Patron du Parti de l’indépendance et du travail à Dakar et membre de la coalition BennoBokkYakaar, Ibrahima Guèye ne mâche pas ses mots quand il s’agit de faire l’analyse de la situation politique au niveau de Dakar. Au détour d’un entretien avec « LesEchos », il est revenu sur leur entrevue avec le chef de l’Etat, la défaite de Abdoulaye Diouf Sarr lors des élections territoriales, l’absence de solidarité au sein de Benno et de la structure des cadres…
Les Echos : Le Président Sall enchaîne depuis quelque temps les rencontres avec les responsables de sa coalition. Est-ce que cette démarche est pertinente quand on sait ce qui s'est passé aux locales ?
Ibrahima Guèye :Il y a quand même eu une différence d’approche et le retard dans le timing. Ces rencontres auraient dû avoir lieu avant les élections territoriales. Ça aurait permis de mettre à niveau les dissidences, les difficultés qu’on a notées à l’intérieur de Benno Bokk Yakaar. Cela aurait évité l’émiettement de l’électorat de Benno qui,mis ensemble, est majoritaire à Dakar. Malheureusement, il y a eu de la part de certains responsables l’immaturité et un nombrilisme tel que certains ont pensé qu’à eux seuls, ils pouvaient remporter les élections. C'est pour cela qu'il faut analyser et considérer que ce qui est en train d'être fait, même si c’est tardif, n’est pas très mauvais puisque nous allons vers les élections législatives qu’on doit absolument gagner.
Il paraît que le Président, lors de l’audience accordée, vous a investi d’une mission. En quoi consiste-t-elle ?
Le Président a parlé aux responsables de Dakar. Il a donné des instructions à tous les membres de la coalition pour que chacun puisse prendre conscience de la responsabilité dans ce qui est en cours. La responsabilité de chacun, c'est d'assumer pleinement et de mouiller le maillot pour que la coalition gagne. Ce qui est désolant c'est que ceux-là qui bénéficient pour la plupart de décrets de nomination semblent jouer à cache-cache avec les militants. On a l'impression parfois que ces derniers se cachent derrière le petit poids et on est en train de laisser à l'opposition le champ libre. Nous ne sommes pas minoritaires à Dakar, mais c’est parce que nous sommes sclérosés par nos divisions, par nos calculs. Pire, il n’y a pas de lien entre ceux-là qui sont investis de pouvoirs par la force du décret du président de la République et les militants. Il y a rupture entre les responsables et la base qui se considère abandonnée par ses propres responsables qui ne reviennent vers eux que pendant les élections qui pose problème. C’est tout cela qu’il faut mettre en place pour comprendre ce qui s’est passé.
Il y a aussi ce climat de terreur entretenue à travers les réseaux sociaux. La seule arme politique de certains, c'est de terroriser les gens, par le verbe ou par des attaques qui changent totalement les données.
Certains disent que c’est la majorité qui a combattu Diouf Sarr aux locales. C’est votre avis ?
Il y a des gens, parce qu’ils ne sont pas choisis, qui se sont dit que celui qui est choisi ne passera pas. Parce que dans leur petit calcul, ils ne comprennent pas que la perte du contrôle des collectivités locales réduit pour beaucoup la capacité d’influence des hommes politiques ou de la coalition sur les populations. Le pouvoir le plus proche des populations, ce sont les collectivités territoriales. Le Conseil municipal est en contact direct avec les populations. Aujourd’hui contrôler les collectivités locales permet à toute organisation politique de renforcer sa capacité et son influence à l’endroit de ces populations par les contacts qu’elle va avoir avec et ça, malheureusement, des gens qui sont arrivés en politique parce que Macky Sall est arrivé en politique ou bien des gens qui sont arrivés en politique par accident n’ont pas pu comprendre qu’en s’opposant à la liste de leur propre coalition, ils fragilisaient leur coalition. C’est ce qui est arrivé malheureusement et Abdoulaye Diouf Sarr en est victime.
Et qu’est-ce que cela vous fait ce manque de solidarité ? On n’entend jamais ceux qui ont été nommés dans le combat. C'est quoi le problème, selon vous ?
Je l'analyse sous deux (2) angles. Certains considèrent que le règne de Macky Sall est terminé et qu’il faudrait préserver le peu qu’ils ont pu accumuler. Pour les autres, c’est la peur tout simplement de devoir rendre compte plus tard et ils se mettent en retrait pour se faire oublier. Que ça soit l’un ou l'autre, ce n’est pas du courage politique. Lorsqu'on épouse les idéaux d’une organisation politique on se bat pour elle. Aujourd’hui évidemment, on ne les voit pas sur le terrain. Ils ont totalement disparu. Pour certains, les populations n’ont même plus accès à ces gens-là. Ceux qui se bagarrent sur le terrain politique, ce sont les gens qui ne bénéficient de rien dit tout, qui n’attendent absolument rien. Qui se battent par conviction.
Etes-vous candidat à la candidature pour la députation ?
Je suis responsable dans un parti qui s’appelle le PIT. Ma candidature sera exprimée à l’intérieur du Pit. Mais oui, si je suis désigné par mes pairs et par mes responsables, j’assumerai cette fonction de député à l’Assemblée nationale pour le seul bonheur des Sénégalais et des Sénégalaises.
Le Pit est de moins en moins visible. Est-ce qu’il n’est pas plus aisé pour vous d’intégrer l’Apr parce que vous n’existez presque plus ?
Non. Toutes les questions, y compris les questions internationales sont traitées par le Pit qui continue à produire et à donner des positions. A l’issue des élections locales, le Pit a tenu ses instances et produit un communiqué. Le Pit s’acquitte toujours de la communication, mais nous jugeons de l’opportunité de notre communication. Pour la visibilité, nous avons choisi d'être dans une coalition. Nous ne pouvons pas être dans une coalition et avoir des raids solitaires. (…) Notre camarade secrétaire général est membre de la direction de Bby. Il siège en Conseil des ministres. Nous avons là une tribune pour porter et donner la position du Pit. Ce n’est pas la même chose que ceux qui sont dans l'opposition et qui considèrent, et de bonne guerre, que la tribune c’est la télé ou les radios et autres médiums.
Quid de votre camarade Ibrahima Sène?
Il était un peu souffrant. Permettez-moi au moins de prier pour son rétablissement.Il prend quand même de l'âge, malgré qu'il reste extrêmement éveillé. C’est un camarade courageux pour lequel nous avons beaucoup de respect, qui s’est beaucoup battu pour ce pays. Si les gens savaient ce qu’il a enduré pour que notre pays puisse en arriver là où il est dans certains secteurs, les gens comprendraient que nous lui devons tout.
Quel commentaire vous inspire ce qui s’est passé à Louga et la position affichée par les blouses blanches ?
Ce n’est pas acceptable dans le Sénégal actuel qu’une femme meure parce qu’elle doit donner la vie. Ce n’est pas acceptable s’il y a un déficit de matériel. Ce n’est pas acceptable si des infirmières et des sages-femmes qui en avaient la charge n’ont pas accompli le rôle pour lequel elles sont payées et désignées pour faire ce travail. Ce n’est pas acceptable qu’une femme reste autant de temps à souffrir et qu’elle ne puisse pas bénéficier d’une assistance de la part des gens qui sont payés pour ça. Cela est absolument condamnable. Il faut que des mesures soient prises à l’encontre des fautifs, s’il est avéré qu’ils sont fautifs.
Mais aussi s’il y a défaillance dans la mise en place du matériel pour la prise en charge des malades, il faudra que ceux-là qui sont chargés de mettre en place les infrastructures et le matériel soient sanctionnés. Nous considérons que la politique sanitaire, l’accès aux soins, l’accès à un cadre saint aménagé pour les soins des malades est une priorité pour ce pays.
Comment appréciez-vous le manque de soutien des cadres de l’Apr et de Benno à l’endroitDiouf Sarr ?
C’est la stupide compétition qu’il y a entre des gens dont le destin est lié. Ils doivent comprendre, soit ils gagnent ensemble ou ils perdent ensemble. Diouf Sarr ne peut pas être tenu exclusivement comme responsable de la perte de Dakar. Nous sommes des politiques. On ne peut pas choisir son candidat à un mois des élections à Dakar et lui demander de gagner. Une élection locale dans une ville comme Dakar, elle se prépare pendant deux ou trois ans afin que les gens mettent les conditions pour se battre. Dans la coalition, il y a des gens qui pensent qu’à eux seuls ils peuvent tout contrôler. Nous avons diagnostiqué avec le président de la République les maux de Dakar. Nous avons les solutions et nous sommes en train de les appliquer. Des réunions se tiennent dans toutes les communes pour se dire la vérité, passer l’éponge, se raffermir, se ceindre les reins et repartir à l’assaut de Dakar pour avoir de bons résultats. Mais Diouf Sarr a fait ce qu’il devait faire dans la mesure où il pouvait le faire, les conditions dans lesquelles il pouvait le faire. Manquer de solidarité autour de lui, c’est se soustraire de la responsabilité que chacun d’entre nous a eue dans l’échec de Dakar.
Propos recueillis par Baye Modou SARR