Sur invitation du gouvernement du Mali, Alioune Tine, président d’Afrika Jom Center et expert indépendant des Nations-Unies, était au Mali. Après sa visite officielle (du 8 au 18 février passé) sur la situation des droits de l’homme au Mali, l’expert commis a présenté son rapport final aux Nations-Unies.
Alioune Tine, qui revient du Mali, dit avoir rencontré lors de son séjour, au-delà des autorités maliennes, l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et l’ancienne ministre de l'Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, qui sont en détention depuis le 26 août 2021. En ce qui concerne M. Maïga dont la santé s’est gravement détériorée, il lance un appel aux autorités de Bamako «à autoriser sans délai son évacuation médicale pour lui permettre de recevoir des soins appropriés». Et de faire savoir : «je prends note de la réponse encourageante des autorités à ce sujet. Je me suis également rendu dans les régions de Mopti et de Tombouctou, où j’ai rencontré les autorités locales civiles et militaires, les organisations de la société civile et les agences des Nations-Unies. Ces autorités ont unanimement salué l’appui qu’elles reçoivent de la Minusma».
Baisse de 27,10% des violations des droits humains
Le nombre des violations des droits humains et atteintes à ces droits, documentées au cours du dernier trimestre de l’année 2021 par la Minusma, a connu une baisse de 27,10% passant de 594 à 433. Un des indicateurs de l’amélioration de la situation sécuritaire est la diminution récente du nombre des personnes déplacées internes et des conflits intercommunautaires. En effet, selon la Matrice de Suivi des Déplacements (DTM), le nombre des personnes déplacées internes est passé de 401.736 en septembre 2021 à 350.110 en décembre 2021, soit une baisse de 13%. Dans la région de Gao, le nombre de personnes déplacées internes a baissé de près de la moitié (49%) entre les mois de septembre et décembre 2021. Cette baisse s’expliquerait notamment par la pacification progressive de certaines localités du Centre et du Nord.
L’annonce du retrait de certaines forces internationales tempère cet optimisme
En dépit d’un climat politique délétère, marqué par le durcissement des autorités maliennes de la transition, la défiance générale qui n’épargne pas les partenaires internationaux, les tensions diplomatiques, les malentendus et le dialogue de sourds, force est de constater que le soutien de la communauté internationale et de la Minusma a contribué à cette éclaircie et permettrait l’espoir d’un horizon de stabilité dans la durée, si ces efforts sont soutenus et consolidés. Malheureusement, l’annonce du retrait de certaines forces internationales tempère cet optimisme.
Les Groupes extrémistes violents notamment continuent de mener des attaques contre les populations civiles, de tuer et d’enlever les civils
Cependant, les améliorations tangibles de la situation ne doivent pas dissimuler les défis sérieux en matière de sécurité et des droits humains qui doivent être relevés par le Mali et par la communauté internationale pour renforcer et consolider les progrès réalisés sur le terrain. Sur le plan sécuritaire, les groupes extrémistes violents notamment la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin - JNIM (le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans - GSIM), l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et autres groupes similaires ainsi que les groupes armés communautaires dits d’autodéfense, continuent de mener des attaques contre les populations civiles, de tuer et d’enlever les civils ; d’imposer leur interprétation de la charia prélevant la «zakat», imposant aux femmes le port du voile (noir) et aux hommes le port de la barbe et des pantalons courts (dont la taille ne doit pas dépasser la cheville), interdisant le curriculum classique dans les écoles qu’ils autorisent en les transformant en écoles coraniques (madrasas).
C’est la situation qui prévaut dans les zones qui échappent encore au contrôle de l’Etat malien, notamment dans les secteurs ou les Forces de défense et de sécurité maliennes n’établissent pas une présence permanente. Pour assurer leur durabilité, les succès engrangés sur le plan militaire devraient s’accompagner immédiatement du retour effectif de l’autorité de l’État et des services sociaux de base sur toute l’étendue du territoire malien.
La fermeture des écoles aurait contribué à l’augmentation des mariages précocesainsi qu’à l’exode rural des filles, un phénomène qui aggraverait les risques d’exploitation et d’abus sexuels contre ces filles.
A cet égard, le rapport souligne la situation très préoccupante de l’école malienne, qui mérite une attention toute particulière de tous les acteurs impliqués dans la stabilisation du pays, car la plus sérieuse des bombes sociales se profile à l’horizon avec son effondrement. Selon les chiffres des Nations-Unies, le nombre d’écoles fermées en raison de l’insécurité a augmenté de manière sensible passant de 1344 en janvier 2021 avec 403.000 élèves affectés à 1664 écoles en décembre 2021 avec 499.200 élèves affectés. Ce problème initialement limité aux régions du centre et du nord du Mali s’est progressivement répandu à certaines régions du sud, notamment Sikasso (115 écoles fermées et 34.500 élèves affectés) et Koulikoro (92 écoles fermées et 27.600 élèves affectés). En outre, la fermeture des écoles aurait contribué à l’augmentation des mariages précoces ainsi qu’à l’exode rural des filles, un phénomène qui aggraverait les risques d’exploitation et d’abus sexuels contre ces filles. Par ailleurs, l’insécurité continue d’avoir un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux de la femme avec la récurrence inquiétante des cas de violence basée sur le genre.
«Difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonnée ou lynchée sur les réseaux sociaux»
Concernant le respect des libertés fondamentales, «j’exprime mes profondes préoccupations par rapport au rétrécissement de l’espace civique dont tous les acteurs se plaignent, en l’occurrence la société civile et une partie de l’opposition. Tous sont unanimes qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonnée ou lynchée sur les réseaux sociaux. Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à l’autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de la transition et/ou de leurs sympathisants. Je suis particulièrement préoccupé par le risque de confrontation et de violence entre les sympathisants des autorités maliennes de la transition et ceux des partis d’opposition. A cet égard, le ‘’Cadre d'échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie’’ a, en date du 9 février, annoncé qu’il ne reconnaitrait plus les autorités de la transition à partir du 25 mars prochain. En réponse à cet ultimatum, un acteur politique membre du Conseil National de Transition a récemment annoncé que son mouvement mettrait en place des ‘’brigades de vigilance’’ contre ceux qui s’apprêtent à organiser des manifestations contre les autorités maliennes de la transition en mars prochain», relève Alioune Tine.
Les recommandations pour une sortie de crise au Mali
«J’appelle les autorités maliennes de la transition à prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes de violence ou d’incitation à la violence et à s’assurer que les auteurs répondent de leurs actes. J’appelle tous les acteurs concernés à œuvrer en faveur de la désescalade et de l’instauration d’un consensus sur les défis démocratiques, sécuritaires, sociaux et des droits humains qui hantent le pays avec le brutal basculement géopolitique. J’exprime ma profonde inquiétude face au nouveau contexte de forte bipolarisation géopolitique qui pousse au départ la Force Barkhane et la Task Force Takuba, au moment où la menace djihadiste/terroriste se répand lentement et surement vers les pays de la façade maritime de l’Afrique de l’Ouest, donnant lieu à l’avènement d’un nouveau monde d’incertitudes au Mali et au Sahel. J’appelle la Cedeao à lever dans les meilleurs délais les sanctions contre le Mali qui ont des conséquences néfastes sur les droits humains des personnes les plus vulnérables, tout en invitant les autorités maliennes à dialoguer avec l’organisation sous-régionale pour trouver un accord permettant le retour à l’ordre constitutionnel dans des délais raisonnables.J’appelle la communauté internationale à évaluer les conséquences du départ de l’Opération Barkhane et de la Task Force Takuba sur les menaces sécuritaires et leurs conséquences sur les droits fondamentaux des populations civiles», recommande l’expert de l’Onu Alioune Tine.
Baye Modou SARR