Macky Sall et son régime sont avertis. Rien ne sera plus comme avant entre le Sénégal et la Guinée-Bissau si le candidat Domingos Simões Pereira accède au pouvoir. D’ailleurs, ce dernier est convaincu que le Sénégal et son président seraient plus rassurés de voir son adversaire Umaro Sissoco Embalo remporter le 2ème tour de la présidentielle bissau-guinéenne, parce qu’il serait plus malléable et ne connaît rien à l’histoire des relations entre les deux pays. Le candidat soutenu par Ousmane Sonko entend en effet exercer toute la souveraineté de son pays, en cas de victoire, menaçant de remettre en cause le tracé de la frontière et l’accord sur le partage des ressources dans la zone maritime entre les deux pays. Promettant que s’il accède au pouvoir, il va poser toutes ces questions pour défendre les intérêts de son pays, il soutient que tout se fera cependant dans le dialogue, mais, précise-t-il, «un dialogue franc, sans compromis».
Le Sénégal devrait-il redouter l’élection de Domingos Simoes Pereira au soir du 27 décembre prochain à la tête de la Guinée-Bissau ? Tout porte à le croire, si l’on se fie au discours du challenger de Umaro Sissoco Embalo. Dans une interview accordée à nos confrères du média portugais «Lusa», Pereira affirme sans sourciller : «le Sénégal peut craindre mon élection. (…). Probablement le président du Sénégal et le Sénégal lui-même pourraient être beaucoup plus calmes si mon adversaire, Umaro Sissoco Embaló, est élu…». Et le candidat qui a le soutien du Paigc, plus ancien parti de la Guinée-Bissau, d’expliquer pourquoi une victoire de son challenger arrangerait le Sénégal. «Si c'est le cas, ce sera uniquement parce qu'ils se rendront compte que ma capacité à défendre la Guinée-Bissau est incomparablement supérieure à celle de mon adversaire, qui regarde le gouvernement et regarde l'État sous un angle complètement folklorique», martèle-il.
«La menace n'est pas nécessairement la position et la vision des autorités sénégalaises, mais l'ignorance des autorités guinéennes»
A la question de savoir si le soutien supposé du Sénégal à son adversaire constituait à ses yeux une menace pour la souveraineté de la Guinée-Bissau, Domingos Simões Pereira se dit convaincu que «la menace n'est pas nécessairement la position et la vision des autorités sénégalaises», mais plutôt «l'ignorance qui peut exister de la part des autorités guinéennes». Une ignorance dont il accuse son adversaire. «Il est horrible de penser que nous pourrions avoir un chef de l'État qui ne connaît strictement rien à l'histoire de ces relations (entre le Sénégal et la Guinée-Bissau)», souligne-t-il. Le candidat soutenu par Ousmane Sonko «se moque» à la limite de Umaro Sissoco Embaló, qui, à l’en croire, ne sait même pas ce que veut dire «plateau continental» ou «démarcation des frontières», alors que dit-il, ces questions sont au centre des relations entre la Guinée-Bissau et le Sénégal.
La délimitation de la frontière entre les deux pays «devrait faire l’objet d'étude»
Selon Domingos Simões Pereira, «les Guinéens ont besoin de connaître ces enjeux» pour être conscients et mieux comprendre «le risque qui pèse» sur leur pays. Ainsi, à en croire le candidat au second tour de la présidentielle, la question la plus urgente à poser est de savoir «si la délimitation de la frontière maritime entre le Sénégal et la Guinée-Bissau est couverte par l'accord qui a été signé avant la proclamation de l'indépendance des deux pays et dont les deux reconnaissent l’ébauche et l'inaltérabilité des limites qui ont été fixées, ou si c'est quelque chose qui a été fait après cette proclamation (d’indépendance des deux pays)». Même s’il «ne propose aucune révision des traités existants», dans son programme, Domingos Pereira pense que cette question de la délimitation de la frontière, maritime surtout, entre les deux pays, «devrait faire l’objet d'étude». Surtout que le Sénégal a annoncé la découverte de pétrole et de gaz. Et en ce sens, en faisant référence à la frontière entre les deux pays, il s’interroge : «le Sénégal a découvert du pétrole et du gaz, mais il a trouvé du pétrole où ? Où a-t-il trouvé du gaz ? »
«Nous resterons à la périphérie des autres États qui nous laissent des miettes et nous devons nous en contenter ?»
La frontière maritime entre les deux pays, érigée en zone économique d’environ 25.000 kilomètres carrés, est gérée par une agence de coopération et de gestion basée à Dakar, (actuellement présidée par l'ancien Premier ministre guinéen Artur Silva). Dans cette zone, les ressources halieutiques sont exploitées à parts égales (50% pour chaque pays). Pour les ressources en pétrole et gaz, la répartition est de 85% pour le Sénégal et 15% pour la Guinée-Bissau. Un déséquilibre énorme qui a été contesté par le régime de l’ancien président José Mário Vaz, qui réclamait une nouvelle grille de répartition, augmentant la part du pays. Mais les négociations s’enlisent depuis leur lancement en 2014. D’ailleurs, en plus de cet accord de partage des ressources, de hauts responsables bissau-guinéens réclament la renégociation de la délimitation des frontières maritimes et terrestres. Ce que refuse catégoriquement le Sénégal.
«En tant que chef d'État, je voudrai comprendre, mais sur la base d'un dialogue franc, un dialogue sans compromis…»
Mais en cas de victoire de Domingos Pereira, il faut s’attendre à un réchauffement de ce dossier. «Nous resterons à la périphérie des autres États qui nous laissent des miettes et nous devons nous en contenter ?», s’interroge-t-il. Et de prévenir : «je ne comprends pas et certainement en tant que chef d'État, je voudrai comprendre, mais sur la base d'un dialogue franc, un dialogue sans compromis. Les chefs d'État africains qui me connaissent aujourd'hui savent que je parle sans restriction, car ma seule responsabilité est de défendre la vérité et mon pays».
Au moins Macky Sall est averti et saura à quoi s’en tenir en cas d’élection du candidat Pereira.
Mbaye THIANDOUM