Pour son baptême du feu devant les députés, le ministre de la Justice, Me Malick Sall, a abandonné les réponses techniques attendues de lui, pour trouver les parlementaires de l’opposition dans le champ de la querelle politicienne, où il les a bien cognés, en faisant, à la limite, dans la raillerie. Une attitude incompréhensible pour Déthié Fall, Toussaint Manga et Cie, qui le lui ont fait savoir vertement.
Ceux qui s’attendaient avec l’arrivée de Me Malick Sall à avoir un ministre de la Justice qui ferait moins dans la politique politicienne, eu égard à la nature spécifique de son département, peuvent déchanter. L’homme est politique jusqu’à la moelle épinière. Et ce ne sont pas les députés de l’opposition, présents samedi lors du vote de la loi portant révision de la Constitution, qui diront le contraire. Les frères Bara Dolly, Mamadou Lamine Diallo, Déthié Fall, Toussaint Manga et autres ont sans doute été pris de court par l’attitude du ministre, qui leur a parlé plus en responsable politique Apr qu’en garde des Sceaux, venu défendre un projet de loi. «Le Sénégal n’a pas à avoir honte de son Assemblée, si l’on voit ce qui se passe ailleurs…», a-t-il martelé d’emblée. Sans doute, en réponse à Abdou Bara Dolly Mbacké qui, auparavant, avait souligné que c’est honteux de voir ses collègues de la majorité défendre un tel projet de loi, qui les affaiblit et renforce le chef de l’Etat aux pouvoirs déjà exorbitants. Poursuivant, le garde des Sceaux ne se gêne nullement pas pour traiter certains députés de l’opposition d’incultes et d’autres de mécontents après la raclée électorale subie. «Il y a des intervenants qui n’ont pas lu le projet, soit délibérément, soit parce qu’ils ne savent pas lire», cogne-t-il.
Pour la seconde catégorie, il note qu’ils «sont un peu victimes du 24 février (présidentielle)». Pour lui, ces derniers «n’ont pas encore digéré leur défaite d’où leur virulence dans le verbe». Et comme pour railler Déthié Fall et Cie, il assène : «je ne peux pas grand-chose pour ces gens. Je peux juste leur dire ‘’massa’’ (compatir à leur peine)». Des propos va-t’en guerre qui ont soulevé une salve d’applaudissements chez les députés de la majorité. Ce qui a eu le don de doper le ministre, lequel fusille de plus belle l’opposition qui, dit-il, fait comme si elle était blanche comme neige, alors que, quand elle était au pouvoir, elle a fait pire. «Nous sommes dans un beau pays, où l’amnésie est devenue une vertu. Je suis étonné d’entendre des gens qui faisaient partie des rédacteurs du protocole de Rebeuss, parler d’indécence républicaine. (…). Ils étaient là quand on créait la Sénat et quand on supprimait le Sénat. Ils étaient là quand on créait la vice-présidence. Je n’ai pas besoin d’en rajouter», soutient le patron de la justice.
Toussaint Manga : «Vous donnez l’impression d’un militant de l’Apr venu répondre à l’opposition»
Toussaint Manga ne s’attendait sans doute pas à la réponse hautement politicienne que leur a servie le ministre de la Justice. Et il a tenu à le faire savoir à Me Malick Sall. «Je voudrais, Monsieur le Ministre, dire toute ma surprise, surprise désagréable, suite à vos réponses à nos questions. J’estime que vous avez aujourd’hui le rôle de répondre à toutes les interpellations des députés, mais j’ai été désagréablement surpris par vos réponses et votre attitude. Vous donnez plus l’impression d’un militant de l’Apr, venu répondre à l’opposition», réplique-t-il. Et le jeune député libéral de faire lui aussi dans la raillerie, en demandant que le ministre soit coaché sur la manière de parler aux parlementaires. «C’est une première pour vous, de venir ici parler aux députés. Mais, la prochaine fois, il y a des doyens qui sont ici, comme Seydou Diouf et tous les autres, qui peuvent vous coacher pour vous dire que si vous venez à l’Assemblée, il y a une manière de parler aux députés», balance-t-il. Avant Toussant, Abdoul Aziz Diop avait fait savoir au garde des Sceaux qu’il n’a «pas été courtois» et qu’il ne comprenait pas «cette inélégance» envers les députés de l’opposition. Mais il dit comprendre le ministre de la Justice qui est «un avocat d’affaires», qui pense que pour pouvoir continuer ses affaires, il faut passer par cette étape de ministre zélé. Pour sa collègue libérale Marie Sow Ndiaye, le ministre ne peut guère les ébranler et devrait y aller mollo-mollo, car ils ont déjà tout vu avec ses prédécesseurs. «On a vu passer Sidiki Kaba et Ismaïla Madior Fall. Il ne sert à rien de courir…», lâche-t-elle.
La majorité se délecte de la sortie du ministre contre l’opposition
Si Me Malick Sall a fait des heureux, hier, avec sa sortie contre l’opposition, c’est bien au sein de la majorité. Il fallait voir les députés de Benno, quand il s’en prenait parfois de manière moqueuse à leurs collègues de l’autre côté. Alors que certains riaient à gorge déployée, d’autres l’applaudissaient ou faisaient les deux, comme Farba Ngom ou le président du groupe Aymérou Gningue… D’ailleurs, la députée Fatou Diouf, connue pour son penchant pour les dérapages dans sa prise de parole, a consacré un bon moment à cette passe d’armes entre le ministre et les opposants. Avec une certaine dose de raillerie, elle fait souligner à Toussaint Manga et Cie qu’ils avaient un ministre à leur taille. «Vous vous en preniez à tout ministre qui arrive, mais aujourd’hui, vous en avez pris pour votre grade», assène-t-elle, sous les applaudissements de ses collègues de la majorité.
Mbaye THIANDOUM