 1974. Wade voit donc en Sonko ce fils, qui lui rappelle ses premières passes d’armes avec le régime de Senghor, alors qu’il se frayait un chemin dans le landernau sénégalais.
Cette affection est peut-être une des raisons du rapprochement et de la possible jonction entre ces deux personnalités de la scène politique nationale. Mais, pas seulement, puisque, aujourd’hui, la configuration du décor où se meuvent les acteurs politiques est caractérisée par une instabilité, avec des lignes qui bougent de manière assez aléatoire, particulièrement au sein de l’opposition. Et la tentative de stabilisation desdites lignes, à travers le dialogue politique initié par le Président Macky Sall, à l’orée de son second et dernier mandat, a eu comme effet de susciter une certaine concrétion d’un frange de l’opposition autour de cette idée de dialogue, alors que des radicaux s’en sont éloignés, porteurs d’un combat résolu pour la préservation des ressources naturelles, pétrolières et gazières. Au sein de ces derniers, le Congrès pour la Renaissance démocratique s’est formé pour afficher son allergie à toute idée de discussion avec le régime, montant plutôt au front de la lutte pour la transparence dans les contrats signés avec Frank Timis, stigmatisés dans le scandale à 10 milliards de dollars dénoncé par la BBC, dans un reportage qui défraie toujours la chronique locale et même au-delà.
Une affection permanente de Me Wade pour les jeunes
Mais, dans ce camp des irréductibles, il y a surtout ces deux identités remarquables que sont Ousmane Sonko et le pape du Sopi. Et ceux qui connaissent Me Abdoulaye Wade savent son amour pour la jeunesse, surtout celle combattante dont il s’est toujours entouré, ce dès la création de son parti. Serigne Diop et ses frères du Comité national de la jeunesse ont été les pionniers qui, dans toutes les régions et les villages les plus reculés, ont implanté le Pds à ses débuts, sous la direction du secrétaire général national. D’autres jeunes ont suivi, tels Ousmane Ngom, Idrissa Seck, qui ont été les plus remarqués. Aujourd’hui, au crépuscule d’une vie politique bien remplie, avec 26 ans d’opposition, 12 ans de pouvoir et un nouveau cycle d’opposition entamé depuis 2012, Abdoulaye Wade, après cette expérience non aboutie avec son fils biologique Karim Wade, trouve en la personne de Ousmane Sonko, opposant inflexible au Président Sall, une fontaine de jouvence qui lui permet un renaissance politique. C’est pourquoi leur rencontre du jeudi 25 juillet, même si elle n’est pas la première, a suscité la curiosité des observateurs. Le premier constat est que les deux leaders du Pds et de Pastef veulent ensemble faire respecter le calendrier républicain. Mais, en même temps et toujours de conserve, les leaders du Pds et de Pastef ne participent pas au dialogue national et ne cautionnent non plus le supposé consensus fort qui s’est dégagé pour le report des Locales, paraphé par le Front de résistance nationale.
Abdoulaye Wade : «j’ai beaucoup d’estime pour Ousmane Sonko»
Il faut rappeler que si Wade avait boycotté la présidentielle, le candidat Ousmane Sonko avait peu bénéficié du report de soutien de la part des recalés du parrainage. Mamadou Diop Decroix, Abdoul Mbaye, Khalifa Sall, Mamadou Lamine Diallo, Malick Gakou… s’étaient ligués avec Idrissa Seck Et c’était déjà, aux yeux de certains, une alliance des «politiciens professionnels» contre le candidat «antisystème». Sonko s’est vu alors rejeté et s’est retrouvé esseulé. Rai de lumière dans la grisaille de cet esseulement du candidat de «Sonko Président», l’arrivée de Me Abdoulaye Wade. Rentré de Versailles et requinqué par un accueil populaire inattendu, le pape du Sopi, dans son discours à la permanence Oumar Lamine Badji, avait déclaré : «j’ai beaucoup d’estime pour Ousmane Sonko». Une invitation au rapprochement à peine voilée, que le leader de Pastef saisira, après avoir pourtant classé son auteur parmi les dirigeants à «fusiller». C’est au détour de sa campagne que Sonko fera un crochet à Kébémer pour une visite de courtoisie à l’ancien chef de l’Etat, qu’il se plaira à désigner comme étant «le meilleur Président parmi les quatre que le Sénégal a connus». Mais le rusé briscard de la politique sénégalaise ne donnera jamais en faveur de son hôte une consigne de vote directe.
Atomes crochus entre Pds et Pastef
Aujourd’hui que la situation n’a évolué que vers un semblant d’apaisement de la scène politique, grâce au dialogue initié par le Président Macky Sall et adoubé par cette frange de l’opposition regroupée au sein du Front de résistance nationale (Frn), le Pds et Pastef semblent se reconnaitre des atomes crochus et émettent sur «la même longueur d’onde». Et il pourrait être question d’une alliance entre les deux partis aux prochaines Locales.
Or, le premier hic dans cette idylle est la situation quelque peu délétère au sein du Pds, dont la seule constante, le secrétaire général national, à force de vouloir imposer un fils qui, de loin, dicte ses desiderata à un père tout acquis à sa cause, a fini par faire le grand vide autour de lui. Après Me Madické Niang, qui s’est émancipé pour candidater à la présidentielle contre la volonté de son mentor, Babacar Gaye, déchargé de sa casquette de porte-parole, c’est surtout Oumar Sarr, secrétaire nationale adjoint et numéro 2 du Pds, qui a été ostracisé pour être allé au dialogue.
L’écueil Karim Wade et le brouilleur Macky Sall
Le second écueil pourrait être le sort et la posture de Karim Wade. Ne lui connaissant pas des rapports amènes avec le leader de Pastef, la réaction de Wade-fils concernant ce rapprochement de son père avec Ousmane Sonko pourrait être l’irritation, d’autant que son espoir de voir le Président Sall répondre favorablement aux vœux des «dialogueurs» pourrait devenir réalité.
Et c’est peut-être là que le chef de l’Etat va intervenir pour tenter de casser cette nouvelle dynamique qui, si elle se concrétise, est bien en mesure de mettre fin au règne de son camp dès la prochaine échéance. Le Président Macky Sall, on le lui prête, réfléchirait à libérer Khalifa Sall et permettre le retour de Karim Wade, dès cette fête de Tabaski. Ce serait un coup politique de première. Car, en faisant jouer la concurrence entre Karim, Sonko, Khalifa et, subsidiairement Idy, Macky Sall pourrait faire bénéficier son camp d’un émiettement de l’opposition qui serait salutaire au régime.
En tout cas, l’initiative peut changer à tout moment de camp. Aujourd’hui, le pape du Sopi garde la main, mais son désir inavoué est de voir le président de la République la lui reprendre dans l’optique de libérer son fils, pour qui il continue de combattre, au risque de sacrifier la formation politique qu’il a fondée et qui vient juste de fêter ses 45 ans.
Mansour KANE