C’est incontestable. Ouza Diallo est le chanteur voire l’artiste sénégalais le plus engagé de la place dakaroise. Dans cet entretien, l’auteur de « Bu Saxar Si Youxo », qui assume son amitié avec la Première dame Marième Faye Sall, évoque les enjeux de la prochaine présidentielle qui se profile à l’horizon et fixe déjà ses favoris pour l’échéance. Le père de Adjouza a également fait le tour de l’actualité avec le lancement de son mouvement citoyen. Entretien.
Les Echos : Il y a quelques jours, vous avez procédé au lancement d’un mouvement citoyen et panafricain dénommé «Jotna». Parlez-nous un peu de ce mouvement.
C’est en 2013 qu’on a décidé, avec des amis panafricanistes, de lancer ce mouvement. En son temps, nous nous sommes posé la question suivante : «pourquoi l’Africain est sous-estimé ?» Après plusieurs mois à étudier la question, nous sommes arrivés à la conclusion que c’est quelque chose de culturel et c’est pourquoi aussi bien les Blancs que les Arabes considèrent l’Africain comme inférieur. L’autre chose qui est à l’origine de ce mouvement, c’est que nous avons constaté que le vrai système qui gouverne ce pays, ce n’est pas la démocratie, mais plutôt la «politocratie». Il fallait donc faire quelque chose pour changer la donne.
Maintenant, à l’approche de la présidentielle du 24 février 2019, les gens ont commencé à spéculer. Et on me posait régulièrement des questions sur la situation du pays et sur la politique du régime en place. Certains sont allés jusqu’à s’interroger sur le bord où je me situais. Plusieurs personnes m’ont posé la question de savoir qui est-ce que j’allais soutenir. J’ai toujours répondu que je ne sais pas encore. Personnellement, j’ai travaillé à l’élection du Président Macky Sall, ce que d’ailleurs la Première dame, qui est mon amie, a reconnu. Mais, devant cette situation, la réponse n’appartenait plus à ma seule personne. C’est ainsi qu’on a décidé de convoquer une assemblée générale afin de choisir le candidat que notre mouvement va soutenir. Ainsi, on a lancé l’opération «Meilleur choix 19» pour choisir le meilleur candidat pour la présidentielle, mais également pour les locales. Ainsi, le 15 janvier prochain, nous nous exprimerons sur le choix de notre mouvement. Si le choix porte sur Macky Sall, on appellera à voter pour lui et nous ferons de même si le choix se porte sur Ousmane Sonko.
Vous êtes certainement l’artiste le plus engagé politiquement. Mais avez-vous déjà milité dans un parti politique ?
Je n’ai jamais adhéré à un parti politique, mais j’ai accompagné Abdoulaye Wade. En 1988, je l’ai véritablement soutenu. C’est Idrissa Seck qui servait d’intermédiaire, au temps. Je me rappelle, durant cette campagne, Idrissa Seck et Ousmane Ngom ont fait des mains et des pieds pour que je prenne la parole lors de leurs meetings, mais j’ai toujours dit que j’étais là en tant qu’artiste et non en tant que militant. J’ai aussi un peu fréquenté Moustapha Niasse. Mais, celui avec qui j’avais les meilleures relations, c’est Amath Dansokho, parce que lui, on avait tellement de points communs, mais je n’ai jamais milité dans son parti… Aujourd’hui, je peux dire que mon parti, c’est le peuple.
La présidentielle s’annonce très difficile, avec la tension qui entoure le processus électoral. Vous en pensez quoi en tant qu’observateur ?
Cette situation est certes très difficile et risquée. Et ma conviction est qu’il nous faut un changement de système et non de personne. Et au-delà même du système, il faut changer de régime politique. Depuis les indépendances, nous avons essayé avec le Senghorisme, qui, il faut le dire, a été à l’origine de beaucoup de progrès, mais depuis lors, la population n’a toujours pas de satisfaction et jusque-là, elle n’est pas instruite et est trompée à longueur de journée. Je ne sais pas si le président de la République le sait ou pas, mais les politiciens ont fini de transformer les gens de la banlieue en des robots politiques avec la corruption.
Depuis le Président Léopold Sédar Senghor, chaque Président qui arrive crée ses milliardaires à lui. Et ce n’est que des exemples. Tout ça fait qu’à mon avis, après le Président Macky Sall, je ne sais pas si ce sera pour 2019 ou pour 2024, mais après lui, il faut changer de système et donner une chance aux «Diaistes», c’est-à-dire à ceux-là qui se réclament héritiers de Mamadou Dia, comme les Ousmane Sonko et autres. Et si Dieu me donne longue vie, je m’investirai personnellement pour qu’on aille vers ce changement.
Vous évoquez à chaque fois le nom de Ousmane Sonko, pourquoi ?
Alors non, pas du tout. J’habite la banlieue et je reçois les témoignages de tellement de Sénégalais. A l’heure où nous parlons, tout le monde sait qu’il est l’opposant le plus en vue. Il est en plein dans ses moments de gloire. Maintenant, je ne sais pas s’il arrivera à concrétiser cela, pour arriver au pouvoir ou non. Même vous, les journalistes, vous parlez de lui en utilisant le terme phénomène. Avant lui, Idrissa Seck a eu cette popularité, mais maintenant, on ne parle plus de lui. En même temps, Khalifa Sall est en prison et Karim Wade est absent. Ce qui fait que politiquement, le paysage est occupé par Macky Sall et Ousmane Sonko. C’est pourquoi d’ailleurs, lors de l’assemblée générale, nous allons créer deux panels. L’un dirigé par Ousmane Sonko et l’autre par Macky Sall. Parfois, mes enfants m’en parlent, pour dire qu’il va gagner et je leur réponds de faire attention, que le réveil pourrait être brutal. Parce que, par expérience, je me demande si le Sénégal est prêt à aller à l’aventure. Je ne le crois pas. Cependant, si toutefois il parvient à accéder au second tour, ça sera autre chose.
Puisque vous parlez d’expérience, pensez-vous qu’il est possible pour le Président Macky Sall de remporter les élections au premier tour ?
Rire… ! C’est une question très difficile… Je suis persuadé que Sonko est à surveiller de près. Mais vu les enjeux et l’intérêt de la France, ça me surprendrait que ça se fasse dès 2019… Si notre démocratie était majeure, je crois que ça se ferait. Mais avec tous ces lobbies, maraboutique, sociopolitique, griotique…, qui sont là depuis les indépendances, je crois que ce sera très difficile.
Vous avez soutenu le Président Macky Sall en 2012, mais aujourd’hui, vous avez décidé de vous soumettre à la décision de votre mouvement. Est-ce que cela veut dire que vous n’êtes pas satisfait de sa politique ?
Je dois dire qu’il y a des hauts et des bas. Mais ce dont je ne suis pas du tout d’accord avec lui, c’est l’aspect va-t’en guerre de sa politique : Envoyer Khalifa Sall en prison, radier Ousmane Sonko de la fonction publique… je ne suis pas d’accord là-dessus et je le leur ai dit. Côté réalisations, comme Abdoulaye Wade, il a réalisé des choses. Mais là aussi, la question est de savoir si les Sénégalais ressentent l’impact de ces réalisations. Je ne suis pas nihiliste et je refuse de faire partie de ceux qui soutiennent qu’il n’a rien fait. Maintenant, je ne suis pas sûr que certains projets tels que le Train express régional (Ter), par exemple, soient ce que l’on attendait de lui. Par contre, des projets comme le Puma et le Prodac sont à saluer. Sur le plan culturel, pour la première fois, je ne suis pas satisfait.
Une chose est sûre les temps sont durs. En tout cas, c’est ce que les Sénégalais nous disent. A plusieurs reprises, des Sénégalais m’ont interpellé pour me manifester leur désaccord avec la politique du Président Macky Sall. Finalement, moi qui étais plus ou moins confiant quant à l’issue de la présidentielle, je me suis remis en cause et je constate que ça ne sera pas facile.
Nous avons connu un Ouza Diallo beaucoup plus virulent que ça. Vous avez peur de représailles ou c’est à cause de vos relations avec la Première dame, que l’on dit très bonnes ?
La Première dame est une amie, je l’assume. Il lui arrive de m’appeler au téléphone pour me dire tonton, parce que c’est comme ça qu’elle m’appelle, que pensez-vous de telle ou telle chose ? Je vais vous raconter une histoire. Après que Ousmane Sonko a été radié, j’ai déjeuné avec la Première dame. Il y avait Mame Mbaye Niang et Moustapha Diakhaté. Je les ai regardés dans les yeux et je leur ai dit qu’ils venaient de commettre une sacrée erreur. La Première dame m’a demandé quelle erreur et je lui ai clairement signifiée. Là, Moustapha Diakhaté a tenté de défendre l’indéfendable et je lui ai dit qu’il n’aidait pas le Président en faisant ainsi. C’est pour dire que quand vous avez de telles relations avec un Président ou du moins avec ses plus proches collaborateurs, on peut comprendre qu’il ne soit pas très correct de faire des déclarations publiques. D’autant que je peux leur parler directement. Je sais que, comme vous l’avez dit, certains vont avancer que Ouza a mis de l’eau dans son vin. Et j’avoue qu’avec l’âge, je suis devenu beaucoup plus sage. Et au-delà de tout, la Première dame est mon amie. Je l’aime bien. Quand, au début du magistère du Président Sall, je l’ai vue assumer notre culture sénégalaise, j’ai été on ne peut plus fier. Plus tard, je l’ai fréquentée et j’ai vu une Sénégalaise, une femme africaine et donc j’ai été conforté dans ma croyance.
Récemment, vous vous êtes attaqué à l’ancien ministre Aliou Sow. Il a eu une réponse virulente, comment avez-vous accueilli cela ?
Je n’ai aucun problème avec Aliou Sow. D’ailleurs, j’ai généralisé en parlant ,mais comme je l’ai cité… et peut-être que le mot utilisé était trop fort, je le reconnais. Mais, malheureusement, il a pris ça pour son compte et a fait une sortie pour m’attaquer. Tellement de gens m’ont appelé pour me demander de ne pas répondre. J’ai alors décidé de ne pas répondre. Mais la chose qui m’a fait mal, c’est qu’il a menti dans sa sortie en déclarant que, dans le passé, j’allais lui rendre visite. Alors qu’en réalité, je n’ai jamais su où se trouve son bureau. Mais je comprends qu’il a parlé avec sa fougue juvénile. D’ailleurs, il y a quelques jours, on s’est rencontré, je l’ai salué, il m’a salué et la vie continue. Parce que là où j’en suis, ma sagesse ne me permet plus de me chamailler, surtout avec des gens qui pourraient être mes enfants.
Quelle appréciation faites-vous du ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly ?
Je demanderais au ministre de la Culture de rester humble. J’ai la chance d’être le doyen de beaucoup d’artistes qui m’appellent souvent pour me parler de leurs problèmes. Latif, on a bourlingué ensemble et on a combattu le régime socialiste ensemble, parce qu’on partageait souvent les plateaux de télé. Les artistes m’appellent et soutiennent qu’il est inaccessible. Si cela ne dépendait que de moi, il allait faire comme Mbagnick. Qu’il soit un homme du peuple ! Si les artistes le demandent, c’est qu’il doit être intègre et humble. On ne peut être star plus que les stars, ça ne marche jamais comme ça. Donc, je demande à mon ami de rester humble.
Quelle appréciation faites-vous du ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly ?
Je demanderais au ministre de la Culture de rester humble. J’ai la chance d’être le doyen de beaucoup d’artistes qui m’appellent souvent pour me parler de leurs problèmes. Latif, on a bourlingué ensemble et on a combattu le régime socialiste ensemble, parce qu’on partageait souvent les plateaux de télé. Les artistes m’appellent et soutiennent qu’il est inaccessible. Si cela ne dépendait que de moi, il allait faire comme Mbagnick. Qu’il soit un homme du peuple ! Si les artistes le demandent, c’est qu’il doit être intègre et humble. On ne peut être star plus que les stars, ça ne marche jamais comme ça. Donc, je demande à mon ami de rester humble.
Entretien réalisé par Sidy Djimby NDAO, Samba THIAM, Cheikh Tidiane NDIAYE